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Génomes de cancer

dernière mise à jour le 19/05/2015

Tous les cancers surviennent à la suite de changements intervenus dans la séquence d'ADN du génome des cellules cancéreuses. Dans le dernier quart de siècle, nous avons beaucoup appris sur ces mutations et sur les gènes anormaux qui opèrent dans les cancers. Nous arrivons maintenant à un stade où il est possible de lire la séquence complète de l’ADN d’un grand nombre de génomes de cancer. Ces études vont nous ouvrir une perspective sur le mode de développement des cancers individuels.

Le cancer est responsable d'un décès sur huit dans le monde. Il englobe plus de 100 maladies distinctes avec divers facteurs de risque, ils concernent la plupart des types cellulaires et organes du corps humain et sont caractérisés par une prolifération cellulaire anarchique qui dépasse les limites tissulaires et peut métastaser à d’autres organes.
Les premières indications sur le rôle central du génome dans le développement du cancer apparurent à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, avec les études de David Von Hansemann et Theodor Boveri. Ils ont observé la présence d’aberrations chromosomiques au microscope. Cela a conduit à la proposition selon laquelle les cancers sont des clones de cellules anormales avec des anomalies du matériel héréditaire. Suite à la découverte de l'ADN comme substrat moléculaire de l'hérédité et de la détermination de sa structure, cette spéculation a été soutenue par la découverte d’agents qui endommagent l'ADN et génèrent des mutations provoquant le cancer. Ensuite des analyses de plus en plus fines de chromosomes de cellules cancéreuses ont montré des anomalies génomiques spécifiques et récurrentes, telles que la translocation entre les chromosomes 9 et 22 dans la leucémie myéloïde chronique, plus connue sous le nom « translocation Philadelphie » ou « chromosome Philadephie ». Il a aussi a été démontré que l'introduction d’un ADN de cancer humain dans des cellules NIH3T3 phénotypiquement normales pouvait les transformer en cellules cancéreuses. L’isolement du segment d'ADN spécifique responsable de cette transformation a conduit à l'identification de la première séquence naturelle responsable de cancer : la substitution G>T transformant la glycine en valine dans le codon 12 du gène HRAS. Cette découverte fondamentale en 1982 a inauguré une ère d’intenses recherches de gènes anormaux qui sous-tendent le développement des cancers humains.
Ici nous passons en revue les principes de notre compréhension actuelle des génomes de cancer. Nous nous réjouissons de l'explosion des connaissances actuelles et des perspectives qu’elles ouvrent dans la compréhension des processus d'oncogenèse.

Le cancer est un processus darwinien
Tous les cancers sont censés avoir une pathogénie commune. Chacun est le résultat d'un processus d'évolution darwinienne dans le microenvironnement des populations cellulaires d’un organisme multicellulaire. Comme pour l'évolution darwinienne de l’origine des espèces, le développement du cancer est basé sur deux processus : l'acquisition continue de variations génétiques héréditaires dans des cellules individuelles par mutation aléatoire, et la sélection agissant sur la diversité des phénotypes qui en résultent. La sélection peut éliminer les cellules ayant acquis des mutations délétères ou elle peut favoriser des cellules portant des modifications qui leur confèrent la capacité de proliférer et de survivre plus efficacement que leurs voisines. Chez un homme adulte, il y a probablement des milliers de gagnants mineurs de cette compétition, dont la plupart ont un potentiel limité de croissance anormale et sont invisibles ou ne se manifestent que par des tumeurs bénignes communes telles que les grains de beauté. Parfois, cependant, une seule cellule acquiert un ensemble suffisant de mutations avantageuses qui lui permettent de proliférer de manière autonome, d’envahir les tissus et de métastaser.

