"J'ai pu remarquer que dans l'inconscient collectif, nous faisons face à un phénomène de démesure face à la maladie infectieuse. Nous les considérons comme les plus graves de toutes. On imagine l’apocalypse virale. Cette démesure n’est pas raisonnable car il y a beaucoup de choses plus graves qui ne nous embêtent pas. C’est le rapport entre l’infectieux et ce qui ne l’est pas qui est totalement démesuré."
Alors que la recherche du “patient zéro” de la covid-19 occupe des scientifiques du monde entier, prenons un peu de recul et intéressons-nous aux autres “patients zéro” de l’histoire. Pour en parler, mêlons l’interprétation historique de Guillaume Lachenal à celle du médecin Luc Perino.
Alors que la recherche sur la Covid-19 progresse de jour en jour, chaque découverte nouvelle semble à la fois nous éclairer et rendre la situation plus complexe. Fumer fragilise les poumons et aggrave les conséquences du virus. Oui, mais la nicotine réduirait les chances de l’attraper. Si la multiplication de ces paradoxes donne une impression de flou, elle n’est pas si inédite qu’elle n’en a l’air. L’histoire de la médecine est en effet une histoire de tâtonnements, d’erreurs et de hasards, autant que de glorieuses découvertes et d’intuitions géniales. C’est sur cette histoire que nous nous retournons avec nos deux invités de ce matin, pour mettre en perspective notre situation actuelle. Et nous recevons pour commencer le médecin et essayiste Luc Perino, dont le très actuel dernier ouvrage, "Patients zéro : Histoires inversées de la médecine", nous rappelle que cette histoire de la médecine une histoire de patients autant que de médecins. Nous recevrons ensuite Guillaume Lachenal, professeur d’histoire des sciences au Médialab Sciences Po, spécialiste de l’anthropologie des épidémies et de la santé publique dans les contextes coloniaux et post-coloniaux d’Afrique.
Revenir dans le passé pour comprendre le présent "Le terme de patient zéro est utilisé pour les maladies infectieuses. Les progrès médicaux ont été très rapides depuis les essais de Pasteur. Aujourd'hui, ils sont si rapides qu’ils dépassent les tests cliniques. Maintenant on a un décryptage génétique des virus qui a complètement modifié notre approche de ces maladies." D’un point de vue fondamental, nous connaissons mieux les nouveaux virus. Quand il y a un nouveau virus pathogène, on arrive à comprendre pourquoi il est là. Et la plupart du temps, c’est une zoonose, un virus qui passe de l’animal à l’homme. Luc Perino "Le SRAS de 2003 est très intéressant pour la première fois nous avons trouvé un coronavirus très pathogène et dangereux. On a identifié très vite la maladie et le patient zéro, c’était un véritable exploit d’un point de vue génétique." Des virus qui réveillent nos peurs ? "J'ai pu remarquer que dans l'inconscient collectif, nous faisons face à un phénomène de démesure face à la maladie infectieuse. Nous les considérons comme les plus graves de toutes. On imagine l’apocalypse virale. Cette démesure n’est pas raisonnable car il y a beaucoup de choses plus graves qui ne nous embêtent pas. C’est le rapport entre l’infectieux et ce qui ne l’est pas qui est totalement démesuré." Dans l’histoire de la médecine, sans les malades on ne peut pas faire toutes les découvertes qui ont été faites. (...) Et le plus souvent, la virulence des épidémies diminue au fil du temps. Luc Perino
La difficile question de la préparation "Depuis le milieu des années 1990, nous ne nous sommes jamais aussi bien préparés à l’épidémie elle représente une menace des plus importantes pouvant bouleverser notre monde mondialisé. Mais en se préparant, nous nous sommes impréparés. On a mis l'accent d’un côté sur les politiques sécuritaires tout en laissant les politiques sanitaires aller dans une dérive importante en baissant les coûts et les salaires. On a démantelé la santé publique." C’est un rappel que les épidémies finissent rarement. Elles laissent derrière elles des gens que l’on a perdus et elle laisse aussi des séquelles dans les corps. Elles laissent aussi un héritage dans la recherche et dans la société qui doit être positif. Guillaume Lachenal "Sur la grippe de 2009, le consensus général était de dire qu’on en avait trop fait, même l’OMS avait tiré ce bilan. il y avait eu un problème de surinterprétation de la crise. Et cette surinterprétation a eu un effet balancier contraire pour les crises sanitaires suivantes dont le coronavirus."