dernière mise à jour le 11/04/2014
Suite à la longue histoire de la sélection naturelle, nos corps ressemblent à un miracle de conception et de coordination. Nos cellules et tissus exécutent un ensemble éblouissant de fonctions savamment orchestrées d’où nous émergeons en notre qualité d’individus multicellulaires.
Comme pour tous les systèmes complexes, cette force est aussi notre faiblesse. Nous sommes vulnérables à des exploiteurs : les cellules égoïstes assez semblables aux autres pour tromper nos défenses immunitaires et différentes par leur manque d’altruisme. C’est la définition la plus simple et la plus abstraite du cancer.
En réalité, le cancer est bien plus complexe que nos technologies les plus sophistiquées peuvent l’expliquer. Il embarrasse les médecins et chercheurs par sa mutabilité et sa résilience, que certains, par exaspération, nomment sa « magie » ou son « intelligence». Son adaptation est dynamique en fonction de sa progression et des traitements subis. Sa réponse à la pression environnementale n’est pas celle d’un organisme simple, mais plutôt celle d’une celle d’une population d’individus génétiquement hétérogènes. Ses cellules, favorisant leur survie et leur prolifération, surpassent les cellules saines qui sont dédiées aux performances globales du phénotype qui les porte. Cette conception évolutionniste peut nous aider aussi de façon pragmatique à mieux comprendre et traiter les cancers.
Nous mettons ici en lumière 4 des principaux points exposés lors de ce premier congrès :
- L’importance de mesurer la variation cellulaire pour comprendre la dynamique évolutive des cancers.
- Le conflit des différents processus permettant de supprimer les cellules égoïstes dans les organismes multicellulaires.
- L’évolution des cellules les plus égoïstes d’une tumeur dont certaines savent mieux utiliser les ressources ou acquérir plus rapidement (au regard de l’évolution) des mutations favorables.
- La possibilité pour une cellule somatique d’être littéralement infectée de prédispositions égoïstes par l’action de rétrovirus qui peuvent reprogrammer les cellules à leur profit en négligeant l’organisme multicellulaire hôte.
La règle générale est que la sélection opère sur toutes les unités systémiques où peut survenir une variation héritable. C’est le cas pour les cellules d’un organisme complexe, comme pour un individu ou un groupe social. Plusieurs exposés ont montré l’importance des mesures de variations cellulaires à l’intérieur d’une tumeur spontanément ou en réponse aux traitements.
L’étude et le nombre de ces variations donne une bonne approche des modes évolutifs futurs de la tumeur. Il apparaît que la mesure du nombre de ces variations est bien plus importante que la description anatomopathologique classique de la tumeur !
Construire un organisme multicellulaire complexe exige un degré de coopération et de coordination qui serait impossible si les cellules ne plaçaient pas l’intérêt de la lignée germinale au-dessus du leur.
Cela signifie que le cancer a été le problème majeur à surmonter au moment de la transition évolutionniste vers la multicellularité. Plus les animaux grossissaient et allongeaient leur durée de vie, plus la suppression du cancer a constitué une force sélective.
La biologie comparative ouvre une fenêtre intéressante sur les façons dont l’évolution a supprimé les différentes formes de cancers. Par exemple, chez les différentes espèces de rongeurs dont la taille varie de un à deux et la durée de vie de un à sept. Les espèces de grande taille suppriment en partie les possibilités de cancer en limitant le nombre total de divisions cellulaires par le raccourcissement des télomères à chaque division.
Il apparaît que les reptiles et oiseaux (ovipares) sont moins sujets aux cancers que les mammifères placentaires chez lesquels il existe un conflit intragénomique entre des gènes qui favorisent la prolifération cellulaire interne et ceux qui la contrent. Sur cette base, les chercheurs étudient actuellement le mammifère le plus gros et avec la meilleure durée de vie : la baleine.
Dans l’espèce humaine, il y a en outre une divergence entre notre environnement et celui dans lequel nos ancêtres ont évolué. La transition démographique du néolithique a notamment augmenté l’exposition hormonale. Cela est particulièrement vrai dans le cas du cancer du sein où la meilleure nutrition, la reproduction retardée et le raccourcissement de l’allaitement maternel ont augmenté l’exposition hormonale des femmes et modifié le modèle ancestral de différenciation tissulaire du sein. Les caractéristiques sociales modernes telles que la faible parentèle et le moindre poids social peuvent aussi expliquer en partie l’augmentation de certains cancers, car le lien social joue un rôle protecteur contre le cancer et que l’ocytocine limite la prolifération cellulaire. Les femmes ayant un déficit visuel ou celles moins exposées à la lumière ont des taux plus bas de cancers du sein et un plus fort taux de mélatonine suggérant l’influence possible des perturbations circadiennes dues à l’exposition aux lumières du monde moderne. Cette divergence environnementale n’est valable que pour les cancers hormono-dépendants. Quant aux cancers non hormono-dépendants, ils peuvent résulter des conflits évolutionnistes entre une reproduction précoce et la maintenance d’organismes adultes âgés au-delà de la période de reproduction.