Catalogue des mutations somatiques dans un génome de cancer
Comme toutes les cellules, une cellule cancéreuse est une descendante directe, par une suite de mitoses, de l’œuf fécondé, dont elle porte une copie du génome diploïde du patient. Cependant, la séquence d'ADN d'un génome de cancer, et en fait, de la plupart des génomes de cellules normales, a acquis un ensemble de différences depuis la fécondation de l’ovule. On les nomme mutations somatiques pour les distinguer des mutations de la lignée germinale héritées des parents.
Les mutations somatiques dans un génome de cellule cancéreuse peuvent englober plusieurs classes de changement de séquence d'ADN. Celles-ci comprennent des substitutions d'une base par une autre, des insertions ou délétions de petits ou grands segments d'ADN; des réarrangements où un ADN cassé a été joint à un ADN quelconque du génome. Les copies d’ADN peuvent aussi augmenter par le phénomène « d’amplification génique » ou au contraire être supprimées jusqu’à la disparition totale d’une séquence d’ADN dans le génome du cancer.
En outre, la cellule cancéreuse peut avoir acquis, à partir de sources exogènes, de nouvelles séquences d’ADN, notamment celles de virus tels que papillomavirus, HHV8, EBV, HBV ou le virus T lymphotrope (HTLV), chacun étant connu pour contribuer à la genèse d’un ou plusieurs types de cancer.
Le génome du cancer contient également des changements épigénétiques acquis qui modifient la structure de la chromatine et l'expression du gène, et qui se manifestent au niveau de la séquence d'ADN par des changements dans l'état de méthylation de certains résidus de cytosine. Les changements épigénétiques peuvent être soumis à la même sélection darwinienne que les événements génétiques, à condition qu'il existe une variation épigénétique dans la population de cellules concurrentes, que les changements épigénétiques soient héritables de la cellule mère à la cellule fille et qu'ils produisent des effets phénotypiques sur lesquels la sélection peut agir.
Enfin, il ne faut pas oublier qu'un autre génome est également hébergé par la cellule cancéreuse, celui des milliers de mitochondries qui portent chacune un génome circulaire d'environ 17 kilobases. Des mutations somatiques dans le génome des mitochondries ont été rapportées dans certains cancers, sans que l’on connaisse leur rôle exact dans le développement de la maladie.

Acquisition de mutations somatiques dans les génomes de cancer
Les mutations trouvées dans un génome de cellule sont accumulées tout au long de la vie du patient. Certains ont été acquis alors que les ancêtres de la cellule cancéreuse étaient biologiquement normaux, ne montrant aucune caractéristique phénotypique de cancer. L’ADN des cellules normales est continuellement endommagé par des mutagènes internes et externes. La plupart de ces dommages sont réparés. Cependant, une petite fraction peut être convertie en mutations fixes, et la réplication de l'ADN induit elle-même un faible taux d'erreur intrinsèque. Notre compréhension des taux de mutation somatique dans les cellules normales est encore rudimentaire. Cependant, il est probable que le taux de chacune des différentes classes structurales de mutation somatique diffère et qu'il y a aussi des différences entre les types de cellules. Les taux de mutation augmentent en cas d'expositions mutagènes, comme la fumée de tabac, les carcinogènes d'origine naturelle comme les aflatoxines produites par des champignons, ou diverses formes de rayonnement dont les UV.
Ces expositions sont respectivement associées à une augmentation du taux de cancers du poumon, du foie et de la peau, et des signatures de mutations sont associées à ces agents mutagènes. Les taux de différentes classes de mutations somatiques sont également augmentés dans plusieurs maladies héréditaires rares, par exemple l'anémie de Fanconi, l’ataxie télangiectasie, l’aneuploïdie en mosaïque et le xeroderma pigmentosum, chacun d'eux étant également associé à des risques accrus de cancer.
Le reste des mutations somatiques dans le génome du cancer a été acquis après que les prédécesseurs aient déjà des preuves phénotypiques de cancer. On discute toujours pour savoir si le taux de mutation somatique est plus élevé pendant cette seconde période de la lignée cellulaire. Pour certains cancers c’est clairement le cas, par exemple, les cancers colorectaux et de l'endomètre avec réparation défectueuse des disparités de l'ADN, de décalage en raison d'anomalies de gènes tels que MLH1 et MSH2, de taux supérieurs de changements de nucléotides et de simples et petites insertions/délétions sur des polynucléotides. D'autres classes de tels « phénotypes mutateurs » (ou phénotype RER : Replication Error Positive) peuvent exister conduisant, par exemple à des anomalies du nombre des chromosomes ou à des taux de réarrangement génomique augmentés, mais elles sont moins bien caractérisées. Le mérite d'un taux accru de mutations somatiques dans le développement du cancer est l’augmentation de la diversité des séquences d'ADN sur lesquelles la sélection peut agir. Cependant, il a été suggéré que le taux de mutation des cellules normales peut être suffisant pour expliquer l'évolution de certains cancers, sans nécessité d'un phénotype mutateur.
Le cours d'acquisition des mutations n’est pas toujours calme et les prédécesseurs de la cellule cancéreuse peuvent soudain acquérir un grand nombre de mutations. On parle alors de « crise » qui peut survenir après attrition des télomères qui coiffent normalement les extrémités des chromosomes ; la cellule doit alors réorganiser une partie substantielle de son génome pour survivre.
Bien que complexe et difficile à déchiffrer, le catalogue des mutations somatiques d’une cellule cancéreuse représente donc un enregistrement archéologique cumulatif de tous les processus de mutation de la cellule cancéreuse tout au long de la durée de vie du patient. Il fournit une riche, et encore non exploitée, source d'information pour les épidémiologistes et biologistes qui étudient le développement des tumeurs individuelles.

