Dans nos sociétés contemporaines, les principes éthiques ont évolué : on soigne tous les patients, quels qu’ils soient, quel que soit leur âge et leur fragilité. Ce qui fait anticiper un fort besoin dans les services de réanimation. Ces préoccupations n’existaient pas il y a un demi-siècle. On choisit la désorganisation sociale pour pallier la désorganisation hospitalière. C’est le cruel dilemme actuel des dirigeants politiques
EB - Dans votre livre « Patients zéro », vous rendez hommage aux patients qui ont fait avancer l’histoire de la médecine. Qu’est-ce qu’un patient zéro ?
LP - Le patient zéro est un terme uniquement utilisé en infectiologie. Il a été forgé au moment de l’épidémie de sida pour désigner le porteur du virus qui a contaminé la plupart des premiers cas de sida aux États-Unis au début des années 1980. Le terme a ensuite été consacré pour toutes les maladies virales.
EB - Quelles sont les similarités et les différences entre l’épidémie actuelle et celles du passé ?
LP - Cette épidémie est la copie conforme du Syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) en Asie en 2003. C’est une virose à transmission respiratoire, comme la grippe ou les premiers coronavirus. Elles sont très contagieuses et on ne peut pas les empêcher de circuler. Le Sras a été limité à l’Asie et au Canada car le virus était moins contagieux, et a été jugulé très vite. Le covid-19 est, lui, deux fois plus contagieux que la grippe :on ne pourra donc pas l’empêcher de faire le tour du monde. Un virus se propage avec les déplacements des hommes. Les maladies correspondent à l’histoire des civilisations. Historiquement, la peste était d’abord confinée uniquement en Inde. Le jour où s’est ouverte la route des épices ente l’Inde et l’Europe, le bacille est arrivé en Europe. Aujourd’hui, dans un monde globalisé le virus se répand immédiatement à l’échelle de la planète.
EB - Combien de temps pourrait durer l’épidémie ?
LP - On peut ralentir la progression du virus grâce au confinement. Au lieu de faire le tour du monde en six mois, on peut espérer que le virus le fera en deux ou trois ans. Une fois le pic épidémique passé, quand la circulation du virus reprendra plus lentement, la majorité de la population aura certainement développé une vaccination naturelle. Avec le confinement, l’espoir est de ralentir la circulation du virus pour étaler le pic épidémique. L’incidence de la maladie est très faible à l’échelle de la population. Il y a très peu de malades, la plupart des personnes sont des porteurs sains du virus.
EB - Pourquoi un tel décalage entre le faible taux de mortalité et la mise du monde à l’arrêt ?
LP - Ce qui est dangereux, c’est le pic épidémique. L’objectif est d’éviter l’afflux brutal des patients qui ferait s’écrouler le système de soins. Dans nos sociétés contemporaines, les principes éthiques ont évolué : on soigne tous les patients, quels qu’ils soient, quel que soit leur âge et leur fragilité. Ce qui fait anticiper un fort besoin dans les services de réanimation. Ces préoccupations n’existaient pas il y a un demi-siècle. On choisit la désorganisation sociale pour pallier la désorganisation hospitalière. C’est le cruel dilemme actuel des dirigeants politiques.