humeur du 08/11/2016
Qui est fournisseur de vie ?
Dans nos pays, l’hygiène du corps, de l’eau et des aliments a certainement fait gagner quinze ans d’espérance moyenne de vie à la naissance (EMVN) ; les vaccinations, autant, et les antibiotiques ont ajouté quelques années à ce bilan. Ces chiffres sont considérables, car la population bénéficiaire de ces progrès a été celle des enfants dont la survie a mathématiquement le plus fort impact sur les chiffres de l’EMVN. La mortalité des enfants de moins de 1 an était encore de 25% en 1925, contre 0,4% aujourd’hui.
Enfin les progrès de l’habitat, de l’éducation, et des conditions de travail ont grandement contribué à faire passer l’EMVN de 25 à 70 ans entre 1750 et 1950.
Dans la douzaine d’années d’EMVN que nous avons gagné depuis 1950, les progrès socio-économiques ont certainement été les premiers contributeurs. Quant aux progrès médicaux, il faut en scinder les bénéfices entre directs et indirects. Les vaccins, les médicaments et la chirurgie sont des interventions médicales directes sur les individus. La diminution du tabac ou des sucres, la réhabilitation du sport ou de l’allaitement maternel sont des actions indirectes, médiées par une meilleure connaissance. L’impact sur l’EMVN est mathématiquement plus faible en raison de l’âge plus élevé des nouveaux bénéficiaires. Cependant, la médecine indirecte a un impact encore significatif, car elle peut concerner des jeunes : allaitement du nourrisson, sport de l’enfant, tabagisme des adolescents, alimentation du jeune adulte. Quant à la médecine directe, son impact est devenu dérisoire, car il concerne majoritairement des âges encore plus avancés. Le gain d’EMVN par dépistage et traitement des cancers est estimé à deux ans. Les cinq ans gagnés par baisse des maladies cardio-vasculaires sont surtout d’ordre indirect (sport, alimentation, tabac, etc.) et très peu direct (anticoagulants, pontages, etc.).
L’EMVN des Occidentaux atteint sa limite, liée, d’une part, à la longévité de notre espèce, et d’autre part, à sa variabilité individuelle. Ce phénomène est connu sous le nom de « rectangulation » de la courbe d’espérance de vie : le nombre de centenaires augmente, mais le record de longévité ne bouge pas.
Les conclusions s’imposent : la médecine directe est dans une impasse, la médecine indirecte a encore quelque marge de manœuvre, mais l’essentiel du progrès sanitaire réside dans les progrès socio-économiques et politiques. Hélas, notre pays, classiquement fier de sa protection sociale, enregistre, depuis quelques décennies, une très forte augmentation des inégalités sanitaires, étroitement corrélée à celle des inégalités socio-économiques.
Je suis désolé pour mes confrères qui ont fait des années d’études pour comprendre les maladies neurodégénératives ou réussir des angioplasties transcutanées, mais le pouvoir de fournir de la vie appartient désormais quasi exclusivement aux sciences politiques et économiques.
Abernethy AP, McDonald CF, Frith PA, Clark K, Herndon JE 2nd, Marcello J, Young IH, Bull J, Wilcock A, Booth S, Wheeler JL, Tulsky JA, Crockett AJ, Currow DC
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Il apparaît que définir la physiologie comme la science des lois ou des constantes de la vie normale ne serait pas rigoureusement exact, pour deux raisons. D'abord parce que le concept de normal n'est pas un concept d'existence, susceptible en soi de mesure objective. Ensuite, parce que le pathologique doit être compris comme une espèce du normal, l'anormal n'étant pas ce qui n'est pas normal, mais ce qui est un autre normal. Cela ne veut pas dire que la physiologie n'est pas une science. Elle l'est authentiquement par sa recherche de constantes et d'invariants, par ses procédés métriques, par sa démarche analytique générale. Mais s'il est aisé de définir par sa méthode comment la physiologie est une science, il est moins aisé de définir par son objet de quoi elle est la science. La dirons-nous science des conditions de la santé ? Ce serait déjà, à notre avis, préférable à science des fonctions normales de la vie, puisque nous avons cru devoir distinguer l'état normal et la santé. Mais une difficulté subsiste. Quand on pense à l'objet d'une science, on pense à un objet stable, identique à soi. La matière et le mouvement, régis par l'inertie, donnent à cet égard toute garantie. Mais la vie ? N'est-elle pas évolution, variation de formes, invention de comportements ? Sa structure n'est-elle pas historique autant qu'histologique ? La physiologie pencherait alors vers l'histoire qui n'est pas, quoi qu'on fasse, science de la nature. Il est vrai qu'on peut n'être pas moins frappé du caractère de stabilité de la vie. Tout dépend en somme, pour définir la physiologie, de l'idée qu'on se fait de la santé.
― Georges Canguilhem