Mutations conductrices et passagères
Chaque mutation, indépendamment de sa structure, peut être classée selon ses conséquences sur le développement du cancer. Les « mutations conductrices » confèrent un avantage de croissance aux cellules qui les portent et ont été positivement sélectionné lors de l'évolution du cancer. Elles se trouvent, par définition, dans les sous-ensembles de gènes appelés «gènes du cancer». Les autres mutations sont «passagères» et ne confèrent pas d’avantage de croissance, mais étaient présentes lors de l’acquisition d’une mutation conductrice.
Le nombre de mutations conductrices, et donc le nombre de gènes de cancer dans un cancer individuel est un paramètre conceptuel central de développement d'un cancer, mais n’est pas encore bien établi. Il est très probable que la plupart des cancers portent plus d'un conducteur et que leur nombre varie selon les types de cancer. Sur la base de statistiques sur l’âge d’incidence il a été suggéré que des cancers épithéliaux de l’adulte, comme le cancer du sein du colon ou de la prostate, ont besoin d’un taux limite de 5 à 7 évènements tels qu’une mutation conductrice, alors que les cancers du système hématopoïétique peuvent en exiger moins. Ces estimations sont appuyées par des études expérimentales qui montrent que des modifications d'au moins cinq ou six gènes sont nécessaires pour donner une cellule cancéreuse. Toutefois, de récentes analyses indiquent que ce nombre de conducteurs pourrait être beaucoup plus élevé. En fin de compte, les estimations directes du nombre de conducteurs de cancers particuliers seront fournies par l'identification de tous les gènes du cancer et par la mesure systématique de la prévalence des mutations dans chacun d’eux.
Une sous-classe importante de conducteurs est une mutation qui confère une résistance aux thérapies. Ils sont généralement trouvés dans les récidives de cancers qui ont initialement répondu au traitement, mais qui sont maintenant résistants. La plupart du temps, les mutations de résistance confèrent peu d'avantages de croissance aux cellules cancéreuses en l'absence du traitement. Certaines semblent antérieures au début du traitement, existant comme passagères dans des sous-clones mineurs de population de cellules cancéreuses, jusqu'à ce que l’environnement change avec le début du traitement. Le passager est alors converti en un conducteur et le sous-clone résistant s’étend préférentiellement ; c’est alors une récidive du cancer.

