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Origines de l’obésité chez les primates au Miocène.

dernière mise à jour le 19/09/2014

Abstract

Les êtres humains ont un double handicap. Ils sont incapables de synthétiser la vitamine C en raison d’une mutation de la L-gulono-lactone oxydase apparue au cours de l’Eocène. Ils ont un taux sérique d’acide urique élevé à cause d’une mutation de l’uricase apparue au milieu du Miocène.
Les hypothèses de ces mutations s’accordent sur un stress oxydatif favorable à la survie en augmentant les effets du fructose sur le stockage des graisses.
Le fructose, qui a été le principal nutriment des premiers primates, se fit plus rare lors des glaciations pendant lesquelles apparurent ces mutations.
Aujourd’hui, le fructose nous provient beaucoup plus de sucres additionnels que de fruits naturellement riches en vitamine C.
Nous pensons que l’interaction entre ces modifications génétiques et nos régimes actuels est responsable de l’épidémie d’obésité. De là, nous proposons que « l’hypothèse du gène économe » de Neel est supportée par cette nouvelle vision des mécanismes de régulation du métabolisme du fructose.

Article

En 1962, l’anthropologiste James Neel proposa d’interpréter l’obésité comme un résultat de l’adaptation de nos ancêtres à la famine. Cette adaptation devenant défavorable en cas d’abondance. Cette hypothèse, initialement très bien admise, a perdu de l’écho en raison de notre incapacité à identifier les gènes spécifiques. De plus, les équations de Haldane affirment qu’un changement génétique de plus de deux millions d’années devrait concerner tout le monde, alors que l’obésité reste encore minoritaire. Beaucoup de chercheurs s’interrogent désormais sur la validité de cette hypothèse.

Nous revisitons ici l’hypothèse de Neel en suggérant que la mutation de nos ancêtres n’est pas unique, mais a eu lieu au moins deux fois au cours de l’évolution. Les premiers changements étant la perte des gènes de synthèse de la vitamine C et de dégradation de l’acide urique. Nous suggérons que c’est la perte de ces gènes, et non le gain de gènes prodiabétiques gras, qui a favorisé la survie de nos ancêtres. D’autant que ces mutations ne provoquent pas l’obésité par eux-mêmes, mais seulement en réponse à certains types d’aliments. C’est donc bien l’interaction entre la génétique et l’environnement qui expliquerait l’épidémie d’obésité et de diabète gras (DT2). Curieusement, malgré la croyance générale dans les vertus antioxydantes, nous suggérons, à l’opposé, que c’est la capacité à augmenter le stress oxydatif qui a favorisé la survie de nos ancêtres hominoïdes.

L’acide urique provient du métabolisme de la purine par le biais de la xanthine oxydoréductase (XOR). Chez la plupart des mammifères, l’acide urique est dégradé en allantoïne par l’uricase (urate oxydase), d’où son taux sérique très bas (0.5 à 2.0 mg/dl). Le manque d’uricase chez l’homme et les grands singes entraîne un taux plus élevé d’acide urique.
Les mutations qui ont provoqué la perte de l’uricase chez les hominoïdes se sont produites entre -15 et - 9.8 millions d’années. L’étude parallèle de ces mutations suggère un avantage sélectif pour les primates du Miocène (-23 à -5 Ma).
L’augmentation d’acide urique qui en a résulté a porté son taux entre 2 et 4 mg/dl chez les hominoïdes.

Les taux d’acide urique encore plus élevés des sociétés occidentales proviennent des régimes alimentaires. La goutte était la maladie typique des obèses européens des XVIII° et XIX° siècles. Les taux d’acide urique actuels en Occident varient entre 5.5 et 6 mg/dl. Certains individus ont des taux pouvant dépasser 8.5 mg/dl.
Avant l’introduction des régimes occidentaux, la goutte était rare chez les peuples natifs. L’hyperuricémie et la goutte ont également progressé avec l’urbanisation de type occidental.

