dernière mise à jour le 21/12/2024
Pourquoi y a-t-il si peu de coronavirus en circulation chez l’homme ?
Points forts
Les coronavirus sont apparus à plusieurs reprises dans l’histoire de l’humanité, ce qui indique que l’exposition a été courante.
Les preuves suggèrent que les coronavirus émergents ont la capacité d’infecter une large gamme d’hôtes, de les envahir via une variété de récepteurs de cellules hôtes, d’évoluer rapidement au cours du processus d’émergence et, dans le cas des coronavirus endémiques, de circuler de manière persistante en évitant l’immunité stérilisante.
Nous émettons l'hypothèse qu'un ensemble diversifié de coronavirus émergents pourrait être trouvé dans le pool de pathogènes humains. Cependant, seules quatre espèces endémiques de coronavirus sont connues (HCoV-229E, -NL63, -OC43 et -HKU1), qui présentent une diversité génétique limitée au sein des espèces.
L’interaction entre les paramètres d’infection tels que la transmission et la virulence, et le modèle de protection immunitaire croisée contre les virus endémiques existants, justifient des études plus approfondies pour comprendre la trajectoire des nouveaux coronavirus et expliquer pourquoi si peu d’entre eux peuvent deviennent endémiques.
Abstract
Malgré la grande diversité des hôtes non humains et les récentes épidémies, seul un petit nombre de coronavirus persistent dans les populations humaines. Ce paradoxe suggère des obstacles à leur établissement. Nous détaillons ici les hypothèses qui pourraient contribuer à expliquer le faible nombre de coronavirus endémiques, malgré leur potentiel considérable d’évolution et d'émergence.
Diversité des coronavirus émergents et endémiques
De nouvelles espèces de coronavirus humains transmissibles et pathogènes sont apparues trois fois depuis 2002 : coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère-1 (SRAS-CoV-1) en 2002, syndrome respiratoire du Moyen-Orient (SRMO) en 2012 et SRAS-CoV-2 en 2019. Au sein de des espèces, une évolution rapide a été observée, à la fois en termes de d'apparition de nouveaux variants après émergence et en termes d'échappement immunitaire pour les espèces de coronavirus endémiques. Compte tenu de ces preuves de débordement (c’est-à-dire lorsqu’un virus quitte son hôte habituel pour passer chez l’homme), et compte tenu de ces évolutions rapides et des millénaires d'histoire humaine au cours desquels la diversité des coronavirus a pu augmenter, on pourrait s'attendre à une grande diversité de coronavirus dans l’ensembles des pathogènes humains. Pourtant, il n’existe que quatre espèces endémiques dans les populations humaines (HCoV-229E, -NL63, -OC43 et -HKU1), qui représentent une très faible diversité génétique parmi toutes les espèces.
Comment expliquer ce paradoxe fréquent dans la nature, mais dont les coronavirus sont un exemple parfait dont que nous recensons ici les multiples facteurs.
Comparaisons de diversité
Environ 20 à 30 familles virales comprenant 200 à 300 espèces sont connues pour infecter les humains. La plupart des familles virales comptent moins de 10 virus humains connus, dont tous n'ont pas démontré une transmission stable. Ce chiffre est à comparer aux estimations selon lesquelles 1 à 2 millions d'espèces virales pourraient circuler chez les mammifères et les oiseaux et plus de 10 000 seraient susceptibles d'infecter les humains.
Ceci se constate également pour des pathogènes non viraux. Dans le cas du paludisme, par exemple, on a découvert deux nouvelles espèces infectant les humains depuis 1990, mais il n'existe que quatre espèces responsables du paludisme humain connues depuis longtemps. Inversement, certains groupes de pathogènes présentent une grande diversité circulante. On peut citer comme exemples les entérovirus, pour lesquels on pense que plus de 100 sérotypes circulent, et les Bunyaviridae, pour lesquels plus de 40 virus infectant les humains ont été décrits. Pour des virus comme ceux de la grippe dont les antigènes évoluent sous la pression immunitaire, il y a aussi un diversité par dérive génétique et seule une petite fraction de ces souches circule chez les humains à un moment donné
La diversité subit donc différents types de transition entre réservoir, émergence et endémie. Les coronavirus infectant la faune sauvage sont riches en diversité, avec plus de 50 espèces connues. On pense que le sous-ensemble des quatre coronavirus humains endémiques a pénétré les populations humaines il y a entre 50 et 700 ans et provoqué des infections respiratoires courantes dans le monde entier. Les espèces endémiques sont différentes, laissant supposer différents réservoirs et différents hôtes intermédiaires, donc plusieurs façons de devenir endémiques.