Le répertoire des gènes de cancer somatiquement mutés
L'identification des mutations conductrices et des gènes qu’elles altèrent a été le but principal de la recherche sur le cancer pendant plus d'un quart de siècle. Le succès de cet effort a été remarquable, avec au moins 350 (1,6%) des 22 000 gènes codant pour des protéines, montrant des mutations somatiques récurrentes dans les cancers avec une forte présomption dans leur contribution au développement des cancers (http: //www.sanger.ac.uk/genetics/CGP/Census/). La plupart ont été identifiés en établissant d'abord leur emplacement physique dans le génome par des criblages de basse résolution, en particulier la cytogénétique sur des translocations chromosomiques dans les leucémies et lymphomes. Quelques-uns ont été découverts en utilisant des essais de transformation de l’activité de l’ADN du génome cancéreux, d’autres par des criblages de mutations bien ciblées. Des mutations dans 10% de ces gènes sont également présentes dans la lignée germinale, où elles augmentent le risque de développer un cancer, et ceux-ci ont souvent été identifiés par analyse des liaisons génétiques des familles concernées. La taille du répertoire complet des gènes de cancer humain reste un sujet de spéculation. Cependant, des études sur les souris laissent penser que plus de 2000 gènes, avec des mutations spécifiques peuvent contribuer au développement des cancers.
Les gènes du cancer connus couvrent toute la gamme des spécificités des tissus et des prévalences des mutations. Certains, par exemple TP53 et KRAS, sont fréquemment mutés dans divers types de cancer alors que d'autres sont rares et/ou limitée à un type de cancer (http://www.sanger.ac.uk/genetics/CGP/cosmic/). Dans certains types de cancer, par exemple colorectal ou du pancréas, des anomalies dans plusieurs gènes de cancer sont fréquentes. En revanche, dans le cancer gastrique, relativement peu de mutations connues ont été rapportées.
Environ 90% des gènes mutés agissent de façon dominante, donc la mutation d'un seul allèle est suffisante pour contribuer au développement du cancer. La mutation se traduit alors généralement par l'activation de la protéine codée. Dix pour cent agissent de manière récessive, ce qui nécessite la mutation des deux allèles, et la mutation aboutit généralement à l'abrogation de la fonction des protéines, ces gènes sont parfois nommés : « gènes suppresseurs de tumeur »).
Les modes de mutation diffèrent entre gènes dominants et récessifs. Les gènes de cancer récessifs sont caractérisés par divers types de mutation allant de simples substitutions de base à la délétion de gènes entiers, dont le résultat commun est l’abolition de fonction de la protéine codée. Dans chaque gène dominant, le répertoire de mutations somatiques cancérigènes est généralement plus limitée, à la fois en ce qui concerne le type de mutation et son emplacement dans le gène. Des changements d'acides aminés faux-sens, des insertions et délétions, des amplifications géniques, autant de mécanismes communs de mutation. La plupart, cependant, sont activés par des réarrangements génomiques. Ce peut être la jonction des séquences de deux gènes différents en créant un gène de fusion ou le placement adjacent à des éléments régulateurs provenant d'autres parties du génome, entraînant une expression anormale. La plupart des gènes réarrangés de cancer connus sont actifs dans de rares sous-ensembles de cancers constitués par les leucémies, les lymphomes et les sarcomes. Récemment, cependant, de tels gènes de fusion réarrangés ont été découverts dans plus de la moitié des cancers de la prostate et dans des adénocarcinomes du poumon. Leur découverte tardive reflète probablement la difficulté de les identifier dans le fouillis des réarrangements passagers présents dans de nombreux génomes de cancer, et laisse supposer qu’on en trouvera bien d’autres dans des cancers communs.
Une grande partie de ce que nous savons des voies et processus de cancérogénèse vient des expériences explorant les fonctions des gènes du cancer. Certaines familles de gènes, en particulier les protéine-kinases, apparaissent prédominantes parmi les gènes du cancer. En outre, des clusters de gènes de cancer sur certaines voies, par exemple dans les mutations en amont de la voie classique MAPK / ERK, sont trouvés dans les récepteurs membranaires de la tyrosine kinase, tels que EGFR, ERBB2, FGFR1, FGFR2, FGFR3, PDGFRA et PDGFRB, et aussi, en aval des composants cytoplasmiques NF1, PTPN11, HRAS, KRAS, BRAF et NRAS. De récentes et exhaustives analyses de mutations dans les gliomes ont indiqué que presque tous les cas, ils ont une mutation de l’un des gènes de ces voies critiques.
Pour certains cancers, des protocoles de classification et de traitement sont maintenant définis par la présence de ces gènes anormaux, comme dans le cas de la leucémie myéloïde chronique. Chaque sous-type a un profil d'expression génique, une morphologie cellulaire, un syndrome clinique, un pronostic et la potentialité d’une cible thérapeutique. De plus, comme les cellules cancéreuses dépendent de protéines anormales codées par les gènes de cancer mutés, elles sont devenues les cibles de nouvelles thérapies. Les fleurons de cette nouvelle génération de traitements sont l'imatinib, un inhibiteur des protéines codée par les gènes ABL et KIT, qui sont mutés et activés respectivement, dans la leucémie myéloïde chronique et les tumeurs stromales gastro-intestinales, et le trastuzumab, un anticorps dirigé contre la protéine codée par ERBB2 (également connu sous le nom de HER2), qui est communément amplifiée et surexprimé dans cancer du sein.

