dernière mise à jour le 14/02/2014
Une des plus excitantes découvertes des dernières années dans l’étude des populations microbiennes est la grande fréquence du phénomène de « brouillard phénotypique » (phenotypic noise) dont le rôle est important dans leur écologie évolutive.
Le « brouillard phénotypique » consiste en l’expression de différents phénotypes chez des microbes génétiquement identiques et malgré un environnement commun.
J’ai toujours pensé que l’explication de ce phénomène consistait en un pari pour une meilleure protection dans un environnement incertain, et cette interprétation était conforme à la modélisation mathématique.
Mais un récent article de la revue Nature propose une explication alternative qui peut être valable dans un grand nombre de cas, bien que probablement pas dans tous.
En utilisant l’expérimentation et la modélisation mathématique, Ackermann et ses collaborateurs ont étudié le processus de pathogénèse de Salmonella typhimurium. Dans cette espèce, une partie des bactéries de la lumière intestinale envahit l’endomètre et exprime un éventail de facteurs de virulence qui déclenchent une inflammation intestinale à grande échelle. Cette réponse élimine les espèces concurrentes, mais entraîne également la mort quasi certaine des cellules invasives. Cette action d’invasion des tissus intestinaux au profit des salmonelles restées dans la lumière intestinale est décrite sous le nom de « auto-destruction de coopération »
Comment ceci peut avoir évolué et quel est le lien entre le brouillard phénotypique – expression de facteurs de virulence par une partie seulement des salmonelles – et cette évolution ? L'argument d'Ackermann, soutenu par un modèle mathématique clair et simple et des tests expérimentaux des suppositions sous-jacentes, est direct, mais ingénieux
Il est bien connu qu’une coopération coûteuse peut évoluer quand il en résulte un assortiment positif où les coopérateurs ne sont pas des transfuges pour d’autres coopérations. Si la colonisation est le fait d’une population de faible importance, et c’est le cas des salmonelles, elle peut fournir les moyens de cet assortiment positif et expliquer la coopération coûteuse.
Il subsiste toutefois un problème pour expliquer l’autodestruction. Si un gène induit le comportement suicidaire, aucun individu porteur de ce gène ne restera dans la lumière intestinale pour récolter les bénéfices.
Le seul mode évolutif de cette coopération autodestructrice est l’hétérogénéité dans l’expression du caractère. Ackermann propose que cet argument évolutif soit l’explication du brouillard phénotypique dans l’expression des facteurs de virulence de la salmonelle.
Mieux encore, un argument similaire peut être appliqué à beaucoup d’autres exemples de virulence bactérienne, comme les toxines émises par la lyse cellulaire de Streptococcus pneumoniae et Clostridium difficile.
Si l’explication d’Ackermann est correcte – et je pense qu’elle doit l’être – cet exemple souligne la nécessité de comprendre l’écologie de l’évolution pathogène si nous voulons comprendre les mécanismes de la pathogénèse. Et à terme, mieux combattre les infections bactériennes.
Si la virulence de Salmonella typhimurium résulte d’une évolution vers un dilemme coopératif retors, alors les moyens d’interférer avec cette coopération impliquent de ramener le germe pathogène à un stade où il doit repenser sa coopération... Ce challenge s’avère bien plus difficile que celui de déjouer la résistance aux antibiotiques conventionnels.
Ackermann M. , Stecher B. , Freed N. E. , Songhet P. , Hardt W.D. & Doebeli M.
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Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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