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Livres de biologie et médecine évolutionnistes

Et si le vivant était anarchique

Jean-Jacques Kupiec ▪ Les liens qui libèrent 2019

L’auteur, déjà connu pour avoir été l’un des premiers à dénoncer la suprématie de la génétique sur la biologie, reprend ce thème. Il le fait ici avec plus de sérénité, car le déterminisme génétique est en effet largement remis en cause, il le fait aussi avec plus de hauteur, conforté par ses expérimentations et ses talents incontestables d’épistémologiste.
Disons d’emblée que, malgré sa publication chez un éditeur généraliste, ce livre exigeant est plutôt destiné à stimuler les experts qui n’osent plus sortir de leur laboratoire !
Dès le début L’auteur insiste sur la distinction entre « déterminisme avec bruit » et stochastique. Les aléas des mutations, transcriptions et connexions protéiques ne sont pas du « bruit » dans un monde de déterminisme, ce sont des processus fondamentalement aléatoires.
Pour l’auteur, il faut cesser d’étendre l'ontologie génétique à la théorie de l'évolution, comme l’a tenté la théorie synthétique, il faut au contraire étendre l'ontologie darwinienne de la variation à la biologie fonctionnelle.
On pourrait s’agacer d’y voir une énième querelle reformulée entre molécularistes et évolutionnistes, c’est beaucoup plus que cela. Il démontre patiemment que, depuis les premiers généticiens et les premiers embryologistes, la biologie fonctionnelle a toujours inversé la cause et l’effet. L’ontogenèse n’a pas pour but de construire un organisme individuel, la phylogenèse ne crée pas d’espèce ; ce ne sont pas deux phénomènes objectifs, mais deux manières subjectives d'observer la propagation des lignées généalogiques. L'espèce et l'individu sont deux entités arbitraires et abstraites. Une abstraction n'évolue pas ! L’individu et l’espèce ne sont que des moments d’équilibre apparent, dans le temps et l’espace, entre les contraintes environnementales et le déroulement évolutif d’une lignée généalogique : seule véritable entité objective du vivant.
Il rappelle que Darwin a le premier contesté la notion d’espèce : la variation est première et l'environnement tend à homogénéiser les espèces sans y parvenir totalement.  La stérilité interspécifique n'est pas la cause, mais la conséquence de la spéciation
Ce livre n’est pas non plus une version moderne des vieilles controverses entre structuralistes et adaptationnistes, ou entre saltationnistes et gradualistes, voire entre micro et macro-évolution.  Ni une nouvelle analyse des niveaux et cibles d’action de la sélection naturelle. Non, la thèse est plus simple et plus radicale. Gènes, protéines, cellules, embryons, tissus, organes, individus, tout est niveau de sélection, tout est soumis à un processus stochastique contraint par son environnement local. Le pouvoir causal attribué au gène n’existe pas, il y a un rétro-pouvoir causal (une contrainte) des protéines sur le gène, de la cellule sur les protéines, des tissus sur les cellules, etc.
Si l’anarchie existe à tous les niveaux, pourquoi avons-nous l’impression d’un ordre du vivant ? L’auteur fournit avec pédagogie l’exemple d’une bille soumise à un mouvement brownien qui serait contraint par deux murs latéraux, donnant l’impression d’un déplacement linéaire. Chaque niveau du vivant restreint le potentiel de variabilité du niveau inférieur. Les phénotypes sont réduits aux formes viables. Les cellules ne se différencient pas par instruction du génome, elles ne sont pas là pour former l'organisme, elles vivent pour elles-mêmes mais sont amenées à coopérer. Elles se stabilisent dans des états qui permettent d'interagir avec leurs voisines. Chaque état de l'embryon ne construit pas l'adulte, mais assure la viabilité des cellules qui le composent.
La variabilité darwinienne est la propriété première du vivant y compris dans l’embryon et le milieu intérieur. La phase adulte d’un individu est simplement liée à un équilibre qui dure plus longtemps.  L'anarchie conduit à un ordre par contrainte, mais cet ordre ne vient pas d’en « haut », il ne vient pas du gène. Il insiste en outre sur le fait que l’épigénétique n’est qu’une nouvelle forme du déterminisme génétique trop solidement ancré dans les esprits des biologistes. Il leur conseille enfin d’orienter leurs expérimentations en tenant mieux compte de la fondamentalité stochastique du vivant.

Médecine évolutionniste (ou darwinienne)

Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon. Voir ICI

La phrase biomédicale aléatoire

Une première vision scientifique : de la conscience à l'organe puis au tissu, à la cellule, au gène chromosomique ou au DNA mitochondrial, à la molécule, la science considère que l'infiniment petit est organisé selon des schémas qui font appel à des concepts traditionnels. Comme si du connu on allait explorer l'inconnu à partir de bases solides, comme si l'exploration de la jungle pouvait bénéficier des jardiniers formés par Lenôtre.
― Didier Sicard

La phrase biomédicale aléatoire

Ou le mal que nous craignons existe, ou c'est notre crainte qui est le mal.
― Saint Augustin

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