Séquençage systématique précoce des génomes de cancer
La séquence du génome humain de référence au tournant du millénaire a offert de nouvelles stratégies et opportunités pour explorer les génomes de cancer. Plutôt que de dépendre de cartes à faible résolution, la carte ayant la meilleure résolution possible, la séquence d'ADN elle-même, est devenue disponible et a favorisé les investigations sur les génomes du cancer de plusieurs façons. Par exemple, des tableaux de haute résolution ont été développés, permettant la cartographie fine des modifications du génome de cancer, conduisant à l'identification de plusieurs nouveaux gènes amplifiés de cancer. Le séquençage de l'ADN lui-même pouvait devenir le principal outil d’exploration des génomes de cancer. Ce qui a incité plusieurs expériences pilotes. Jusqu'ici, la plupart ont séquencé grand nombre de produits PCR pour détecter les substitutions de base et les petites insertions et délétions (appelées «mutations ponctuelles») présentes dans le codage des exons de gènes codant pour des protéines. Typiquement, de telles études ont couverts plusieurs centaines de mégabases de génomes de cancer avec des variations allant de quelques centaines jusqu’à la plupart des 22000 gènes codant pour des protéines dans différentes classes de cancer.
Plusieurs idées ont émergé de ces criblages. Ils ont contribué à l’identification de mutations ponctuelles, dont BRAF45, PIK3CA46, EGFR47, HER2, JAK2, UTX and IDH1. Quelques-unes de ces découvertes étaient uniques, tandis que d'autres l’ont été simultanément dans plusieurs criblages. Certains étaient déjà connus comme gènes du cancer, mais la découverte de mutations ponctuelles a révélé de nouveaux mécanismes et types de cancer où ils sont opérationnels. Certains étaient surprenants et soulignent l’intérêt des criblages systématiques et complets, par exemple la découverte de l'enzyme isocitrate déshydrogénase (IDH1), constituant une partie du cycle de Krebs de la phosphorylation oxydative, en tant que gène muté de cancer dans le gliome. Parce que beaucoup sont des kinases qui sont activées par les mutations trouvées dans le cancer, ils ont suscité une vague de recherche médicamenteuse pour trouver des inhibiteurs pouvant servir d’agents thérapeutiques anticancéreux, dont certains sont déjà utilisés dans des essais cliniques.

Présentation du paysage du génome de cancer
Des indications importantes sur les paramètres généraux et les modes de mutations somatiques dans le cancer ont également émergé de ces premières études. Il apparaît que la plupart des mutations ponctuelles sont passagères. Bien que cela ait été prévisible pour les introns, c’est également vrai pour les exons. Il y a, cependant, des preuves statistiques en faveur d’un plus grand nombre de mutations conductrices sur les gènes de cancers connus. La large distribution des mutations conductrices peu fréquentes laisse supposer qu’il y a beaucoup plus de gènes de cancer que les 350 du catalogue actuel. En théorie, ces mutations moins fréquentes confèrent moins d’avantages de croissance aux clones cellulaires que les mutations communes, mais d’autres explications sont possibles. De nouvelles analyses indiquent plus de 20 mutations conductrices possibles au lieu des 5 à 7 prévues auparavant.
La compréhension de la prévalence et des types de mutation somatique a été grandement favorisée par ces études. Certains génomes cancéreux portent plus de 100 000 mutations ponctuelles alors que d'autres en comptent moins de 10 000. Certaines de ces variations peuvent être expliquées par de fortes expositions mutagènes ou par des défauts de réparation de l'ADN. Cependant, dans un sous-ensemble de cancers du sein, il y a un grand nombre de substitutions C>G sur des cytosines qui suivent une thymine, pour lesquelles n’existe encore aucune explication d’exposition cancérigène ou de phénotype mutateur.
Les effets de la chimiothérapie ont également été révélés par des expériences de séquençage systématique. Par exemple, les gliomes récidivants après traitement par l'agent alkylant témozolomide ont de nombreuses signatures mutationnelles caractéristiques de cet agent. Le fait que ces mutations puissent être détectées sur tous, indique que ces récidives sont clonales. Ainsi, bien que le témozolomide augmente un peu la survie et que presque toutes les cellules du gliome y répondent, une seule cellule résistante peut proliférer et conduire à la récidive. D’autres études seront nécessaires pour identifier le gène de résistance muté.
Au-delà des mutations ponctuelles, des recherches commencent à explorer les caractéristiques des réarrangements génomiques dans les cancers communs, dont peu sont connues. Les premières études utilisant le séquençage conventionnel Sanger montre une importante complexité de réarrangement. L'avènement récent de séquençage de deuxième génération permet des criblages pangénomiques plus complets révélant que certains génomes de cancers portent des centaines de réarrangements acquis, tandis que d'autres en ont beaucoup moins. En outre, les modèles distincts de réarrangement observés indiquent qu’ils résultent de mutations encore non définies.