La purine est la source majeure d’acide urique, mais le fructose en est une source commune.
Etant donné que les régimes riches en purine et en fructose sont tous deux associés au risque d’hyperuricémie, la question est celle des aliments qui ont contribué à l’élévation de l’acide urique au cours des cent dernières années. La consommation de protéines a un peu diminué alors que celle des sucres a brutalement augmenté aux USA passant de 2 kilos/an/personne en 1700 à plus de 80 aujourd’hui. 25% de la population en consomme plus de 100 kilos !!

La perte de l’uricase est survenue au Miocène vers -15 Ma. Les hominoïdes vivaient principalement en Europe, Asie et Afrique dans des forêts de type tropical où l’aliment premier était le fruit avec le fructose comme principale source d’énergie. Les glaciations du milieu du Miocène ont affecté la faune et la flore et transformé ces forêts en déciduales surtout en Eurasie. En Europe, le climat saisonnier a provoqué des périodes de manque de nourriture et réduit le nombre de primates désormais concentrés en des habitats géographiquement isolés. A la fin du Miocène, il n’y avait plus d’hominoïdes en Europe.

Nous pensons que c’est au cours de “l’excursion” européenne qu’est survenue la mutation de l’uricase. Son bénéfice pour la survie associé à de petites populations isolées a favorisé sa généralisation aux survivants. Mais comment cette mutation de l’uricase a-t-elle profité aux hominoïdes?

Le fructose n’est pas qu’une source d’énergie, selon des études récentes, il contribue à augmenter le stockage de graisses. Chez des rats nourris de fructose ou de glucose, seuls ceux nourris au fructose développent une hypertriglycéridémie, une stéatose, de la graisse abdominale, une insulino-résistance et une hypertension, même si leur ration calorique est moindre. Ces altérations sont similaires à ce qui est observé lors de l’hibernation des mammifères et permet leur survie pendant cette période de manque. Le plus intéressant est que la vitamine C bloque partiellement les effets du fructose sur ce phénotype métabolique. Mieux encore, en fin d’été, plus les fruits mûrissent, plus leur teneur en vitamine C chute tandis que celle en fructose augmente. Plus qu’une source d’énergie, les fruits sont donc un moyen de stocker les graisses, principalement avant les périodes hivernales de disette.

Glut5 et Glut2 assurent l’absorption et le transport du fructose jusqu’aux hépatocytes où il est métabolisé en fructokinase. Le niveau de ces transporteurs et de la fructokinase sont très variables dans l’espèce humaine. L’acide urique est un régulateur de Glut5, Glut2 et fructokinase dans une grande variété de cellules. Si on administre un inhibiteur de l’uricase chez le rat, il en résulte une augmentation d’acide urique et une plus forte expression de Glut2, Glut5 et fructokinase dans divers organes. Le mécanisme est un effet prooxydatif de l’acide urique dans le milieu cellulaire. Il apparaît que l’acide urique, antioxydant en extracellulaire, devient prooxydant en intracellulaire par stimulation de la NADPH oxydase. Ainsi, il a un rôle clé pour augmenter les effets métaboliques du fructose. En faisant baisser le taux d’acide urique chez les rats, on peut empêcher l’obésité et le syndrome métabolique.

Des études plus récentes montrent que l’acide urique a aussi des effets directs (hors fructose) sur les mitochondries en augmentant la synthèse des graisses et en bloquant leur oxydation. L’augmentation brutale d’acide urique chez les rats entraîne une stéatose en 24 heures et inversement sa diminution empêche l’adipogénèse.

