dernière mise à jour le 16/05/2014
Dans les années 1970, Richard Peto s’étonna de constater que les gros animaux à grande longévité n’avaient pas plus de cancers que les autres, et même souvent moins.
Puisque les cancers proviennent de mutations successives au cours des divisions cellulaires, il était effectivement logique de penser que plus la masse cellulaire est importante, plus le risque d’apparition de cellules tumorales, donc de cancers, y est élevé.
Il était donc paradoxal de constater que les gros animaux avaient souvent moins de cancers que les petits, et parallèlement une plus forte longévité. Depuis 1975, les biologistes nomment ce phénomène : le « Paradoxe de Peto ».
Par exemple, l’homme a 35% de risques de contracter un cancer, alors que la baleine blanche n’en a que 18%.
En biologie, on parle de « coût » pour signifier la dépense énergétique d’un organisme pour assurer telle ou telle fonction. Dans toutes les espèces animales, il y a toujours un compromis entre les différents coûts, aboutissant à favoriser telle fonction ou telle « phase de vie ». Le compromis le plus connu et le plus étudié est le compromis fertilité/longévité.
Ainsi, l’homme et les gros mammifères ont souvent une grande longévité au détriment d’une faible fertilité. Cela signifie qu’il y a un fort investissement dans la réparation cellulaire et les processus de la période du vieillissement, au détriment de la période reproductive. La protection contre les cancers et la réparation des cellules cancéreuses s’intègrent dans ces coûts du vieillissement.
Récemment, une équipe de l’IRD de Montpellier vient d’apporter une explication à ce "Paradoxe de Peto" par une modélisation mathématique fort astucieuse.
En considérant 100 stratégies possibles de mutations génétiques, ces chercheurs ont essayé de déterminer celles qui se maintiendraient le plus souvent après des milliers de générations. Ils ont étudié les deux types de gènes impliqués dans la formation des cancers : les proto-oncogènes dont les mutations induisent des cancers, et les gènes suppresseurs de tumeurs GST), que deux mutations suffisent à rendre inactifs. Une tumeur a d’autant plus de chance d’apparaître et de se développer que les proto-oncogènes sont actifs et les GST inactifs.
En comparant plusieurs animaux dont le poids varie de 20 grammes à une tonne, ils ont constaté que ces gènes réagissent très différemment selon le poids de l’animal.
L’activation des proto-oncogènes semble diminuer lorsque la taille des animaux augmente. À l’inverse, même s’ils favorisent la survie, les GST deviennent trop coûteux pour les espèces de petit ou moyen gabarit, car les répercussions sont trop importantes sur la reproduction.
Pour certains animaux de taille intermédiaire, il a été plus avantageux, du point de vue du coût évolutif, de tolérer plus de morts prématurées par cancer plutôt que de développer des mécanismes pour s’en protéger. Préférant alors investir plus d’énergie dans la reproduction.
La modélisation mathématique étant de plus en plus performante pour la compréhension des lois de l’évolution, cette étude pourrait expliquer en grande partie le "Paradoxe de Peto". Tout cela mérite évidemment de nouvelles recherches et spéculations, mais il est toujours fascinant de constater comment la biologie évolutionniste arrive désormais à décrypter les lois de la nature, et à compléter le livre de l’évolution des espèces.
Caulin A.F., Maley C.C.
Peto’s Paradox: Evolution’s Prescription for Cancer Prevention
Trends Ecol Evol. 2011 April; 26(4): 175–182.
DOI : 10.1016/j.tree.2011.01.002
Roche B. et al.
Natural resistance to cancers: a Darwinian hypothesis to explain Peto’s paradox.
BMC Cancer 12, 387 - (2012)
Roche B., Sprouffske K., Hbid H., Missé D., Thomas F.
Peto's paradox revisited: theoretical evolutionary dynamics of cancer in wild populations
Evolutionary Applications; Volume 6, Issue 1, pages 109–116, January 2013
DOI : 10.1111/eva.12025
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
Une nouvelle école de cliniciens se sent le droit de subordonner le bien-être individuel des patients aux progrès de la science sans qu'ils aient leur mot à dire et sans qu'aucune structure collective ne vienne fixer des limites.
― Philippe Pignarre