Ces dernières années, il y a eu plusieurs coronavirus émergents. Le SRAS-CoV apparu entre 2002 et 2004 et a infecté 8000 personnes dans 30 pays. Le MERS a infecté 2000 personnes dans 27 pays et est apparu à plusieurs reprises avant de disparaître dans les populations humaines. Le SRAS-CoV-2 a infecté 150 millions d’humains dans le monde depuis son apparition en 2019. Ce SRAS-CoV-2 a également infecté un large éventail d’hôtes, dont divers carnivores, chauves-souris, primates non humains et rongeurs, et il est probablement capable d’en infecter beaucoup plus.
Une série d’hypothèses pourraient expliquer pourquoi l’évolution et l’émergence des coronavirus par différentes voies sont couramment observées, mais avec une diversité limitée d’espèces et sous-espèces. Nos difficultés à détecter les espèces virales ne suffisent pas à expliquer à elles seules ce décalage. Ensuite, beaucoup d’études suggèrent que les compétences immunitaires de l’hôte n’expliquent pas cette faible diversité. Il nous faut donc envisager ces hypothèses et toutes les autres...
Hypothèse 1 : limites de la détection du coronavirus
Nos efforts de surveillance ont permis d’identifier le SRAS-CoV-1, le MERS et le SRAS-CoV-2 peu de temps après leur émergence, mais il est probable que nous n’avons pas détecté tous les virus endémiques ne donnant pas de manifestation clinique grave. Cependant, les nouvelles découvertes sont plus rares, suggérant que la diversification des virus endémiques à ralenti.
Hypothèse 2 : taux non linéaires de propagation du coronavirus dans l’histoire de l’humanité
Une autre explication pourrait être que la propagation virale pourrait s’être récemment accélérée. La transmission des agents pathogènes anthropiques zoonotiques au cours des dernières décennies est considérablement différent de celui des périodes précédentes de l’histoire de l’humanité. Des événements d’émergence notables des dernières années, notamment les virus Zika, Ebola et H1N1, se liés aux perturbations anthropiques des systèmes naturels. Il est certain que beaucoup d’émergences du passé sont restées locales en raison de plus faibles déplacements des humains.
Cependant, de grandes pandémies du passé telles que la grippe de 1918, la variole ou la rougeole ne sont pas liées aux déplacements humains. Inversement, la peste a été clairement liée au premiers voyages intercontinentaux. Le trafic aérien a permis la propagation mondiale du SARS-CoV et du SARS-CoV-2.
Récemment, des coronavirus ont émergé plus d’une fois par décennie. Même si l’émergence était plus faible dans le passé, les milliers d’année devraient aboutir a beaucoup plus de coronavirus endémiques. Par conséquent, les plus faibles déplacements des humains dans le passé ne suffisent pas à expliquer un aussi petit nombre actuel de coronavirus endémiques.
Hypothèse 3 : sensibilité de l’hôte à l’infection à coronavirus et évolution des populations humaines
D’autres changements spectaculaires au cours des dernières décennies ont été l’augmentation rapide de l’âge moyen des populations humaines, la plus grande durée de vie et la baisse des taux de natalité. Toutes choses égales par ailleurs, les nouveaux agents pathogènes sont plus susceptibles de rencontrer des hôtes humains plus âgés. Les populations comptant un nombre plus élevé d’individus âgés pourraient être plus sensibles à la colonisation par des agents pathogènes pour deux raisons. Premièrement, les personnes âgées ont souvent eu des expositions antérieures qui ont généré des lymphocytes B mémoire. Lors d’une deuxième infection avec des pathogènes porteurs d’antigènes à réaction immunitaire croisée, les lymphocytes B naïfs sont moins aptes à générer de nouvelles mémoires plus spécifiques à ces nouveaux antigènes à réaction croisée. Ces réponses pourraient être moins efficaces pour prévenir l’infection ou la transmission ultérieure par rapport aux réponses d’amorçage de novo. Deuxièmement, à mesure que l’hôte vieillit, l’immunosénescence empêche les lymphocytes B et T naïfs capables de reconnaître de nouveaux agents pathogènes.