Les hommes ont aussi perdu la synthèse de la vitamine C (Ascorbate) à cause d’une mutation de la L-gulono lactone oxydase à la fin de l’Eocène (-40 à -30 Ma). Cette mutation a concerné tous les primates à l’exception des prosimiens.
Parmi les fonctions de l’Ascorbate, la principale est l’activité antioxydante. Il est intéressant de noter aussi son rôle comme bloqueur du métabolisme du fructose. Répétons que les antioxydants empêchent partiellement le fructose d’induire un syndrome métabolique. La vitamine C diminue également les taux d’acide urique en bloquant l’excrétion d’urates. Le fructose inhibe la synthèse de vitamine C chez les mammifères qui en sont capables. Ainsi, la vitamine C peut être considérée comme l’antidote du fructose en tant que stockeur de graisse. Sans surprise, les niveaux de vitamine C évoluent à l’inverse de ceux d’acide urique lors de l’hibernation.
La perte de la synthèse de vitamine C survint pendant l’Eocène lors de la glaciation qui a exterminé plusieurs espèces de mammifères. Notre hypothèse est que la mutation de la L-gulono lactone oxydase a pu profiter aux premiers primates en augmentant les taux d’acide urique et les effets du fructose. En d’autres termes, cette mutation a œuvré dans le même sens que celle de l’uricase.

Il est intéressant de noter que certains oiseaux manquent aussi d’uricase et sécrètent des urates. Quelques passereaux ont aussi perdu la synthèse de l’ascorbate. Comme le besoin d’ascorbate est universel, nous présumons que leur régime alimentaire en contient.
Cette perte occasionnelle d’ascorbate chez des organismes qui manquent d’uricase est la situation en miroir de celle des primates lorsqu’ils perdirent l’uricase alors qu’ils manquaient d’ascorbate.
Ceci laisse penser que les espèces d’oiseaux qui tirent leur ascorbate d’aliments riches en fructose doivent avoir une physiologie analogue à celles décrite ici pour les mammifères.

Dans les années 1950, Harman considéra le stress oxydatif comme largement responsable du vieillissement. Dans cette optique, la perte de la synthèse d’Ascorbate par les primates à l’Eocène est un mystère évolutif. Pauling suggéra que cette mutation résultait de l’inutilité de cette synthèse, puisque les primates en trouvaient en abondance dans les fruits. Cette mutation accidentelle n’explique pas sa généralisation à tous les primates survivants, car elle ne procure aucun avantage sélectif. Pauling n’était pas un évolutionniste et se trompait.

La meilleure hypothèse est celle de Ames : l’acide urique étant un puissant antioxydant, la mutation de l’uricase a été une réponse évolutive à la mutation première de la perte de synthèse de la vitamine C.
Ainsi, le manque de vitamine C a augmenté le stress oxydatif et ses effets néfastes tels que vieillissement et cancers, ensuite, la mutation de l’uricase a été une clé pour relancer l’activité anti-oxydante par l’acide urique
Répétons que l’acide urique est antioxydant en milieu extracellulaire, mais lorsqu’il pénètre la cellule, il cause un stress oxydatif en activant la NADPH oxydase. Et nous avons découvert comment cet effet prooxydatif altère le métabolisme du fructose.


Conclusion


La mutation de la L-gulono lactone oxydase qui a entraîné la perte de synthèse de la vitamine C et la mutation de l’uricase qui a diminué la dégradation de l’acide urique sont, toutes deux, survenues au cours de glaciations associées à des carences alimentaires. Des études récentes et pertinentes suggèrent que ces deux mutations ont procuré un avantage pour la survie en augmentant le stockage des graisses.
Curieusement, cet avantage évolutif a eu le stress oxydatif pour médiateur.
L’énorme augmentation de consommation de sucres (multipliée par 50 en trois siècles) associée à la double mutation dont nous venons de parler explique largement l’épidémie d’obésité que connaît le monde occidental aujourd’hui.

Bibliographie

Richard J. Johnson, M.D. Peter Andrews, Steven A. Benner and William Oliver.
The Evolution of Obesity: Insights from the Mid- Miocene
Trans Am Clin Climatol Assoc. 2010; 121: 295–308.

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Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

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