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Hypothèse hygiéniste : reconstituer le biome pour soigner les désordres immunitaires.

dernière mise à jour le 12/02/2021

A la lumière de l’évolution, la reconstitution du biome est la seule thérapeutique raisonnée pour un grand nombre de maladies auto-immunes ou allergiques et peut-être même pour l’autisme.1

Nous savons désormais que l’homme n’a pas eu une évolution isolée, mais une coévolution avec son microbiome à la façon d’un “super-organisme”
Nous avons aussi la preuve du manque de développement du système immunitaire chez plusieurs mammifères privés de leur microbiome.

Ce rôle vital du microbiome pour façonner le système immunitaire fait actuellement l’objet de nombreuses recherches. D’autre part, il est moins connu qu’un grand nombre d’eucaryotes ont aussi coévolué avec nous, interférant également avec notre système immunitaire. Tous les mammifères à l’exception de l’homme des sociétés industrielles et de ses animaux domestiques, cohabitent avec de nombreux vers (helminthes). Malheureusement, nous commençons à peine à percevoir les conséquences de notre séparation trompeusement indolore d’avec ces animaux.

L’histoire évolutionniste des helminthes et de leurs hôtes peut être tracée depuis des périodes antérieures aux mammifères jusqu’à l’apparition des systèmes immunitaires. Ainsi, le système immunitaire doit être considéré bien plus comme une interface avec nos symbiotes qu’avec nos envahisseurs, bien que les deux y contribuent. La coévolution des helminthes et de leurs hôtes a mutuellement façonné leur biologie. Les helminthes ont produit des dizaines ou centaines de molécules pour esquiver le système immunitaire de chacune des espèces hôtes. Il est évident qu’en retour, notre système immunitaire s’est adapté à ces hôtes.

L’hypothèse hygiéniste, proposée il y a plus de vingt ans, est désormais plus judicieusement nommée “Théorie des amis perdus” ou “Théorie de la déplétion du biome”.
Sous sa forme actuelle, cette théorie décrit l’impact médical de la suppression de ces partenaires par l’hygiène et la technologie. L’idée centrale est que l’épidémie de maladies auto-immunes est une réponse immunitaire exagérée et pathologique provoquée par la perte de ses interactions usuelles ancestrales.
Ces maladies incluent essentiellement les allergies et maladies auto-immunes aussi bien que l’appendicite. Environ 40% de la population souffrent d’allergies, 8% de maladies auto-immunes alors que 6% subissent une appendicectomie. Bien que d’autres composants que ceux des helminthes puissent être importants dans ce fléau, beaucoup d’études prouvent que les helminthes sont la perte la plus importante pour notre système immunitaire post-industriel.

Cette théorie ne stipule pas que la déplétion du biome est la seule cause. En effet des facteurs génétiques et épigénétiques ainsi que des facteurs déclenchants liés à l’environnement jouent aussi un rôle. La théorie précise que les modifications du biome sont l’explication de la nature épidémique de ces maladies. Malheureusement, l’impossibilité de discerner les deux causes est source de confusion. Pour une maladie donnée, l’identification de facteurs génétiques ou de facteurs déclenchants (infection virale ou autre facteur environnemental) n’invalide pas la théorie de la déplétion du biome. C’est plutôt l’incidence d’une maladie à composante immunologique dans un pays développé qui indique l’implication possible de la déplétion du biome dans sa physiopathologie.

Les effets biologiques sont complexes. Il ne faut pas seulement considérer les effets sur une génération, mais aussi les possibles et profondes conséquences épigénétiques sur les générations futures. Comme il ne s’agit pas d’un effet du tout ou rien, la cascade des conséquences est complexe. Répétons que notre système immunitaire et notre biome n’évoluent pas isolément. Mais aussi d’autres organes, tels que notre cerveau, évoluent en même temps et interfèrent avec lui d’une façon que nous commençons à peine à entrevoir.
Les conséquences peuvent s’étendre loin comme, par exemple, la relation entre autisme et inflammation, et sa nature épidémique dans les sociétés post-industrielles. L’identification de virus déclenchants probablement impliqués dans l’autisme corrobore l’idée que l’épidémie d’autisme (et peut-être pas l’autisme en soi) est la conséquence de la déplétion du biome.

Bien qu’il soit toujours difficile de faire le tri dans les effets de la déplétion du biome, il est étonnamment simple de restaurer un équilibre naturel chez ceux qui en souffrent. Nombre d’expériences sur les rats de laboratoire montrent que leur colonisation par des helminthes empêche les symptômes liés aux maladies allergiques ou auto-immune. Chez l’homme, plusieurs études montrent l’amélioration des colites inflammatoires par une colonisation d’helminthes, alors que les autres traitements modernes avaient échoué. Plus intéressantes encore sont les données qui montrent un arrêt de la progression de la sclérose en plaques par une colonisation d’helminthes. Peut-être, ne devrions-nous pas être surpris, la co-évolution conduit logiquement à la co-dépendance.

