humeur du 05/09/2014
Au cours d’une promenade d’été, j’ai fait la rencontre la plus singulière de ma carrière. C’était au détour d’un sentier, dans un hameau de montagne.
J’ai une vieille habitude de moquer les excès de la médecine, la gabegie des soins, la démagogie de la précaution, les incitations à la dépense par la Sécurité Sociale elle-même, la surenchère des mutuelles dans le catastrophisme, et autres braderies de mon petit fonds de commerce.
Je ne vise personne en particulier, car nous sommes tous des acteurs galopants derrière un marché, loin devant. Mon humour n’y changera rien, et s’il peut en amuser certains, le rire leur sera remède. Voltaire l’avait compris qui avait « décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé ».
Médecins, ministères, laboratoires, tous ont eu droit avec équité à mes sarcasmes ponctués de réflexions. Mais là, je n’ai même pas envie de réfléchir, j’ai juste envie d’une dernière bouffée de rire avant les certificats médicaux de la rentrée, exigés par les assurances pour le sport à l’école.
Les fonctionnaires territoriaux n’étaient pas ma cible préférée, peut-être parce que j’ai parfois apprécié leur aide dans les soins de proximité. Les conseils généraux ont été les grands oubliés de mes sarcasmes, et au moment où j’apprends leur disparition prochaine, je leur dois bien cette reconnaissance tardive. Oui, ils participent comme les autres à la grande accélération des gabegies médico-sanitaires. Oui, dès qu’il s’agit de science biomédicale, ils tombent dans le panneau du catastrophisme avec le même patatras que leurs contemporains fonctionnaires ou marchands.
L’appareil était là, rutilant, exposé aux intempéries, sur le mur de l’une des cinq maisons de ce hameau de moins de dix âmes. Un défibrillateur public destiné à secourir une hypothétique victime de tachyarythmie ventriculaire.
La défibrillation externe pratiquée à l’hôpital, chez des patients sous surveillance intensive, a environ 50% de résultats positifs. Ce pourcentage chute au-dessous de 10% lors des appels d’urgence.
Les défibrillateurs implantables chez des patients à haut risque ont des résultats très modestes, difficiles à évaluer. Quant aux défibrillateurs externes à usage public, la plupart des publications datent du début des années 2000 et ne portent que sur les méthodes d’utilisation ; elles émanaient des fabricants pour convaincre les autorités. Depuis, très peu d’études ont publié des résultats crédibles ; de rares vies seraient sauvées lorsque ces défibrillateurs sont installés dans des lieux à forte fréquentation, tels que gares ou aéroports.
La probabilité pour que ce défibrillateur rural sauve une vie dans le millénaire à venir contient autant de zéros après la virgule qu’il y a d’atomes dans le système solaire…
En redescendant, j’ai croisé un berger édenté qui ne pouvait s’offrir les frais dentaires. Son conseil général ne pourra pas l’aider, car tous les huit ans, il faut remplacer ces défibrillateurs à obsolescence programmée.
Pour ceux qui en douteraient (je les comprends), voici où l’on peut voir ce défibrillateur
hameau de l’Engarvin, commune de Duranus, département des Alpes maritimes
Desai AS et coll.
Implantable defibrillators for the prevention of mortality in patients with nonischemic cardiomyopathy. A meta-analysis of randomized controlled trials.
JAMA 2004; 292: 2874-2879.
Dodson J.A., Fried T.R., Van Ness P.H., Goldstein N.E., Lampert R.
Patient preferences for deactivation of implantable cardioverter defibrillators.
JAMA Intern Med. 2013;173(5):377-379
DOI : 10.1001/jamainternmed.2013.1883
Folke F et coll.
Cardiac Arrest Density in a Metropolitan Area. Where to Place Automatic Defibrillators.
Communication à la session scientifique de l’American Heart Association (Chicago) : 12-15 novembre 2006.
Hallstrom AP, Ornato JP, Weisfeldt M, Travers A, Christenson J, McBurnie MA, Zalenski R, Becker LB, Schron EB, Proschan M,
Public-access defibrillation and survival after out-of-hospital cardiac arrest.
The New England Journal of Medicine [2004, 351(7):637-646]
DOI : 10.1056/NEJMoa040566
Holnloser S et coll.
Prophylactic use of an implantable cardioverter-defibrillator after acute myocardial infarction.
N EnglJ Med 2004; 351: 2481-2488.
Klein HU et coll.
Comparative evaluation of implantable cardioverteur-defibrillator efficacy in Europe and Unites States in the MADIT II trial.
European Society of Cardiology. Vienne 29 août - 3 Septembre 2003.
Swindle JP et coll.
Implantable Cardiac Device Procedures in Older Patients. Use and In-Hospital Outcomes.
Arch Intern Med 2010; 170: 631-637.
Whitfield R et coll
The department of Health National Defibrillator Programme: analysis of downloads from 250 deployments of public access defibrillators.
Resucitation n°64, pp 269-277, 2005
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