Certaines réalités sanitaires interpellent les médias, qui en grossissent l'effet. L'épidémie connaît elle-même une inflation dans les discours, permettant à ces laboratoires de se livrer à un chantage sanitaire sur les ministères, effrayés à l'idée de devoir porter la moindre responsabilité
Le Point : Si l'on compare l'épidémie du Sras en 2002 à celle du coronavirus actuel, le Covid-19, quelles différences relevez-vous ?
Luc Perino : Les épidémiologistes étudient deux aspects d'un virus : sa létalité, tout d'abord. Celle du Covid-19 est de 2 %, celle du Sras fut de 10 %. Sa contagiosité ensuite. Comme pour le Sras, c'est une transmission interhumaine qui se fait par respiration, elle est à peu près similaire. On sait qu'à Wuhan, 600 000 patients ont été diagnostiqués sur une population proche de 12 millions d'habitants : le taux d'atteinte est donc de 5 %. Le taux de mortalité pourrait donc avoisiner 0,1 %. Un chiffre à comparer avec nos grippes, plus contagieuses, qui tuent chaque année en France de 5 000 à 15 000 personnes et dont le taux de létalité est de 0,1 à 0,5 %, donc un taux de mortalité encore plus faible. (Précisons que la létalité se mesure par rapport au nombre de cas et la mortalité par rapport à toute la population.)
Le Point : Pourquoi y a-t-il l'apparition d'une nouvelle souche de virus ?
Luc Perino : Un virus est toujours en mutation, surtout les virus à ARN, qui provoquent des maladies telles qu'Ebola, le Sras, la grippe, l'hépatite C ou la rougeole. C'est sa nature. Dans la famille des coronavirus, on a identifié quatre souches bénignes et quatre souches graves, dont le Sras, le Mers qui a sévi en Arabie saoudite à partir de 2016 et le Covid-19 aujourd'hui. L'homme est porteur d'anticorps, qui sont la réponse immunitaire aux antigènes de ces différentes souches. Quand s'opère une mutation, il y a un nouvel antigène pour lequel l'homme ne dispose pas toujours d'anticorps. Mais il faut préciser qu'un virus, au fil du temps, perd souvent de sa virulence, c'est une loi de l'évolution : il n'a pas intérêt à tuer son hôte, car, en le tuant, il disparaît aussi. Les médias, qui ne s'intéressent qu'aux pics, ne parlent plus du Sras ni du Mers, mais ils sont toujours actifs.
Le Point : Vous évoquez dans votre ouvrage l'identification de différents patients zéros lors de l'épidémie du Sras ? On a désormais les moyens d'un tel dépistage…
Luc Perino : Auparavant, on pouvait localiser le foyer dans une région, même si pour le cas de la peste, on avait su repérer le bateau génois, contaminateur, qui était arrivé dans le port de Marseille en 1347. La méthode est la même, seuls les moyens ont évolué, qui permettent des recherches plus rapides. Pour le Sras, on avait diagnostiqué un docteur de Canton, qui était venu au mariage de son neveu à Hongkong, et où il va décéder à l'hôpital Kwong Ha. Les foyers d'infection avaient été l'hôtel Métropole qu'il avait fréquenté, ainsi que l'aéroport. Puis on a circonscrit l'origine à Foshan, une ville proche de Canton, et en consultant les dossiers des décédés, on est remonté jusqu'à un marchand de Foshan, qui aurait été en contact avec une civette, elle-même probablement contaminée par une chauve-souris. Actuellement, ces mêmes recherches sont en cours.
Le Point : Aujourd'hui, c'est le pangolin, mammifère très prisé des Chinois pour sa chair, qui est dans le viseur comme étant l'hôte intermédiaire ayant permis par une mutation la transmission interhumaine. N'y a-t-il pas une spécificité chinoise qui favorise les épidémies ?
Luc Perino : Pour certaines zoonoses, autrement dit, les maladies transmises par l'animal à l'homme, ce dernier est une impasse, à savoir qu'il n'y a pas de transmission interhumaine, car la souche virale n'a pas muté pour la permettre, c'est le cas par exemple de la grippe aviaire, qui n'a contaminé que des éleveurs de volailles. Il est certain que la Chine présente plusieurs conditions nécessaires pour l'émergence des épidémies. Tout d'abord, la très forte modification de structure des populations. Il y a 40 ans, 90 % de la population était rurale, aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 50 %. La concentration urbaine, nouvelle, a bondi, une concentration à laquelle l'Occident, lui, est habitué depuis le XIXe siècle. Par ailleurs, même si les Chinois respectent une certaine hygiène alimentaire – ils stérilisent et font bouillir leur eau –, ils vendent leurs animaux vivants. Pourquoi ? Essentiellement parce que la population a des habitudes encore rurales et que ce n'est pas un problème pour eux de tuer un animal, ensuite parce qu'ils ont ainsi la certitude d'avoir un produit frais. Hélas, les bactéries et virus se promènent plus facilement sur des animaux vivants que morts.
Le Point : Comment évaluer la riposte de la Chine, eu égard à l'antécédent du Sras ?
Luc Perino : En 2002, ils avaient menti effrontément, de manière pitoyable. Cette fois-ci, après un petit laps de temps où ils ont essayé de tricher encore, ils ont voulu montrer à l'OMS que leurs mœurs avaient changé et ils ont fait preuve d'un excès de zèle en confinant des dizaines de millions de personnes. Cela améliore leur image à l'étranger, et, par ailleurs, en contrôlant l'épidémie sur le plan intérieur, ils tentent d'en minimiser le coût économique. Il faut savoir que le Sras avait été la première épidémie dont on a évalué l'impact en termes non plus seulement sanitaires, mais économiques, en l'occurrence 30 milliards de dollars. Mais des mesures de confinement exagérées peuvent entraîner des déséquilibres économiques ; on en a la certitude depuis Ebola qui a tué davantage par la désorganisation des hôpitaux et de la société que par le virus.
Le Point : Confiner produit tout de même un effet de ralentissement…
Luc Perino : En effet. Cela veut dire que le virus fera le tour du monde non plus en six mois, mais en cinq ou dix ans. La transmission sera plus lente, les chiffres seront étalés. Pendant son tour du monde, les populations développeront progressivement des anticorps adaptés à la nouvelle mutation. Ce qui est finalement une bonne chose. Ce sont encore les lois de l'évolution.
Le Point : Vous évoquez une utilisation mercantile par certains laboratoires de cette phobie de la pandémie…
Luc Perino : C'est un cercle vicieux. Certaines réalités sanitaires interpellent les médias, qui en grossissent l'effet. L'épidémie connaît elle-même une inflation dans les discours, permettant à ces laboratoires de se livrer à un chantage sanitaire sur les ministères, effrayés à l'idée de devoir porter la moindre responsabilité. C'est le cas déjà du Covid-19 où l'on entend parler de tractations entre certains ministères et le groupe Gilead, qui entend proposer le Truvada, utilisé jusque-là dans la prévention du sida.