Brève histoire : Plante de la famille des solanacées, le tabac a été importée d’Amérique du Sud par les premiers explorateurs. Utilisé d’abord par Jean Nicot comme herbe médicinale pour soigner les migraines à la cour de France, il est resté un médicament à usages multiples jusqu’au début du XIX° siècle. Bu en infusions, utilisé en emplâtres, puis prisé et chiqué, il est aujourd’hui essentiellement fumé. Les indications thérapeutiques ont été progressivement abandonnées pour une utilisation limitée au seul plaisir. La cigarette, apparue vers 1825, a été le vecteur le plus efficace de l’expansion mondiale du tabagisme.
La première étude épidémiologique sérieuse démontrant les graves dangers du tabac date de 1950. De nombreuses ont suivi, toujours plus alarmantes. Cependant, il a fallu presque un demi-siècle pour que les gouvernements prennent la mesure exacte de ce fléau sanitaire. Les causes de ce retard sont de trois ordres : les pressions et contre-informations des lobbys du tabac, l’hypocrisie des états qui ont largement profité des monopoles de vente puis des taxes, et enfin évidemment, les utilisateurs eux-mêmes, en raison de la convivialité et du plaisir de fumer.
L’unité de mesure de l’intoxication tabagique utilisée par les médecins est le « paquet-année » ou P-A, il correspond à un paquet de cigarette par jour pendant un an.
Si vous avez fumé 10 cigarettes par jour pendant 10 ans, votre intoxication est de 5 P-A
Si vous avez fumé 2 paquets par jour pendant 20 ans, votre intoxication est de 40 P-A
Ceci a une grande importance, car les effets du tabac sont souvent cumulatifs et irréversibles.
Les mots marquants du tabagisme sont essentiellement des chiffres qui se passent de commentaires :
25% de la population française fume quotidiennement (moyenne de 18 cigarettes/jour)
6 millions de morts par an dans le monde. (première cause de décès évitables selon l’OMS)
La fumée contient plus de 4000 composés chimiques dont 60 sont cancérigènes.
Chaque cigarette diminue l’espérance de vie de six minutes (20 P-A équivalent à deux ans de vie en moins et à quatre années de pathologie invalidante en plus, soit une perte de six années de vie ou de qualité de vie) (le double pour 40 P-A !!)
Aujourd’hui, le tabac représente environ 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde.
II / Combattre les idées reçues
Le cigare et la pipe seraient moins toxiques. Hélas, cela n’est pas vrai même si l’image rarissime du grand-père mort à 90 ans avec sa pipe à la bouche, reste rassurante et attendrissante. Quant au cigare de Fidel Castro, il avait surtout une vocation publicitaire pour son pays, premier exportateur !
La nicotine est souvent classée parmi les drogues dites douces. Tout cela dépend de ce que contient le mot « doux ». Certes, la nicotine n’a pas la dangerosité sociale de l’alcool, mais elle entraîne une dépendance, comme toute drogue, et son sevrage reste difficile et douloureux. Quant à la dépendance sociale et psychique, elle est importante. Son pire inconvénient étant l’extrême facilité d’une consommation régulière et abondante (le fumeur occasionnel reste assez rare.)
La consommation du tabac étant visible par tous, il est difficile d’imaginer que cette drogue quotidienne et sympathique soit un toxique aussi dangereux. Le fumeur a tendance à croire que les messages médicaux sont trop alarmistes, alors qu’en réalité, les médecins sont souvent timides et inhibés dans leurs propos par l’image populaire de cette drogue à la fois douce et diabolisée. Il est très difficile de rompre ce cercle vicieux de la communication.
III/Les idées-forces
La liste qui suit ne concerne que des données incontestables ou à très haut degré de validation.
En deux siècles, le tabac a fait plus de victimes que tous les conflits armés de l’histoire.
Le tabac est responsable de 90% des cancers du poumon
De 85% des artérites et amputations des membres inférieurs
De 65% des cancers de la bouche, lèvres, langue, larynx, pharynx et œsophage
De 40% des cancers de la vessie et du rein
De 30% de TOUS les cancers
De 35% des infarctus du myocarde et de 75% des infarctus avant 40 ans.
De la plupart des laryngites et pharyngites chroniques, sécheresse des muqueuses, haleine fétide, altérations dentaires
De la grande majorité des insuffisantes respiratoires, broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO) et bronchites chroniques
Le tabac augmente la pression artérielle et le rythme cardiaque
Il augmente le risque d’accident vasculaire cérébral
Il majore tous les risques vasculaires, de thrombose et d’embolies chez la jeune femme qui prend la pilule.