Les personnes atteintes de maladies chroniques associées à différents états immunologiques, ainsi que les personnes immunodéprimées, sont de plus en plus nombreuses (SIDA, immunosuppresseurs). La présence de ces groupes au sein des populations pourrait modifier le contexte d’émergence virale en modifiant le fonctionnement du système immunitaire et en modifiant la pression de sélection évolutive pour les mutations associées à la transmission ou à l’échappement immunitaire, comme suggéré pour le SRAS-CoV-2.
Hypothèse 4 : limites à l’infection endémique dues aux agents pathogènes
Préférence de l’hôte et liaison au récepteur.
En cas de contact entre deux espèces hôtes, la première condition de la propagation virale est la capacité du virus à envahir les cellules du nouvel hôte. Une deuxième exigence est la capacité de surmonter les défenses immunitaires innées de l’hôte, telles que la sécrétion d’interféron de type I (IFN) par les cellules immunitaires pour entraver l’achèvement d’un cycle de réplication virale au sein du nouvel hôte. Ces exigences de compatibilité hôte-pathogène pourraient-elles expliquer le nombre limité d’espèces endémiques de coronavirus dans les populations humaines ? De nombreuses sources de données suggèrent que cela est peu probable. Les coronavirus ont démontré à plusieurs reprises leur capacité à franchir la barrière des espèces et à se répliquer avec succès. Par exemple, le bêtacoronavirus 1 peut se répliquer chez les chiens, les humains et de nombreuses espèces d’ongulés. Les retombées du SRAS-CoV-2 sur les animaux de compagnie tels que les chiens, visons d’élevage, les tigres et lions de zoos confirment sa capacité à se lier aux récepteurs des cellules hôtes des mammifères. De plus, de larges gammes chevauchantes d’hôtes permettent la recombinaison du génome entre les lignées virales, ce qui peut diversifier davantage le pool d’agents pathogènes.
Les coronavirus connus pour infecter l’homme sont relativement éloignés phylogénétiquement, ce qui suggère qu’il n’y a pas de caractéristique spéciale ou rare qui soit nécessaire pour envahir les populations humaines. Ils utilisent également un éventail de récepteurs différents : le MERS-CoV utilise la dipeptidyl peptidase 4 (DPP4), SARS-CoV-1 et SARS-CoV-2 utilisent l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) ; HCoV-OC43 et -HKU1 se lient aux acides sialiques 9-O-acétylés ; et HCoV-229E utilise l’aminopeptidase N. Ces récepteurs ont en commun d’être largement exprimés dans les cellules humaines et d’être conservés au cours de l’évolution parmi des divers hôtes.
Toutes ces preuves ne suffisent pas, il y a certainement d’autres facteurs limitant la propagation des coronavirus. Si le virus peut également accomplir avec succès un cycle de réplication dans les cellules hôtes (discuté dans l’hypothèse 5), le prochain ensemble d’obstacles à l’émergence virale comprend la façon dont la réplication virale se traduit par la survie de l’hôte et la transmission d’hôte à hôte.
Virulence de transmission appropriée
La capacité d’envahir et de se répliquer avec succès dans de nouvelles cellules hôtes n’est toujours pas suffisante pour garantir qu’un virus peut persister durablement. Il doit également permettre une transmission ultérieure soutenue. Cela implique que le virus possède un ensemble d’adaptations nécessaires non seulement pour envahir et se transmettre (gouttelettes expirées par l’hôte), mais aussi pour éviter de tuer l’hôte trop rapidement, soit à cause de dommages infligés par le virus, soit à cause d’une trop forte réaction immunitaire robuste. Il convient de noter que la morbidité et la mortalité précoces susceptibles de réduire la transmission étaient caractéristiques des infections par le SRAS-CoV-1 chez l’homme. En effet, la présentation précoce des symptômes était une caractéristique importante pour le confinement réussi de cet agent pathogène. En revanche, la morbidité et la mortalité associées au SRAS-CoV-2 chez l’homme semblent se produire après qu’une grande partie de la transmission a eu lieu. Cela suggère qu’un large éventail de caractéristiques de transmission et de virulence sont possibles parmi les coronavirus.
