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La science clinique

Premier texte

Ce premier texte fait partie du livre édité pour les dix ans du "Pommier" où cet éditeur a demandé à chacun de ses auteurs scientifiques et philosophes d’écrire une page sur sa discipline.
(Texte reproduit avec l’autorisation de l’éditeur)


La science clinique, expertise au chevet (klinê) du malade, est en fort recul depuis une cinquantaine d’années. Les deux seuls responsables en sont, d’une part, l’invasion technologique, dont il faut reconnaître l’efficacité, d’autre part, le nouveau concept de médecine basée sur les preuves (autrement appelée EBM pour evidence based medicine).

La technique nous fournit la preuve par le résultat chiffré ou l’image tandis que l’essai randomisé en double aveugle contre placebo de l’EBM nous fournit la vérité statistique.

Le symptôme individuel est ainsi gommé par le verdict de la machine et la variabilité individuelle, caractéristique essentielle du vivant, est annulée par la méthode statistique. L’individu est nié par la nouvelle médecine, non pas que les nouveaux médecins aient moins d’éthique ou moins d’humanité, mais parce que cette nouvelle méthodologie impose stricto sensu la négation de l’individu.

Cela signe-t-il la fin définitive de la clinique ?
Non. Il y a, certes, un cap difficile à passer, pour les médecins, pour les patients et pour la sérénité de leurs relations. Mais après la digestion culturelle de ces nouvelles expertises, le clinicien aura appris à maîtriser et à contester la machine. La variabilité individuelle, témoin de la survie de notre espèce, persistera évidemment. Ainsi le nouveau techno-clinicien, enfin décomplexé, réconcilié avec son patient, retrouvera l’usage du dernier mot dans les histoires cliniques singulières.

Luc Perino

Deuxième texte

Ce texte a fait l'objet d'une lecture lors de l’inauguration de la Fête des Sciences de 2008. Cela bien que la "science clinique" ne soit pas vraiment individualisée au sein des sciences biomédicales actuelles.

Comme son nom l’indique, la médecine clinique se pratique au chevet (klinê) du patient. Elle comporte six temps fondamentaux : dialogue, inspection, palpation, percussion, auscultation, puis mesures et tests simples à résultat immédiat. Cette science apparaît à la fin du XVIII° siècle et atteint son apogée avec la « méthode anatomo-clinique » de Laennec, l’homme à l’emblématique stéthoscope.

Décrite par Foucaud comme la « grammaire des signes » elle a mis un terme au capharnaüm des siècles précédents, en réussissant l’exploit de classer et nommer les maladies sans trop omettre le patient.
Avec l’invention du microscope, de l’imagerie issue des rayons X et de l’analyse chimique de nos humeurs, la science médicale s’est progressivement déplacée vers la « paraclinique, » obligeant la clinique à se muer en art ou artisanat selon les mœurs et les époques.

Si le carabin du XXI° siècle, fasciné par la technologie, se laisse complaisamment ensevelir sous un monceau de preuves et de chiffres, c’est pourtant la clinique, et elle seule, centrée sur l’individu, qui saura le transformer en médecin expert.

Virchow, en découvrant la cellule et ses pathologies, est l’un des fondateurs de la paraclinique. C’est à lui cependant que nous laissons le dernier mot : « Si le microscope est capable de servir la clinique, c’est à la clinique d’éclairer le microscope ».

Luc Perino

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