Séquençages de génomes de cancers dans le futur
Le coût du séquençage a limité les études systématiques à grande échelle. Elles ont donc été limitées à certaines parties du génome, par exemple, des exons, sur de faibles échantillons de cancer ou des sous-ensembles de mutations. En principe, cependant, toutes les classes structurelles de mutation somatique peuvent être détectées par fragmentation aléatoire du génome de cancer et par le séquençage d’un grand nombre de fragments de telle sorte que chaque base du génome humain de référence soit couverte à plusieurs reprises par une séquence ainsi générée.
Avec un niveau suffisamment élevé de couverture, un catalogue complet de mutations somatiques de génomes de cancers individuels pourront être obtenus, y compris toutes les mutations ponctuelles, les réarrangements et les modifications du nombre de copies. Des mutations dans les génomes mitochondriaux d’accompagnement seront également recueillies. De nouvelles adaptations pourraient inclure les modifications épigénétiques et les transcriptomes afin d’explorer les premiers effets phénotypiques de tous ces changements. Ce catalogue inclura toutes les mutations conductrices et tous les gènes opérants, qu'il s’agisse de gènes codant une protéine, de gènes ne codant pas d’ARN ou d'éléments fonctionnels plus cryptiques du génome. Si des virus à ADN connus ou inconnus ont contribué à l’oncogenèse, ils seront aussi découverts. Le catalogue comprendra également toutes les mutations passagères qui intègrent les signatures de précédentes expositions mutagènes, les défauts de réparation d'ADN et d'autres processus de mutation survenus au cours des décennies de l’évolution du cancer.
Jusqu'à récemment, c’était un fantasme irréalisable. Cependant, l’arrivée de technologies de séquençage de deuxième génération annonce une ère nouvelle pour la génomique du cancer. Ces plates-formes génèrent actuellement des milliards de bases de séquence d'ADN par semaine, des rendements qui vont augmenter très rapidement. Des plates-formes parallèles peuvent massivement identifier toute la gamme des modifications somatiques acquises au cours du cancer, les mutations ponctuelles sur un génome entier, les insertions et délétions, les modifications du nombre de copies, les réarrangements génomiques, ainsi que les transcriptomes. En outre, ces approches ont le potentiel pour identifier la diversité génétique subclonale au sein des populations de cellules cancéreuses, avec un intérêt particulier pour la détection de sous-clones porteurs de mutations de résistance aux médicaments. Un premier séquençage avec haute couverture a été réalisé et plusieurs autres verront le jour au cours de l'année 2009.
Même avec ces progrès technologiques remarquables dans le séquençage, ces expériences posent question. Pour obtenir un catalogue complet de mutations somatiques d'un cancer individuel, il faut couvrir 20 fois son génome et peut-être plus. Les mutations somatiques doivent être distinguées des variantes héritées d'ADN. Bien que la plupart des variantes héréditaires communes (>5% de la fréquence allélique) aient été découvertes et enregistrées dans des bases de données, il existe une myriade de rares polymorphismes nucléotidiques simples et de variantes structurelles qui ne le sont pas. Par conséquent, dans l’avenir, il faudra au moins une séquence de haute couverture pour la même personne. Ainsi, plus de 100 milliards de paires de bases seront probablement nécessaires pour identifier le catalogue de mutations somatiques dans un seul génome de cancer.
Il faudra ensuite distinguer les mutations conductrices des autres. Le pouvoir de distinguer des clusters de mutations conductrices susceptibles d’induire des mutations passagères dépendra de la fréquence du gène muté et de la prévalence des mutations passagères. Pour être sûr d'identifier un gène de cancer muté dans 5% d'un type particulier de cancer, il faudra séquencer des centaines de cas, et cela pour chacun des centaines de type de cancer !

