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Grippe, douceur et cruauté des chiffres

humeur du 02/02/2009

Grippe, douceur et cruauté des chiffres

Les chiffres sont à la fois doux et cruels. La grippe, dont la tyrannie médiatique, nous oblige à l'avoir ou à la supputer, offre finalement des chiffres rassurants. Environ 80 cas mortels sur 2,8 millions de cas estimés en France à ce jour. Ainsi la mortalité imputable à cette épidémie semble être environ trente fois inférieure à la mortalité des précédentes, usuellement et grossièrement estimée à un pour mille. Douceur du chiffre qui nous annonce cette grippe comme trente fois plus bénigne que les autres.

A moins que ce virus soit aussi mortel ou plus que les précédents. Les chiffres signifieraient alors une surestimation du nombre de cas. Ce surdiagnostic représenterait 29 cas sur 30 ou plus ! Cela laisse perplexe et rend soudain les chiffres cruels, car ils révèlent que nos diagnostics sont incertains et influençables. Puisque le peuple, le ministère et les médias veulent que chaque fébricule ou rhume soit une grippe A, pourquoi les en dissuader et se comporter en rabat-joie de la grégarité ou en puriste du doute scientifique ? Oui notre science clinique est depuis très longtemps fortement influencée par les argumentaires mercatiques médiatiques ou politiques. Voilà que la division par trente de ce chiffre de mortalité nous le rappelle de façon cocasse.

On reproche souvent à la médecine basée sur les preuves d'être une médecine de la calculette. Je constate que le reproche est à moitié injustifié. L'usage de la calculette sert le plus souvent à démontrer l'efficacité des thérapeutiques ou à rehausser l'angoisse pathogène des facteurs de risque, mais curieusement, la calculette disparaît pour les règles de trois les plus élémentaires de l'épidémiologie. Tout se passe comme si les chiffres semblaient perdre leur pertinence lorsque leur résultat diminue la charge anxiogène sur la population.

Le concept de médecine basée sur les preuves est le dernier fleuron de la médecine moderne. Si nous ne voulons pas succomber sous la vague obscurantiste, ne faisons jamais l'impasse de ce principe des preuves. On ne peut pas le brandir à la demande. C'est tout le temps ou jamais.

Si c'est tout le temps : soit cette grippe est vraiment bénigne, soit son diagnostic est inflationniste au-delà du raisonnable.

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