Il diminue la fertilité chez l’homme et chez la femme
Il est la première cause d’impuissance masculine organique
Il multiplie par deux le risque d’ulcère gastrique ou duodénal
Il multiplie par deux le risque d’accident du travail
Il augmente le risque de cécité par dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA)
Il aggrave les rides et le vieillissement cutané.
Un non-fumeur marié à un fumeur augmente son risque de maladie cardiaque de 30%.
Cas très particulier de la grossesse, du fœtus, du nourrisson et du jeune enfant.
Le tabagisme des femmes enceintes, et des jeunes parents est un drame sanitaire, car le fœtus et le nourrisson sont les premières victimes du tabagisme passif. Le tabagisme des jeunes filles est le plus sombre revers de la merveilleuse aventure de la libération de la femme, il fait accéder la femme aux graves pathologies du tabac et majore les pathologies fœtales et pédiatriques.
Une femme enceinte qui fume
Provoque l’accélération du rythme cardiaque du fœtus
Entraîne la diminution des mouvements actifs du fœtus.
Augmente le risque des malformations congénitales suivantes : fissures palatines, strabisme, hernies inguinales, trisomies, malformations cardiaques.
Augmente le risque de fausse couche, de mort in utero et d’hypotrophie fœtale.
Augmente le risque de grossesse extra-utérine (GEU)
Augmente le risque de placenta prævia et d’hématome rétro-placentaire
Multiplie par 3 le risque de prématurité.
Augmente son risque de vergetures
Diminue la vitesse de cicatrisation après césarienne ou épisiotomie
Lorsque les parents fument, les risques pour le nourrisson et l’enfant sont les suivants :
Les infections ORL à répétition
Les infections des voies aériennes inférieures : trachéite, laryngite, bronchite, bronchiolite, pneumonie.
Les symptômes respiratoires chroniques dans l’enfance et l’adolescence : toux chronique, hypersécrétion, asthme.
Très forte majoration du risque de mort subite du nourrisson.
Risque de cancer du poumon multiplié par deux à l’âge adulte.
Chaque jour, de nouvelles publications trouvent une nouvelle toxicité du tabac et l’on arrive à se demander s’il existe un seul domaine de la médecine où le tabac ne soit pas impliqué. La liste qui suit concerne des faits quasi validés :
Le risque de cancer du pancréas est multiplié par 3
Le risque de diabète de type 1 et 2 est majoré tant par le tabagisme actif que passif.
Aggravation des dépressions, névroses et attaques de panique
Aggravation des maladies d’Alzheimer et démences séniles
Aggravation des troubles musculaires, crampes et tendinites
Majoration du risque d’ostéoporose
Majoration du risque de polyarthrite rhumatoïde et aggravation des cas
Diminution de la taille du cerveau et du périmètre crânien de l’enfant de mère fumeuse
Plus grand risque de devenir fumeur à l’âge adulte pour un enfant né de mère fumeuse
Risque de cancer du sein multiplié par deux par le tabagisme passif (il est bon de rappeler ici qu’un risque multiplié par deux signifie 100% d’augmentation du risque !)
IV/L’espace d’éducation et de progrès
Les gouvernements des pays occidentaux et l’OMS ont enfin pris conscience de la gravité de ce problème sanitaire. Hélas l’éradication du tabac n’est pas envisageable comme l’a été celle de la variole ou de la polio, car les composantes sociologiques et économiques sont complexes. Dans les pays démocratiques, interdire est politiquement incorrect, il faut donc informer et éduquer.
L’éducation sanitaire sera longue et difficile ; les lobbys du tabac l’ont bien compris, eux qui depuis quelques années ciblent des segments de marché à faible éducation (adolescents, tiers-monde, etc.) en sachant bien que l’argument médical de la diminution de l’espérance de vie a peu d’impact sur eux. Malgré tout, en occident, la prise de conscience gagne du terrain et la consommation diminue, cela doit nous rendre optimiste.
Le sevrage est désormais un thème de recherche et un motif de consultation. Les industriels du tabac s’intéressent très sérieusement au marché du sevrage ! Ce marché intéresse beaucoup de monde, car les méthodes proposées pour le sevrage sont très nombreuses : substituts nicotiniques (gommes, patch,) micro sociothérapies (plan des 5 jours,) psychothérapies diverses, hypnose, sophrologie, training autogène, thérapies comportementales, tranquillisants, antidépresseurs, nouvelles chimiothérapies (bupropion) acupuncture, fil dans l’oreille, homéopathies, filtres spéciaux, cigarettes sans tabac, cigarettes électroniques, numéros verts et offices gouvernementaux de conseils. Pas de limite à l’imagination des thérapeutes !