Le nombre de nouvelles infections par personne infectée dans une population complètement réceptive, R0, fournit une loupe pour comprendre les compromis entre la perte d’hôtes due à la mortalité et le taux de transmission. L0, également appelée valeur reproductrice nette, est définie par le taux de transmission (β) qui reflète le taux d’augmentation du nombre d’individus infectés, divisé par les taux de perte par guérison (γ) ou par mortalité (μ1) : R0 = β/ (γ + μ1). Pour qu’un agent pathogène émergent s’établisse, il faut R0 > 1, et des valeurs élevées de μ1 auront tendance à réduire R0. Étant donné que les infections humaines à coronavirus sont principalement respiratoires (alors qu’elles sont principalement entériques dans les réservoirs animaux), et que les perturbations pulmonaires peuvent être rapidement mortelle, une virulence élevée peut constituer un obstacle particulier à l’émergence du coronavirus chez les hôtes humains. En effet, les coronavirus endémiques sont peu virulents (c’est-à-dire qu’ils ont peu d’effet sur la mortalité ou sur les symptômes qui soient suffisants pour freiner la transmission), contribuant ainsi à un R0 oscillant entre 1,7 et 2,2, ce qui permet la persistance des virus dans la population. Parmi les coronavirus émergents, R0 a été estimé dans la plage de 0,8 à 1,3 pour le MERS et entre 2 et 3 pour le SARS-CoV-1. Ces ampleurs, ainsi que leur durée d’infectiosité relativement courte et leur virulence élevée, peuvent avoir en partie limité la propagation de ces deux agents pathogènes émergents. Cependant, avec un R0 de 2 à 3, ainsi qu’une transmission asymptomatique considérable, le SRAS-CoV-2 s’est largement établi. De plus, l’ampleur de la transmission et la durée de l’infection sont telles qu’il est peu probable que le nombre d’hôtes sensibles diminue rapidement en fréquence. La perte d’hôtes sensibles peut constituer une autre barrière potentielle pour les agents pathogènes émergents, en particulier pour ceux qui sont hautement transmissibles, car l’agent pathogène peut disparaître par hasard, lorsque les hôtes sensibles disponibles deviennent rares après la première vague d’infection.
Malgré la similitude de R0 Dans tous ces exemples, il pourrait y avoir des contraintes biologiques sur la transmission (β), des preuves de transmission rapide chez les porcs suggèrent que ce n’est pas nécessairement le cas pour toutes les infections à coronavirus. Dans l’ensemble, il est difficile de caractériser dans quelle mesure cette combinaison de caractéristiques pathogènes constitue un obstacle important à la propagation du coronavirus. Parmi les coronavirus qui ont émergé au cours des deux dernières décennies, le SRAS-CoV-2) a présenté la bonne combinaison de caractéristiques pour s’établir. Cela suggère que l’obtention de la bonne combinaison de caractéristiques pathogènes n’est pas un obstacle insurmontable.
Hypothèse 5 : niche immunologique de l’hôte et limites à l’établissement
Les agents pathogènes émergents qui réussissent doivent échapper de manière persistante à l’immunité innée et adaptative pour s’établir de manière endémique. Certains aspects de la biologie du coronavirus chez les hôtes réservoirs peuvent avoir contribué à la préadaptation du SRAS-CoV-2 à l’échappement à l’immunité innée humaine. Par exemple, l’analyse de séquence indique que le SRAS-CoV-2 et ses plus proches parents ont les taux de dinucléotides CpG les plus bas parmi tous les coronavirus connus chez les chauves-souris et les humains, ce qui a été supposé résulter de la sélection au sein d’espèces ou de tissus hôtes de chauves-souris particuliers. Cette faible teneur en CpG a été suggérée comme un facteur qui pourrait avoir facilité son échappement au système immunitaire inné humain, car les séquences riches en CpG, qui sont relativement rares dans le génome humain, sont ciblées par le système immunitaire inné. De plus, une sélection historique similaire du virus chez des hôtes non humains pourrait avoir entraîné la capacité du SRAS-CoV2 à échapper aux voies de l’IFN dans les cycles cellulaires réplicatifs, comme en témoignent les expériences d’infection in vitro utilisant des lignées cellulaires épithéliales. On peut supposer que tous les virus se propageant n’ont pas cette capacité. En effet, les humains vivant à proximité de grottes abritant des chauves-souris – des réservoirs connus de virus non humains liés au SRAS-CoV se sont avérés séropositifs, mais sans preuve de circulation continue de ces coronavirus non humains. Cela a montré que certaines conséquences ne permettent pas une transmission ultérieure. De même, la détection récente du deltacoronavirus porcin (PDCoV) chez trois enfants en Haïti suggère qu’il pourrait y avoir des débordements indépendants du coronavirus.
