Si vous pensez que la médecine ne s’occupe que des maladies, alors lisez bien cet entretien avec le Dr Luc Perino. Auteur du livre Les non-maladies, cet infatigable observateur de la médecine met le doigt là où ça fait mal. Il y dénonce les dérives d’un système qui se complait à voir dans chaque bien-portant... un malade qui s’ignore.
Surmédicalisation et surdiagnostics : les dérives de la médecine moderne
Le Dr Luc Perino publie Les non-maladies, un ouvrage dans lequel il dénonce l’emprise des firmes pharmaceutiques sur la santé publique.
« Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore. » Cette réplique emblématique de Knock reste d’actualité. Dans son dernier ouvrage, Luc Perino, médecin généraliste, essayiste et enseignant à l’université Lyon 1, nous livre ses réflexions épistémologiques sur ce que sont les « vraies maladies » et les « non-maladies ». Dans les cabinets médicaux, ces dernières accaparent beaucoup du temps des médecins. Elles génèrent du stress chez les patients et coutent cher aux systèmes de santé. Mais qui sont les « non-maladies » ?
Une « vraie maladie » est une pathologie pour laquelle il existe un consensus entre le médecin et le malade : par exemple, le patient consulte pour les symptômes d’ une angine, le médecin pose un diagnostic correspondant aux symptômes et prescrit les médicaments adaptés. Mais toutes sortes de situations regroupées dans la famille des « non-maladies » ne répondent pas à ces critères.
Des symptômes mais pas de maladie : les maladies non-objectivables
Un patient consulte son médecin et se plaint de son état de santé, mais le médecin ne fait pas de diagnostic : c’est une « maladie non-objectivable ». Cette catégorie inclut les plaintes concernant la fatigue chronique, des douleurs diffuses (fibromyalgie…), les troubles digestifs ou les troubles de l’humeur.
Prenons la dépression. Elle trouve souvent son origine dans le stress au travail, un deuil, des difficultés familiales, la perte d’un emploi, autant de causes environnementales sur lesquelles le médecin n’a aucune prise. Mais ce mal-être est devenu une aubaine pour les industriels qui vendent des antidépresseurs. « Le marché a inventé que la dépression est due à une baisse de la sérotonine et vend un médicament qui augmente le taux de sérotonine mais qui ne fonctionne que dans 15 % des cas. » Ces antidépresseurs présentent de nombreux effets secondaires, ils « ont un rapport bénéfices/risques largement négatif », affirme le Dr Perino. Et ils sont parfois prescrits dans des cas de dépressions légères et modérées. « Qui peut passer une vie entière sans avoir un jour une dépression légère ou modérée ? Personne, » s’insurge le Dr Perino.
Des maladies sans symptômes : les objets non-maladies
Ici, le sujet ne se plaint pas mais le médecin pose un diagnostic en s’appuyant par exemple sur des examens de biologie médicale ou d’imagerie. C’est le cas de diagnostics réalisés après un dépistage systématique du cancer ou une cholestérolémie trop élevée.
Dans le cas du cancer du sein, la « maladie » est souvent détectée à un stade très précoce, si précoce qu’il est difficile de savoir comment elle aurait évolué. « Le cancer peut ne pas évoluer ou évoluer sans donner de symptômes et la patiente mourra d’autre chose. » En raison du stress et des traitements lourds qu’entraînent ces dépistages, on peut s’interroger sur leur efficacité. Pour les campagnes du cancer du sein, nous avons des décennies de recul. Or « on s’aperçoit que l’âge moyen constaté à la mort par cancer du sein n’a pas été modifié. » Pour Luc Perino, l’explication tient au « déplacement du temps zéro », au fait que le cancer soit détecté plus tôt, avant le stade clinique : « on trouve un cancer du sein, on dit à la patiente qu’on la traite, si à 5 ans elle n’a rien elle est considérée comme guérie. Mais si on fait un diagnostic d’un cancer qui n’apparaît jamais, on est guéri avant d’avoir été malade ! »
Pour Luc Perino, les dépistages systématiques des cancers sont basés sur deux dogmes. Le premier est celui de la continuité physio-pathologique : « l’idée que tout cancer, quelle que soit sa taille et sa composition, va forcément grossir, donner des métastases et tuer la personne qui le porte, avant sa mort naturelle ». Le second est le dogme de l’équivalence du traitement préclinique : l’idée que « le traitement que l’on va faire avant que le cancer devienne clinique aura la même efficacité que le traitement qu’on fera après que le cancer devienne clinique ».
Les mêmes mécanismes sont en jeu dans le traitement de l’hypercholestérolémie, quand le patient n’a pas eu d’accident cardiovasculaire : « Faire baisser le cholestérol chez quelqu’un qui n’a jamais eu d’AVC ou d’infarctus ne sert à rien. Par contre, après un premier infarctus ou un premier AVC, faire baisser le cholestérol peut un peu retarder le moment du second infarctus ou du second AVC. »
Des pratiques administratives et commerciales : les hors sujets sanitaires
Enfin, différentes problématiques relèvent plus d’une pratique commerciale ou administrative que de l’exercice de la médecine. Ces « hors sujets sanitaires » regroupent les certificats médicaux pour le sport, pour les assurances, mais aussi les demandes concernant la chirurgie esthétique, voire la procréation médicalement assistée. Parce que les femmes deviennent mères de plus en plus tard, les problèmes d’infertilité sont plus fréquents. Mais, après 30 ans, « si vous n’arrivez pas à avoir d’enfant, vous n’êtes pas malade. La fécondité diminue beaucoup et très vite après 30 ans. » La médecine propose des solutions pour répondre à une évolution sociétale, mais non pour pallier à un véritable problème de santé.
Vers une médecine moins marchande
Alors quelle médecine pour demain ? « Je souhaite revenir à une époque où la médecine était faite par des médecins, et non par des marchands. » Et plus dans l’intérêt des patients.