Pour les cancers de la reproduction (sein, prostate) cette approche évolutionniste est certainement très prometteuse.
Nous avons vu comment la dynamique évolutionniste de suppression des cancers peut être comprise comme la nécessité pour les organismes multicellulaires de combattre l’égoïsme cellulaire. Ce modèle peut être appliqué aux cellules égoïstes à l’intérieur de la tumeur, car les cancers ne sont pas des masses homogènes de cellules génétiquement identiques. Les cellules d’un cancer n’ont donc pas les mêmes phénotypes “sociaux” : consommation plus ou moins rapide des ressources aux dépens de leur voisines tumorales, plus ou moins forte production de facteurs de croissance ou d’angiogénèse, mobilité, capacité de reproduction ou de colonisation de nouvelles niches écologiques, etc. En bref, certaines sont encore plus égoïstes que les autres !
Cela signifie que les caractéristiques de bénignité ou de malignité de chaque cellule dépendent de l’environnement et de la pression sélective à l’intérieur et à l’extérieur de la tumeur. Cela suggère une approche potentiellement majeure et contre-intuitive de traitement. Les chimiothérapies agressives et l’immuno-modulation modifient la mortalité extrinsèque et rendent l’environnement imprévisible. Inversement, stabiliser l’environnement des cellules cancéreuses peut être bénéfique en ciblant les cellules les moins agressives
Dans le cas du cancer de l’ovaire de la souris, l’objectif thérapeutique consistant à maintenir la taille de la tumeur a de meilleurs résultats que son irradiation complète. Ainsi, une chimiothérapie faible sélectionne les cellules qui ont l’histoire la plus lente !
Les virus peuvent-ils infecter des cellules à gènes égoïstes ? Est-ce que les anciens rétrovirus introduits dans notre génome attendent l’occasion de transformer leurs cellules hôtes en machineries pour leur propre réplication ?
Quand les virus deviennent provirus en intégrant le génome d’une cellule, leur adaptation se confond avec celle de leur hôte. S’ils induisent la prolifération de leur hôte, ils copient autant de fois leur propre matériel génétique. Cela signifie que la sélection peut s’appuyer sur des provirus pour favoriser la prolifération menant aux cancers. Se dissimuler à l’intérieur d’une cellule est la meilleure stratégie pour se dissimuler au système immunitaire de l’hôte. Ainsi, l’intérêt du provirus est de supprimer l’apoptose de son hôte, le rendre indépendant de l’ancrage et des facteurs de croissance, favoriser sa prolifération et inhiber sa sénescence ; tous facteurs bien connus de la carcinogénèse.
Cette sélection sur les virus peut aussi expliquer la complexité des phénotypes du cancer. Les virus ont un temps immense pour se dissimuler aux mécanismes suppresseurs de tumeurs, alors que les cellules somatiques n’ont que la durée d’une vie humaine.
Mieux encore, les provirus inactivés qui abandonnent les débris de leurs gènes dans notre génome peuvent aussi abandonner les gènes qui nous rendent vulnérables au cancer. Dans cette course aux armements, l’hôte est toujours sur le point de développer un cancer et l’infection par un virus intact risque toujours de fournir la pièce manquante.
La théorie évolutionniste du cancer a survécu à trente ans d’expérimentation et mériterait un plus ample développement en recherche fondamentale. Actuellement, cette théorie n’est invoquée que dans 1% des articles sur la résistance à la thérapeutique et moins de 10% de toutes les publications en cancérologie. Le but du centre “Evolution and Cancer” est de favoriser cette recherche interdisciplinaire.
Athena Aktipis C. Maley C.C.
http://cancer.ucsf.edu/evolution
A report from the First International Biannual Evolution and Cancer Conference. University of California. San Francisco. June 2011
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
À mon avis, ce n'est qu'une façon de parler de dire que le médecin s'est trompé, que le calculateur, le grammairien se sont trompés ; en réalité, selon moi, aucun d'eux, en tant qu'il mérite le nom que nous lui donnons, ne se trompe jamais ; et à parler rigoureusement, aucun artiste ne se trompe ; car il ne se trompe qu'autant que son art l'abandonne, et en cela il n'est plus artiste.
― Platon