Au-delà de l’immunité innée, une caractéristique distinctive de l’immunité adaptative est le ciblage très spécifique des agents pathogènes auxquels l’hôte a déjà été exposé, c’est le principe de la mémoire immunologique. Cette caractéristique pourrait rendre l’immunité adaptative initialement négligeable face aux nouveaux agents pathogènes, tout en exerçant une forte pression sélective sur les agents pathogènes endémiques, comme en témoigne la dérive antigénique. Les anticorps capables de neutraliser les virus en circulation en fonction de leur configuration actuelle peuvent favoriser la propagation de variants capables d’échapper partiellement, à cette immunité. Bien caractérisés pour le virus de la grippe, des processus similaires ont été signalés pour les coronavirus endémiques. Les changements qui favorisent l’échappement immunitaire peuvent également augmenter la liaison aux récepteurs des virus de la grippe et les coronavirus, augmentant ainsi le défi d’obtenir des défenses immunitaires efficaces de l’hôte.
Cependant, la réactivité croisée est également une signature de l’immunité adaptative : une réponse immunitaire adaptative déclenchée contre un agent pathogène peut être protectrice contre un autre. Par exemple, une réduction des infections endémiques à coronavirus dans les populations humaines a été associée à une infection antérieure par le virus de la grippe, et les infections à rhinovirus dans les cellules épithéliales bronchiques humaines peuvent bloquer la réplication du SRAS-CoV-2. Cela suggère qu’une infection antérieure par un autre agent pathogène pourrait réduire la colonisation et/ou l’établissement d’un coronavirus émergent. Les agents pathogènes peuvent donc entrer en compétition les uns avec les autres pour l’invasion de l’hôte, ce qui limite les perspectives d’émergence : la croissance précoce des agents pathogènes de débordement ne sera plus régie par R0 mais en R0 × S, où S constitue la fraction de la population qui reste vulnérable à l’espèce concurrente. En effet, la barrière à la propagation de la variole du singe créée par l’immunité protectrice croisée associée à la vaccination contre la variole est un exemple remarquable de ce phénomène : les cohortes récentes d’hôtes humains ne recevant pas de vaccin contre la variole ne disposent pas de cette barrière, de sorte que la fréquence de la propagation de la variole du singe dans ces cohortes humaines augmente actuellement au fil du temps. À l’inverse, l’absence d’immunité protectrice croisée élimine cette possible barrière immunitaire à la propagation : cela pourrait aussi expliquer la riche diversité des souches observées chez les entérovirus chez l’homme.
La question de l’immunité protectrice croisée peut également expliquer pourquoi le nombre de coronavirus endémiques est actuellement de quatre : la compétition entre les espèces peut également influencer les espèces qui coexistent. Plus précisément, si la protection croisée est globalement symétrique, alors, parmi les coronavirus suscitant une protection croisée, le virus avec le plus haut R0 peut exclure tous les autres coronavirus, y compris les espèces de débordement, ce qui conduit à une seule lignée virale endémique. Si les différences dans les R0 sont mineures, comme suggéré pour les coronavirus, la cocirculation persistante entre les populations hôtes peut dépendre de la façon dont les espèces coexistantes évitent de partager une niche immunologique donnée, par exemple, en s’éloignant de l’immunité protectrice croisée existante ; ou par leur façon de partager la niche immunologique, par exemple, en déplaçant l’infection à une autre période de l’année ou à un autre groupe d’âge.