Les études n’arrivent pas à dégager la supériorité d’une quelconque méthode sur l’autre. Toutes ont un avantage commun, elles permettent de témoigner de la volonté du patient de se soigner, toutes ont l’inconvénient de laisser croire qu’il est possible de se substituer à la volonté du patient.
L’expérience montre qu’après deux à trois échecs en moyenne, le sevrage finit par réussir. Vous devez choisir la méthode qui vous convient le mieux et en laquelle vous croyez le plus et choisir le soignant qui vous accompagnera tout au long de vos tentatives sans jamais vous culpabiliser.
L’éradication du tabac est certainement le plus important enjeu de santé publique depuis la découverte des vaccinations. Toute autre action de santé publique paraît dérisoire en comparaison.
Nous devons aussi collectivement nous interroger sur notre système éducatif en constatant que le tabagisme actif débute aujourd’hui à l’âge de 11 ans !
Il y a toujours intérêt à cesser de fumer. En effet, les risques cumulatifs commencent à diminuer après le sevrage de la façon suivante :
Le risque cardio-vasculaire diminue fortement trois ans après le sevrage
Le risque de cancer du poumon commence à diminuer seulement après 10 ans de sevrage
Arrêter de fumer avant cinquante ans refait baisser de moitié le risque de cancers ORL
La plupart des autres risques se mettent à diminuer progressivement après sevrage définitif
Le sevrage doit éviter toute forme d’agressivité de la part du soignant et toute culpabilité de la part du fumeur, cela nécessite une très bonne coopération entre soignant et soigné tout en évitant le paternalisme qui déresponsabilise le fumeur. Le sevrage du tabac est difficile, mais il reste facile, comparé à celui des autres drogues et il est excessivement rentable en termes de santé individuelle et de santé publique.
Il est important de répéter qu’il n’y a jamais d’échec, mais seulement des succès différés…
V/Radio trottoir des erreurs quotidiennes
Je ne vais pas me priver, car mon ami a eu un cancer du poumon alors qu’il n’a jamais fumé. (Votre ami fait partie des 10% de cancers du poumon qui ne sont pas dus au tabac, les 90% restants ne sont dus qu’au tabac !)
Interdire de fumer est une privation des libertés (Aucune loi n’interdit à quiconque de fumer, certaine lois vous interdisent d’enfumer les autres. La différence est très importante)
Mon grand-père a fumé toute sa vie et il est mort à 90 ans. (Il est probable que s’il n’avait pas fumé, il serait mort à 100 ans ! Par ailleurs, votre grand-père ne suffit pas à lui seul à faire une statistique, il en faut des millions pour faire une statistique.)
C’est scandaleux, les anglais refusent d’opérer les artères coronaires des fumeurs. (Effectivement, cela paraît scandaleux, pourtant, en réfléchissant bien, il est aussi scandaleux de laisser croire à quelqu’un que les miracles de la médecine peuvent compenser les méfaits du tabac, les anglais considèrent ceci comme un leurre, un mensonge et un commerce médical coupable. Le politiquement correct peut être médicalement dangereux !)
Ce n’est pas le bon moment pour vous arrêter, vous avez trop de problèmes. (Ce n’est pas une raison pour ajouter un problème de plus, ce pourrait être l’occasion de prouver que l’on peut régler au moins un problème.)
J’ai envie d’arrêter de fumer, je voudrais essayer les patchs. (Les patchs à la nicotine ne servent pas à s’arrêter de fumer, ils ne servent qu’à empêcher la rechute une fois que l’on a cessé de fumer. Faire les deux, ensemble, est dangereux ou nécessite une surveillance médicale rigoureuse.)
Je peux continuer à fumer, car je fais beaucoup de sport. (Le tabac est particulièrement dangereux chez les sportifs, il faut choisir entre sport et tabac. Si vous souhaitez continuer de fumer, il vaut mieux arrêter le sport.)
La pollution est bien pire que le tabac. (La pollution est fort probablement un facteur d’aggravation des maladies ORL et bronchiques, mais pour l’instant, toutes les études démontrent une toxicité largement supérieure du tabac. L’amiante, aujourd’hui supprimé, arrivait juste après le tabac. La pollution est en tout cas une raison supplémentaire de cesser de fumer et d’éviter de prendre sa voiture, soit deux mesures de médecine préventive au lieu d’une seule. Il est préférable de laisser votre enfant dehors lors d’un pic de pollution que de fumer dans le salon lorsqu’il s’y trouve !)
Il existe de nouvelles méthodes douces de fumer comme le narghilé, les cigarettes biologiques, les bidis (cigarettes roulées d’Inde) et les kreteks (cigarettes au clou de girofle d’Indonésie.) Hélas, les premières études déjà réalisées confirment des toxicités identiques. Il s’agit encore de leurres proposés par les marchands dont l’imagination n’est pas près de tarir !