Bien que les toilettes dans ma maison me paraissent être un dû, elles n’existent pourtant que depuis moins de 100 ans. Mes grands-parents habitaient des maisons sans plomberie et, pourtant, l’idée d’une absence de toilettes me paraît impossible. Les sanitaires domestiques et la médecine moderne ont éliminé les helminthes, il y a fort peu de temps. Cette récente histoire de l’hygiène combinée aux potentiels effets épigénétiques de notre évolution conduisent à une conclusion évidente sur cette nouvelle épidémie. La déplétion du biome nous a laissés avec un système immunitaire hyper-réactif. Cela suffit à tout expliquer. Ne multiplions pas inutilement les entités et les principes, comme nous le conseille le principe du rasoir d’Ockham.
L’aspect le plus effrayant de cette conclusion est que nous ne savons pas encore si les effets pervers de la déplétion du biome ont atteint leur apogée. Néanmoins, soyons rassurés par les premiers résultats thérapeutiques de la reconstitution du biome.

L’idée d’introduire des parasites chez l’homme est, a priori, repoussante. Pour certains, le rhume des foins est un prix raisonnable à payer pour être débarrassé de ces partenaires évolutifs. Mais la maladie de Crohn et la sclérose en plaques nous paraissent moins tolérables. Le consensus pourrait être d’accepter certain maladies comme un prix à payer pour être débarrassés de nos parasites. Ce point de vue est contestable pour deux raisons.
Premièrement, nous ne savons pas mesurer ce qu’est une maladie tolérable au regard des parasites de notre passé évolutif. L’autisme certainement – s’il est bien en relation avec la déplétion du biome –semble avoir dépassé la ligne jaune de notre tolérance, car en altérant la cognition, il affecte notre humanité. Ignorant encore le prix que nous payons pour l’épuisement du biome, ainsi que le prix à venir, nous sommes dans une position d’attente.
Secondairement, bien que les infections par helminthes soient un fléau pour les sociétés en voie de développement, ce fléau n’existerait pas pour les sociétés post-industrielles qui souhaiteraient bénéficier des avantages d’une recolonisation thérapeutique par ces parasites.
Dans les pays en voie de développement, une ou plusieurs de ces trois conditions sont nécessaires à la morbidité et à la mortalité des parasitoses :
1/ Inanition et sous-alimentation.
2/ Absence d’égouts et de traitement des eaux.
3/ Présence de parasites agressifs mal adaptés à l’hôte.
Dans nos sociétés industrielles, des individus qui n’ont pas les conditions requises pour une thérapie par helminthes (ex : anémie) sont facilement identifiés, les infections non contrôlées sont impossibles et les effets secondaires restent acceptables. Après tout, les helminthes sont une thérapeutique réversible, comme peuvent en témoigner les centaines de millions d’années de leurs efforts pour ne pas trop gêner leur hôte. Aucune compagnie pharmaceutique ne peut se vanter d’un tel record pour aucun médicament ! Il s’agit d’un traitement facilement disponible et peu coûteux qui pourrait se faire très simplement au cabinet médical.

Ce modèle peut servir pour isoler des composants spécifiques des helminthes dans le but de produire des médicaments qui en seraient issus. D’une part cette approche est compatible avec la pharmacologie moderne. D’autre part, il serait impossible de comprendre les effets de l’ensemble du biome et d’en isoler toutes les interactions avec l’hôte. Notre laboratoire, en comparant des rats sauvages à des rats de laboratoire, a constaté la vaste gamme des réponses cellulaires et humorales à l’épuisement du biome.
Nos recherches montrent que la déplétion du biome affecte toute la maturation du système immunitaire, ainsi que la nature même de ses réponses immunologiques innées et acquises. Les concepts traditionnels tels que les profils lymphocytaires Th1, Th2 et Th17 ne tiennent pas compte de ces effets. Nous, immunologistes, sommes maintenant troublés de constater que le système immunitaire que nous étudions depuis un demi-siècle est radicalement différent de celui qui a été élaboré par la sélection naturelle. Nous constatons que l’état “helminthe-free” n’est pas normal et qu’il faut ré-inclure nos partenaires évolutifs pour étudier l’état normal des choses. Du point de vue médical, comment restaurer un système immunitaire avec une seule dent alors que le dentier tout entier est inadapté ? Cela reviendrait à traiter une veuve déprimée en lui passant une pommade contenant seulement les cellules du complexe majeur d'histocompatibilité II de son partenaire défunt. La pharmacie ne peut pas reconstruire la biologie de centaines de millions d’années d’évolution.

Une synthèse des sciences de l’évolution, de l’épidémiologie, de la médecine moderne et de l’épidémiologie conduit à penser que la reconstitution du biome est l’un des points forts de la médecine future. La vieille pharmacie est inférieure à la reconstitution du biome au même titre que les hypocholestérolémiants sont inférieurs aux règles hygiéno-diététiques. La biologie du futur ne pourra plus nier notre passé évolutif. Les recherches sur la reconstitution du biome doivent s’intensifier, se faire en bloc et non par petits pas. Quels organismes utiliser, quand et comment le faire ? Etudier l’efficacité et la sécurité en diverses conditions. Quelles situations d’hyper-immunité peuvent être traitées, lesquelles peuvent être prévenues ? Quels seront les effets de cette reconstitution du biome sur les générations futures ? Déterminer le besoin de nouvelles technologies pour limiter les effets secondaires. Bref, nous devons apprendre à reconstituer ce biome en le gardant sain.
Il est grand temps de faire un bond paradigmatique en médecine et sciences biomédicales. Notre évolution et notre biologie en ont besoin.

Traduction : Luc Perino

Note du traducteur. Cet article a volontiers une allure de propagande, comme c’est souvent le cas des articles scientifiques outre-Atlantique. Cela n’enlève rien à la rigueur scientifique de son son contenu et de ses auteurs. Mais cela peut troubler le lecteur français.

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