L’immunité contre les coronavirus est relativement courte (environ 12 mois). De plus, cette immunité contre les coronavirus endémiques peut être inter-réactive, et offrir dans une certaine mesure une protection croisée. Si la réponse immunitaire provoquée par chaque virus réduit la croissance virale plus qu’elle ne le fait pour d’autres virus concurrents, alors la coexistence peut s’ensuivre en supposant des amplitudes similaires de R0. De plus, les différences dans les R0 pourrait être compensée par des différences de sensibilité à l’immunité réactionnelle croisée. Plus précisément, une lignée qui est moins transmissible mais qui est capable d’éviter l’immunité réactionnelle croisée pourrait présenter un avantage sur d’autres lignées qui y sont soumises. De plus, de légères différences dans les modes de transmission saisonniers, associées à de petites hétérogénéités dans les dépendances climatiques, pourrait permettre la coexistence. Par exemple, en permettant des cycles pluriannuels où les paires de virus présentant la réactivité croisée la plus élevée peuvent atteindre leur incidence maximale au cours de différentes années ; ce schéma a été constaté HCoV-229E et -NL63. Pour des différences de R0 plus importantes, les différences dans la durée et la spécificité des réactions immunitaires pourraient permettre de répartir la niche immunologique entre les tranches d’âge humaines, ce qui reste encore à démontrer plus précisément.
La preuve de compensations saisonnières, de dérive antigénique et d’anticorps neutralisants croisés parmi les coronavirus endémiques est compatible avec la pression évolutive agissant sur les coronavirus endémiques en compétition entre eux. Le fait que les coronavirus endémiques ne soient pas entièrement compensés temporellement ou antigéniquement, (donc que la compétition se poursuit) suggère qu’il pourrait y avoir une limite supérieure au degré de variation antigénique et d’échappement immunitaire, tandis que d’autres aspects de la valeur adaptative virale sont maintenus. On parle d’épistasie lorsque des gènes sont en compétition et que l’expression de l’un empêche l’expression de l’autre).
Il s’agit d’une question importante et ouverte, étroitement liée à la question de savoir quelles circonstances combinées auraient pu créer une possibilité de propagation du SRAS-CoV2 chez l’homme à la fin de 2019. Peut-être était-ce simplement un cas de malchance : l’extinction locale aléatoire d’un coronavirus endémique aurait pu créer une lacune locale et temporaire dans l’immunité à l’endroit où le débordement s’est produit. Il se peut qu’il se soit produit par hasard : des événements de l’histoire évolutive du virus dans le réservoir non humain auraient pu conduire à ce que le profil antigénique du SRAS-CoV-2 soit tel qu’il a échappé à l’immunité neutralisante croisée existante dans les populations humaines. En effet, bien que la réactivité croisée des anticorps entre les coronavirus endémiques et le SRAS-CoV-2 soit souvent détectée dans les populations humaines, aucun effet sur l’hospitalisation n’a été identifié, ce qui suggère que les anticorps existants pourraient ne pas protéger contre les maladies graves. De même, les lymphocytes T mémoires chez l’homme sans exposition préalable au SRAS-CoV-2 réagissent de manière croisée avec le virus, mais il y a peu de preuves que cela ait ralenti la propagation de la pandémie ; de plus, la réactivité croisée ne semble pas être inévitable car les réponses des lymphocytes T aux coronavirus endémiques ne réagissent pas de manière croisée avec le MERS. Dans l’ensemble, de multiples sources de données suggèrent des possibilités de concurrence immunitaire entre les coronavirus. Cette compétition pourrait servir à filtrer les virus émergents potentiels qui, contrairement aux espèces ayant réussi l’émergentes (comme le SRAS-CoV-2), occupent une niche immunologique pour laquelle une forte réactivité croisée protectrice est déjà courante dans la population.
