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Inconvénients et avantages de l'infertilité masculine

dernière mise à jour le 10/06/2014

Darwin prit le risque d’annoncer que la découverte d’un caractère usuel qui contribuerait à réduire la reproduction remettrait en cause sa théorie de l’évolution par sélection naturelle.

Un article de Tollner de 2011 semble pourtant faire précisément ceci. Les auteurs ont découvert un allèle très fréquent du gène de la défensine beta 126 (DEFB126), codant pour un polypeptide de surface des spermatozoïdes. Les mâles porteurs homozygotes de ce gène ont une fertilité retardée et réduite. La fertilité retardée due à cet allèle provient de la perte de deux nucléotides sur une protéine qui facilite la pénétration du spermatozoïde dans l’ovule. Au secours Darwin, comment donc un allèle aussi délétère a-t-il pu devenir si fréquent ?

Les auteurs suggèrent que le locus du DEFB126 confère un avantage aux hétérozygotes qui en sont porteurs. Malgré la preuve statistique au niveau de la population, ils en ignorent encore le mécanisme exact. Ils débutent en reconnaissant même que l’avantage pour les hétérozygotes paraît non cohérent avec la perte de fonction d’un des deux allèles.

Cet allèle de DEFB126 pourrait donc procurer un avantage compensatoire dans un domaine autre que celui de la fertilité. Un tel mécanisme confirmerait une fois de plus le principe fondamental de « pléiotropie antagoniste » tel qu’il a été développé par George Williams en 1957 : des allèles communs peuvent avoir à la fois des effets positifs et négatifs.

Les défensines sont des protéines antimicrobiennes connues pour leur rôle dans la défense immunitaire. On a du mal à comprendre comment une perte de fonction à la surface du spermatozoïde peut procurer un avantage immunitaire. Le mauvais allèle procure-t-il un bénéfice sur d’autres tissus ou dans une quelconque maladie ?
La défensine B126, du groupe des protéines HE4, semble fonctionner comme une « cape moléculaire » d’invisibilité, en protégeant le spermatozoïde contre les défenses immunitaires du tractus génital féminin. Les bénéfices d’un tel processus se discernent mal parmi d’autres tissus, mais les HE4 sont des marqueurs de cancer de l’ovaire, laissant supposer que les lignées de cellules cancéreuses s’en servent pour déjouer l’immunosurveillance. Néanmoins, il est douteux que la sélection naturelle ait maintenu une fertilité retardée pour éviter ce type assez rare de pathologie.

Il existe pourtant un contexte sélectif où un retard de fertilité de plusieurs mois peut être très avantageux. L’hypertension de la grossesse avec les risques d’éclampsie et de pré-éclampsie qui concernent 10% des grossesses et vont jusqu’à expliquer 40% des morts maternelles en Occident. Or, le risque de pré-éclampsie est très réduit par la fréquence des relations sexuelles préalables du couple et par la durée de leur vie sexuelle commune, car ces contacts répétés favorisent la tolérance de la mère envers les antigènes paternels du fœtus et du placenta.
Plus encore, la longue exposition aux antigènes paternels n’est qu’une part de la protection contre le risque de pré-éclampsie ; les hommes eux-mêmes influencent le risque de pré-éclampsie sur les fœtus mâles. Résultat remarquable où l’on voit des gènes paternels modérer le risque de pré-éclampsie.
Ainsi les mâles porteurs du mauvais allèle DEFB126 ont une fertilité retardée de quelques mois, (ce qui est peut-être un léger handicap sur le long terme), mais ils diminuent un risque vital pour les fœtus à venir.

Ces digressions sur le DEFB126 restent hypothétiques mais elles résument bien plusieurs des contributions majeures de la biologie évolutionniste sur la pratique médicale.

Premièrement, la pléiotropie antagoniste, qui est une “négociation” au niveau des gènes, des allèles et des protéines, se répand dans notre génome ; le gène DEFB126 semble être un bon candidat dans un tel processus.

Deuxièmement, l’évolution est myope, telle perte de fonction d’un allèle peut apparaître et se répandre facilement pour obtenir un bénéfice dans un contexte donné, même si cela représente un coût dans un autre contexte.

Troisièmement, l’étrange cas du DEFB126 démontre la grande utilité de l’approche évolutionniste pour tester de nouvelles hypothèses intimement liées aux principes fondateurs de la biologie, mais que l’on pourrait facilement rater sans cette perspective.

Finalement, l’évolution vers une fertilité réduite n’est peut-être pas aussi inattendue que Darwin l’avait conjecturé, tout spécialement dans notre lignée hominienne, qui a clairement choisi un plus faible taux de naissance que nos ancêtres primates, même avant la contraception !
Ce qui importe, évidemment, est le succès reproductif tout au long de la vie, c'est-à-dire la somme des survivants. Pour les couples à fertilité retardée par un mauvais DEFB126, la réduction du risque de pré-éclampsie, ou tout autre bénéfice, est peut-être une maigre consolation, mais toute thérapie contre cette hypofertilité peut se révéler désastreuse, en raison des longues « négociations » de notre passé évolutif.

Bibliographie

Crespi BJ.
The origins and evolution of genetic disease risk in modern humans.
Ann N Y Acad Sci. 2010 Sep;1206:80-109.

Tollner TL, Venners SA, Hollox EJ, Yudin AI, Liu X, Tang G, Xing H, Kays RJ, Lau T, Overstreet JW, Xu X, Bevins CL, Cherr GN.
A common mutation in the defensin DEFB126 causes impaired sperm function and subfertility.
Sci Transl Med 20 July 2011: Vol. 3, Issue 92, p. 92ra65 Sci. Transl. Med.
DOI : 10.1126/scitranslmed.3002289

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