Luc Perino : «Le terme "patient zéro" a été utilisé pour la première fois au début de l’épidémie de sida»
L’épidémiologiste a retracé dans son dernier ouvrage l’histoire oubliée des patients zéro, qui sont souvent restés des anonymes. Comme une histoire de la médecine par le bas.
Luc Perino, médecin essayiste et épidémiologiste, vient de publier à la Découverte un livre au titre prémonitoire, Patients zéro. Il ne s’agissait nullement de surfer sur l’actualité puisque ce livre est en préparation depuis des années et a été programmé il y a plus de six mois par son éditeur pour le jeudi 12 mars, jour de l’allocution du chef de l’Etat !
L’objet du livre est surtout de raconter une histoire de la médecine par le bas, du point de vue des patients. Les patients zéro ne sont pas seulement les premiers touchés par une épidémie, mais aussi tous les anonymes qui ont permis une découverte ou un progrès médical, un essai thérapeutique, un premier vaccin. L’histoire n’a retenu que le nom des médecins, des grands professeurs, Pasteur, Broca… mais beaucoup de patients ont souvent sacrifié leur vie à leurs découvertes. Il y a plusieurs siècles, lors des épidémies, les patients zéro pouvaient désigner une population bouc émissaire. Et aujourd’hui encore, des Asiatiques ont été regardés de travers au début de l’épidémie de coronavirus.
Que pensez-vous différentes mesures annoncées ?
Les mesures de confinement sont utiles, car une maladie virale à transmission respiratoire circule très vite et à grande échelle. Un virus de ce type fait le tour du monde en six mois si on ne fait rien. Cela n’évitera pas qu’une grande quantité de personnes soit touchée, mais de façon plus étalée dans le temps, ce qui permet aux services de santé de s’organiser un peu plus. Ceci permet de diminuer indirectement le nombre de décès. Le virus fera quand même le tour du monde, mais moins vite. En principe, un virus perd de sa virulence au cours d’une épidémie. Bonne nouvelle : ce confinement va aussi ralentir toutes les viroses saisonnières, même celle de la grippe classique. Le bilan de la grippe sera sûrement moins lourd cette année.
Les décisions sont très difficiles à prendre par les autorités, car si elles sont excessives, elles déséquilibrent la société et l’économie, et si elles ne le sont pas assez, elles risquent de déséquilibrer le système sanitaire.
Vous établissez une relation entre contagiosité et virulence ?
Un virus ne peut survivre et se reproduire que sur un autre organisme vivant. Comme tout être vivant, il répond aux lois de l’évolution : se reproduire et se diffuser. Le meilleur moyen de se diffuser est d’être très contagieux. Mais sa virulence ne doit pas être trop élevée, car s’il tue son hôte, il se tue lui aussi. Une faible virulence associée à une forte contagiosité est la bonne stratégie d’un point de vue évolutionniste. Historiquement, lors des précédentes grandes épidémies virales, la virulence a toujours baissé. Le confinement permet donc de ralentir la diffusion du virus, mais aussi de gagner du temps dans l’espoir d’une baisse sensible de la virulence, donc de la dangerosité de la maladie.
Pourquoi ce titre, Patients zéro ?
C’est d’abord pour rendre hommage à tous mes patients sans lesquels je n’aurais rien appris et aussi pour réparer une injustice historique : nous n’avons retenu que le nom des mandarins, pas celui des femmes patientes du docteur Charcot, pas celles qui ont été brûlées pour sorcellerie, pas ceux qui ont permis de nouveaux vaccins ou de nouveaux gestes chirurgicaux, comme les amputés des guerres de Charles IX qui ont permis à Ambroise Paré de mettre au point sa technique de ligature des artères et de cautérisation. Je reprends d’ailleurs la phrase de Canguilhem : «Ce n’est pas parce qu’il y a des médecins qu’il y a des malades, c’est parce qu’il y a des malades qu’il y a eu un jour la médecine.»
Quelle est la définition d’un patient zéro ?
On a parlé d’abord de cas index, puis de premier malade. Mais celui qui permet un progrès médical ou qui est le premier hôte d’un virus n’est pas forcément malade. Par exemple, je raconte la vie de Mary Mallon (1869-1938) qu’on avait surnommée «Mary Typhoïde», une cuisinière qui contamina une cinquantaine de personnes sans avoir jamais le moindre symptôme. On l’a mise en quarantaine une… quarantaine d’années. Le patient zéro n’est pas toujours malade. C’est le médecin allemand Koch, qui a donné son nom à un bacille, qui a le premier émis l’idée de porteur sain. Mary Mallon n’a fait que confirmer son hypothèse.
Aujourd’hui pour cette épidémie de coronavirus, on s’aperçoit que les enfants sont probablement des porteurs sains.
Le terme «patient zéro» a été utilisé pour la première fois au début de l’épidémie de sida. Je retrace le parcours du citoyen canadien Gaëtan Dugas qui aurait transmis, sans le savoir, le VIH à plusieurs dizaines de personnes en Californie. Le patient zéro n’est qu’une référence locale. Pour le coronavirus, on remonte au marché de poisson de la ville de Wuhan, mais on remontera peut-être plus loin.
Et on préfère le terme de zéro à «numéro 1» car il est plus vague, il permet de remonter progressivement dans le temps au fur et à mesure des progrès de l’analyse.
A titre de comparaison historique quelles grandes épidémies vous viennent à l’esprit ?
Bien sûr la peste. Mais plus proche de nous, la grippe espagnole qui a fait plus de morts que la Première Guerre mondiale, et enfin une épidémie qui n’est pas terminée : celle du sida. La contamination sexuelle et sanguine est un mode de contagion plus lent que la contamination par respiration, mais le virus est très virulent.
Le Covid-19 est le deuxième coronavirus qui provoque un Sras (un syndrome respiratoire aigu sévère) Le premier Sras en 2004 a été plus sévère mais beaucoup moins contagieux. Celui-ci est très contagieux, mais il a tout de même une létalité de 2 % à 3 %, ce qui est beaucoup pour un virus aussi contagieux. On peut aussi supposer (et espérer) que le premier Sras a permis à certaines populations de produire des anticorps protégeant partiellement contre le second.