lucperino.com

Laurent chez le calculateur pharaonique

humeur du 16/10/2017

Laurent est un cadre quinquagénaire, gourmand de technologie et avide de progrès. Pour son avenir, qu’il organise avec méthode, la santé n’est qu’un élément gérable parmi d’autres. Il a fait réaliser son génome chez  trois géants de l’informatique afin de limiter les incertitudes d’évaluation de ses risques génétiques. Il collige ses paramètres personnels à l’aide de lentilles, bracelets et implants connectés. Il note aussi ses paramètres environnementaux et les nuisances qu’il est obligé de subir. Il essaie de garder la meilleure maîtrise possible sur les nuisances choisies ou évitables, telles que des repas d’affaire trop arrosés ou quelques cigarillos. Il est abonné à plusieurs newsletters de prévention pharmacologique primaire et de promotion des tests de dépistage et de diagnostic rapide. Il prend chaque jour une quinzaine de médicaments préventifs, vitamines et compléments alimentaires et pratique un peu de sport dominical, lorsque sa charge de travail le permet.

Depuis quelques jours, Laurent exulte, car un nouveau supercalculateur, d’une puissance sans précédent, permet d’intégrer toutes ses données personnelles accumulées avec celles de la plus grande base bibliographique d’articles biomédicaux, dans le but de remédier à ses faiblesses intrinsèques. Le coût de branchement à cette intelligence artificielle est de 999 €. Le jour « J », il se branche à la machine et attend le verdict avec un sang-froid de manager. Sur la bande de papier qui se déroule, Laurent lit ses résultats personnalisés : « Les calculs, basés sur les 560 paramètres fournis et l’analyse de plus de dix millions de références bibliographiques, permettent de conclure à un gain possible de quatre ans et huit mois de votre espérance de vie en bonne santé, ou cinq ans et dix mois avec 80% de vos facultés actuelles. Il faut pour cela respecter ce programme sanitaire : marcher une heure seize par jour, supprimer définitivement le tabac, diminuer la consommation d’alcool de 72%, la consommation de sucre de 87%, celle de viande de 60%, il faut supprimer 354 calories aux apports quotidiens et augmenter de 32% la consommation d’eau. Enfin, quoique tous neutres ou modérément défavorables, aucune conclusion n’est possible quant à vos 15 médicaments préventifs et compléments alimentaires. »

Au vu de ces conclusions, un ami lui fait remarquer qu’elles sont strictement identiques aux recommandations fournies par les papyrus médicaux de l’Egypte pharaonique : bouger plus et manger moins pour garder la santé et prolonger la vie. Les seules différences sont l’extrême précision des chiffres, l’inexistence du tabac et quasi-inexistence du sucre à cette époque. La consultation était aussi relativement moins onéreuse, et le module cérébral de l’illusion de grande différence entre 999 et 1000 n’était pas encore façonné.

Bibliographie

Bardinet Thierry
Les papyrus médicaux de l'égypte pharaonique
Fayard, 1995

 

Lire les chroniques hebdomadaires de LP

RARE

Site médical sans publicité
et sans conflit d'intérêts.

 

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Consistance des maladies virtuelles - La morbidité se définit comme un « état de maladie » ou un « caractère relatif à la [...]

Hépatoscopie pronostique - Dans la médecine mésopotamienne, l’hépatoscopie n’avait rien d’un examen [...]

La toxicité du geste - Tous les médicaments possèdent des effets indésirables. Certains y voient un corollaire et une [...]

L'idiot utile - Un recensement annuel du nombre de personnes porteuses de cancers entre 1970 et 2020, n’a [...]

Grand pas dans l’histoire des médicaments - Lorsque l’on ignorait la cause des maladies, on essayait d’en soigner les symptômes. La [...]

La phrase biomédicale aléatoire

S'il est vrai que la science ne peut pas décider des questions de valeur, c'est parce qu'il est impossible d'en décider intellectuellement, et qu'elles sont en dehors du domaine du vrai et du faux. Toute connaissance accessible doit être atteinte par des voies scientifiques ; ce que la science ne peut pas découvrir, l'humanité ne peut pas le savoir.
― Bertrand Russel

Haut de page