Remarques finales
L’existence de quatre espèces de coronavirus endémiques chez l’homme semble être un petit nombre par rapport aux trois débordements observés au cours des deux dernières décennies. En supposant qu’il ne s’agisse pas simplement d’une question de détermination (hypothèse 1) ou de conditions géodémographiques récentes fortement modifiées (hypothèses 2 et 3), la réponse à la question de savoir pourquoi il y a si peu d’espèces de coronavirus endémiques aux populations humaines doit se trouver à l’intersection d’au moins trois facteurs : la transmission, la virulence et toute réactivité immunitaire croisée existante induite par d’autres coronavirus. En effet, pour réussir à émerger, une nouvelle espèce doit réussir le difficile compromis entre virulence et transmission, tout en réussissant à échapper à l’immunité existante dans la population humaine.
Il convient de noter que les techniques de mesure de l’hétérogénéité de l’immunité au niveau de la population progressent rapidement. Combinées à l’expansion des approches de biologie synthétique, on pourrait avoir un aperçu des événements de propagation virale potentiels que le système immunitaire peut tenir à distance. À l’inverse, il peut également être possible d’évaluer les vulnérabilités, telles que les lacunes dans l’immunité humaine face à d’autres coronavirus non humains susceptibles d’émerger. À leur tour, ces données pourraient aider à identifier les emplacements et les lignées virales spécifiques pour lesquels des efforts de surveillance accrus ou la mise au point préventive d’un vaccin pourraient être envisagés. Collectivement, ces informations peuvent être précieuses pour évaluer la pandémie de SRAS-CoV-2 et tout futur débordement/événement pandémique présumé de coronavirus. Cela pourrait également permettre une meilleure dissection de la pertinence et de l’applicabilité des cinq hypothèses présentées dans cet article d’opinion.
Plus largement, cette discussion est pertinente pour des questions fondamentales en biologie virale, telles que pourquoi seulement 200 à 300 espèces virales infectent les humains. Une autre question pressante est de savoir pourquoi certains sous-groupes de virus humains (p. ex., les entérovirus) sont largement diversifiés, tandis que d’autres (p. ex., virus respiratoire syncytial, VRS) sont plus restreints. Tout cela pourrait également éclairer les questions d’écologie virale. Il s’agit notamment d’examiner le rôle du contexte environnemental dans l’amélioration de la diversité virale (p. ex., un habitat de zone humide partagé peut servir de réservoir pour la transmission du virus de la grippe chez les oiseaux d’eau) et le rôle du tropisme tissulaire (par exemple, les différentes limites de l’immunité et de la tolérance aux agents pathogènes dans l’intestin par rapport au poumon). Enfin, les interventions non pharmaceutiques qui ont été déployées à l’échelle mondiale en 2020-2021 pourraient fournir des informations supplémentaires et fascinantes sur la coexistence et la persistance des coronavirus endémiques chez l’homme.
Questions en suspens
Quelle proportion de lignées de coronavirus dans le réservoir se trouvent dans un espace antigénique de réactivité croisée avec un coronavirus endémique humain existant ?
Avant l’émergence, pouvons-nous identifier les coronavirus sauvages existants qui sont capables d’éviter la réactivité croisée protectrice des coronavirus endémiques, et dont les paramètres de transmission et de virulence permettent une circulation persistante dans les populations humaines ?
Pourquoi les infections humaines à coronavirus sont-elles respiratoires (du moins principalement) alors que la plupart des principales infections à coronavirus animales sont entériques (par exemple, les CoV porcins, canins et félins) ou pneumoentériques (CoV bovins) ? Étant donné la plus grande fragilité du poumon par rapport à l’intestin, comment le tropisme et la virulence tissulaires interagissent-ils pour façonner le potentiel d’émergence ? Les groupes viraux infectant différents systèmes tissulaires ont-ils des modèles différents d’espèces ou de diversité intraspécifique ?
Si l’on compare les groupes viraux, les groupes pour lesquels l’immunité contre les agents pathogènes existants occupe une plus petite proportion de l’espace antigénique ont-ils des pools d’agents pathogènes endémiques plus diversifiés. C’est-à-dire, les virus endémiques projettent-ils des ombres de réactivité croisée plus étroites pour certains groupes ?
Rice BL, Douek DC, Mcdermott AB, Grenfell BT, Metcalf CJE
Why are there so few (or so many) circulating coronaviruses ?
Trends Immunol. 2021 Sep;42(9):751-763
DOI : 10.1016/j.it.2021.07.001
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Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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