humeur du 02/03/2018
Une étude vient de conclure à l’efficacité des antidépresseurs dans la dépression. Il s’agit d’une méta-analyse dont le principe consiste à relire les résultats des essais cliniques les plus sérieux pour en globaliser les résultats en éliminant tous les biais possibles d’analyse et d’interprétation. C’est actuellement le plus haut niveau de preuve existant. Chaque médecin doit donc en tenir compte dans sa pratique.
Certains pourraient s’étonner que l’on cherche encore à prouver l’efficacité des antidépresseurs, plus de cinquante ans après leur découverte. Il faut au contraire se féliciter de ce dynamisme de la pharmacologie clinique. D’autres pourraient s’étonner de découvrir de précédentes méta-analyses arrivant à des conclusions inverses. Mais, comme toute science, les méta-analyses sont toujours perfectibles. La critique la plus acceptable est celle d’une médiatisation toujours supérieure des études positives, mais ce classique et incorrigible défaut ne change rien à la réalité clinique, même s’il modifie la perception des médecins et des patients.
Mais dans le sujet très sensible de la dépression, c’est ailleurs qu’il faut développer notre esprit critique.
Les deux grands domaines de la médecine sont le diagnostic et le soin. Le premier étant l’exclusivité des médecins, le second étant partagé avec les pharmacologues, les thérapeutes officiels et officieux et tous les proches. Dans le paradigme actuel de la « médecine basée sur les preuves », la preuve doit concerner les deux domaines : diagnostic et soin. En effet, un résultat clinique ne pourra jamais constituer une preuve si le diagnostic initial est erroné.
Les patients sélectionnés par cette analyse étaient atteints de dépression unipolaire sévère, autrefois appelée mélancolie. Cette grave maladie est heureusement assez rare. L’étude confirme avec raison que la plupart des antidépresseurs s’y révèlent plus efficaces que les placebos.
Le reproche que l’on peut faire, non pas à l’étude, mais à son excessive médiatisation, est que le terme de « dépression » a des significations très différentes pour les spécialistes, les pharmacologues, les praticiens et le public. De nombreux diagnostics de dépression sont erronés. Les antidépresseurs sont inefficaces et addictogènes dans les dépressions bénignes, et ils sont dangereux dans les dépressions de la maladie bipolaire.
Voilà donc une étude qu’il eut mieux valu ne pas mettre entre toutes les mains. Car les différentes et multiples dépressions sont encore très loin d’avoir atteint une stabilité diagnostique dans le monde médical. Certains patients pourraient être déviés vers des traitements efficaces au prétexte qu’ils existent, bien que leur dépression soit hors-sujet.
C’est un peu comme si l’on vantait la qualité de l’oxygène dans un service de réanimation dépourvu d’assistance respiratoire.
Cipriani A, Furukawa TA, Salanti G, Chaimani A, Atkinson LZ, Ogawa Y, Leucht S, Ruhe HG, Turner EH, Higgins JPT, Egger M, Takeshima N, Hayasaka Y, Imai H, Shinohara K, Tajika A, Ioannidis JPA, Geddes JR
Comparative efficacy and acceptability of 21 antidepressant drugs for the acute treatment of adults with major depressive disorder: a systematic review and network meta-analysis
The Lancet, 21 February 2018
DOI : 10.1016/S0140-6736(17)32802-7
Coupland C, Dhiman P, Morriss R, Arthur A, Barton G, Hippisley-Cox J
Antidepressant use and risk of adverse outcomes in older people: population based cohort study
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Gotzsche P
Psychiatrie mortelle et déni organisé
PUL, 2017
Gotzsche PC
Suicidality and aggression during antidepressant treatment: systematic review and meta-analyses based on clinical study reports
BMJ 2016;352:i65
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Jureidini JN, Doecke CJ, Mansfield PR, Haby MM, Menkes DB, Tonkin AL
Efficacy and safety of antidepressants for children and adolescents
BMJ. 2004 Apr 10;328(7444):879-83
Whitaker R
Anatomy of an Epidemic: Magic Bullets, Psychiatric Drugs, and the Astonishing Rise of Mental Illness in America
Crown, 2010
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Nous médecins, identifions-nous nos valeurs avant de prendre nos décisions, ou n'est-ce pas à partir de nos décisions que nous reconnaissons, a posteriori, ce que nous appelons nos valeurs ?
― Alain Froment