Coordonner le séquençage des génomes de cancer
Le travail qui nous attend est donc énorme. Idéalement, il faut organiser et optimiser l'utilisation des ressources. C’est la mission de l'International Cancer Genome Consortium (ICGC, voir http://www.icgc.org/home). S’appuyant sur le succès d’initiatives similaires précédentes tels que le Human Genome Project et le consortium HapMap, le but de l'ICGC est de caractériser les événements génétiques acquis pour au moins cinquante classes de cancers, dont ceux qui ont le plus fort taux d'incidence et de mortalité, nécessitant de couvrir au moins 20 000 génomes de cancer. Le catalogue ainsi obtenu sera corrélé aux profils épigénétiques et aux caractéristiques cliniques.
Les projets labellisés par l’ICGC devront respecter des normes et procédures prédéterminées pour l'approbation éthique, la diffusion des données, la propriété intellectuelle, la qualité de l'échantillon, l'annotation clinique, la qualité des données, le stockage des données et le mode de séquençage. Plus important encore, l'ICGC devra coordonner les études pour minimiser les efforts, éviter la duplication et optimiser les ressources.
La proposition de séquencer un grand nombre de génomes du cancer a suscité une controverse rappelant le débat d’avant le séquençage du génome humain de référence il y a 20 ans. L’expérience sera coûteuse et, dans une certaine mesure, nous ne pouvons pas prédire ce qui sera trouvé. Cependant, le génome humain est connu et il semble logique de s’intéresser aux génomes des cancers pour en comprendre la nature. Les implications cliniques sont profondes. Au-delà de l'identification de nouveaux gènes à cibler par de nouvelles thérapies, un catalogue exhaustif des mutations somatiques dans des échantillons cliniques bien identifiés va générer de nouvelles connaissances sur les modèles génétiques qui sous-tendent les phénotypes de la maladie, le pronostic, la réponse et la résistance aux thérapies. Cela devient réalisable avec un coût de séquençage de 1000 $. Ces données peuvent améliorer la prévision pronostique et les décisions thérapeutiques individuelles, la surveillance, et permettre d’identifier de rares sous-clones de mutations de résistance aux médicaments. Les thérapeutiques individualisées nécessiteront des diagnostics individualisés.
La discussion n’est donc pas sur le projet, mais quand et comment. D'une manière similaire au Human Genome Project nous devons coordonner le travail au niveau international pour maximiser l'utilisation des ressources et minimiser la duplication des efforts, pour obtenir un référentiel unique et de haute dont l’héritage sera durable.

Réjouissons-nous !
Environ 100 000 mutations somatiques à partir de génomes de cancer ont été signalées dans le dernier quart de siècle depuis la première mutation somatique trouvée sur HRAS. Au cours des prochaines années, plusieurs centaines de millions seront révélées. Ces données nous fourniront une image à bonne résolution des processus évolutifs qui sous-tendent la plus fréquente de nos maladies génétiques, fournissant de nouvelles perspectives sur les origines et de nouvelles orientations pour le traitement du cancer.

Bibliographie

Stratton MR, Campbell PJ, Futreal PA
The cancer genome
Nature 458, 719-724 (9 April 2009)
DOI : 10.1038/nature07943

 

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La phrase biomédicale aléatoire

Les matheux possèdent cette forme exceptionnelle d'intelligence qui leur permet, grâce à un procédé de langage, sans observation et sans expérimentation, de donner une forme vraie à un segment du réel. Quelle prouesse ! Mais un paysan vous dira que connaître la formule chimique d'une tomate ne la fait pas pousser et un psychiatre confirmera que préciser la formule chimique d'un neuromédiateur ne soulage pas un schizophrène. On peut agir sur le réel grâce à d'autres modes de connaissance. Vous ne soupçonnez pas le nombre d'hommes qui ont su faire un enfant à leur femme sans rien connaître en gynécologie !
― Boris Cyrulnik

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