LP - Je vais répondre à l’échelle d’un pays. Quand un virus circule dans la population de ce pays, les personnes immunologiquement vierges par rapport à lui soit développent des anticorps et survivent, soit décèdent s’il est virulent. Rapidement, la majorité de la population est apte à se défendre contre les nouvelles attaques. Les nouveaux malades sont donc de plus en plus rares.
MM - Comment se termine une épidémie ?
LP - Je vais répondre à l’échelle d’un pays. Quand un virus circule dans la population de ce pays, les personnes immunologiquement vierges par rapport à lui soit développent des anticorps et survivent, soit décèdent s’il est virulent. Rapidement, la majorité de la population est apte à se défendre contre les nouvelles attaques. Les nouveaux malades sont donc de plus en plus rares.
MM - Pouvez-vous donner un exemple ?
LP - Le plus terrible est celui de la grippe espagnole, en 1918, qui s’est terminée après avoir tué plus de 50 millions de personnes. Les survivants sont devenus résistants. Généralement, l’immunité ainsi acquise contre un virus dure très longtemps, parfois toute la vie. C’est pourquoi lors de la grippe de 2009, causée par le même virus que la grippe espagnole, les personnes âgées ont été moins atteintes que les enfants ; leurs parents ou grands-parents avaient connu cette souche (H1N1). Elles étaient immunisées. À l’inverse, les enfants étaient une population vierge.
MM - Quels peuvent être les scénarios de fin pour le Covid-19 ?
LP - Il faut répondre avec prudence. En France, le pic de l’épidémie sera atteint dans quelques semaines puis, selon la logique que je viens d’expliquer, le virus ne pourra plus contaminer la population. Mais il va continuer à circuler ailleurs selon le même processus et, peu à peu, le monde va s’immuniser contre lui. Nous allons tous développer des anticorps.
MM - En quoi cette pandémie est-elle emblématique de notre époque ?
LP - La transmission du Sars-CoV-2, qui est le nom scientifique du virus actuel, se fait par voie respiratoire. Or, dès le XXe siècle et plus encore au XXIe siècle, il est devenu impossible de cantonner une virose respiratoire. Nous sommes à l’ère des transports internationaux ! C’est parce qu’il n’y avait pas de transports que la peste pulmonaire est restée des siècles en Inde sans qu’on la connaisse à l’extérieur. Aujourd’hui, nous sommes dans une autre pathocénose, un terme de médecine évolutionniste qui désigne la photographie des maladies possibles dans une société et à un moment donnés. À chaque époque sa pathocénose. La peste a suivi la route des épices, la variole et la rougeole celle de Christophe Colomb.
MM - Depuis le sras en 2003, les épidémies semblent s’enchaîner – H1N1 en 2009, chikungunya, Zika, Ebola, mers, Covid-19… Sont-elles plus nombreuses qu’il y a deux siècles ?
LP - Non. Seulement, nous sommes plus savants ! Chaque virus fait systématiquement l’objet d’une analyse. Mais ce que nous appelons la pression parasitaire, c’est-à-dire l’ensemble des nuisances que subit une espèce, à savoir les virus, les bactéries, les parasites et leurs vecteurs pour les humains, ne cesse de reculer, en tout cas dans les pays tempérés. Grâce à la connaissance, qui a permis les vaccins et les antibiotiques, cette pression est sans commune mesure avec ce qu’elle était il y a deux siècles.
MM - Dans son dernier rapport sur la « Préparation mondiale aux urgences sanitaires », l’Organisation mondiale de la santé écrit pourtant que « les chances d’une pandémie mondiale augmentent »…
LP - Oui, en raison des transports. Aujourd’hui, le scénario identifié par les bactériologistes et les épidémiologistes comme le plus réaliste, et plus dangereux encore que la pandémie actuelle, c’est un virus de la grippe aviaire qui muterait pour devenir transmissible entre les hommes. La grippe étant une virose à transmission respiratoire, en six mois, elle pourrait faire le tour du monde et tuer des millions de personnes.
MM - Les conséquences de cette pandémie peuvent-elles entraîner plus de mortalité que la pandémie elle-même ?
LP - C’est fort possible. Mais la question est très complexe. Il y a aujourd’hui une urgence sanitaire contre laquelle on doit faire le maximum. Les médecins et le gouvernement n’ont pas le choix. En revanche, pour les décisions qui concernent le niveau d’alerte, les restrictions de déplacement, les fermetures d’établissements, etc., il faut raisonner dans une autre temporalité, à six mois, un an, deux ans, cinq ans. Or, on peut être sûr que la crise économique qui s’installe va produire du chômage. Ce qui, à moyen ou long terme, pourrait entraîner, par exemple, une augmentation des suicides et des addictions aux drogues et aux antidépresseurs, qui sont hélas des problèmes souvent associés au chômage.
MM - Cela a-t-il déjà été constaté après d’autres épidémies ?
LP - Lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, de 2014 à 2016, la désorganisation des hôpitaux, liée en partie à la contamination de certains soignants, a entraîné une augmentation des décès par diarrhées infantiles ou par manque d’assistance pour les accouchements. À plus long terme, les conséquences économiques et l’insécurité alimentaires ont été terribles. Pour les trois pays concernés, la Sierra Leone, le Liberia et la Guinée, l’OMS estime que le coût s’élève 2,8 milliards de dollars.
MM - Le coût économique du Covid-19 s’annonce très lourd. N’est-ce pas une crise qui aurait été évitée si le virus n’avait pas été détecté ?
LP - Sans nos connaissances virales actuelles, on aurait simplement constaté que la mortalité de la grippe et des viroses saisonnières était plus élevée. Lorsque j’étais jeune médecin, je disais au patient qu’il avait un virus respiratoire saisonnier et ne pouvais savoir s’il s’agissait de tel ou tel virus. Je ne pouvais faire de meilleur diagnostic. Mais aujourd’hui, il n’en est plus ainsi. C’est le résultat du progrès scientifique, et on ne peut ni ne doit l’arrêter ! Il va se poursuivre et de nouveaux virus vont être identifiés. On commence à peine à s’habituer au fait que ce genre de nouvelle épidémie ou maladie émergente survient tous les cinq à dix ans quelque part dans le monde. Ce qui n’empêche pas d’être inquiet à chaque fois, car on ignore toujours les suites possibles.