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Personnalisation sans individu

humeur du 16/06/2018

Toute décision thérapeutique s’appuie sur trois composantes. La première est évidemment un diagnostic précis. La seconde relève des données de la science biomédicale. La troisième concerne le patient : son environnement, sa personnalité, ses préférences.

Sans diagnostic précis, les actions thérapeutiques ne peuvent être que commerciales ou obscurantistes. Le commerce soigne des maladies à venir en s’appuyant sur des critères intermédiaires, le plus souvent insuffisants ou manipulés. L’obscurantisme soigne des symptômes par autosuggestion. Précisons ici que ni le commerce, ni l’obscurantisme ne sont l’apanage d’aucune médecine officielle ou officieuse, chacune puisant abondamment dans les deux registres.

Les progrès faramineux de la science et des techniques auraient dû conduire à des diagnostics de plus en plus précis induisant à leur tour des décisions de plus en plus circonscrites, voire univoques. Or nous constatons une multiplication des propositions de soins, autour de critères intermédiaires de moins en moins validés. Les pratiques officieuses foisonnent en inventant de nouveaux préfixes à « pathie ». Les pratiques officielles multiplient les critères chiffrés de soin et de prévention  avec une simplification qui laisse pantois. Les méthodes psychothérapiques se comptent par centaines. Même dans le domaine de la vaccination, classiquement le plus scientifique et le moins commercial, on s’aventure vers des chiffres stupéfiants, puisque plus de 300 vaccins différents sont à l’étude. 

La notion même de santé disparait dans cette cacophonie diagnostique, préventive et thérapeutique. Cet écart paradoxal entre les progrès de la biomédecine et la régression conceptuelle de la santé révèle les deux individus/patients actuels. Le premier zappe librement d’une proposition sanitaire à l’autre en refusant la domination d’une science ou d’un dogme. Le second se soumet sans discernement aux gourous qui manipulent ses croyances, ou aux marchands qui pervertissent sa science.

La science façonnée par les marketeurs des firmes est mise à rude épreuve : de plus en plus de médecins ont appris à en décoder les subterfuges, de plus en plus de citoyens ont appris à s’en dispenser. Les innovations pharmaceutiques ayant désormais un impact médiocre sur le gain de quantité-qualité de vie, l’unique solution est d’augmenter encore la pression mercatique.

Le slogan de « médecine personnalisée », créé sur ce constat, veut nous faire rêver à la fin des errances entre des pratiques médicales inconciliables, avec retour de l’individu au centre du soin...  

La personnalisation est l’expertise des cliniciens depuis toujours. Non seulement, les marketeurs ont usurpé le terme, mais ils façonnent une personnalité sur de passagères mutations tumorales ou de subtiles voies métaboliques, dans une simplification qui laisse aussi pantois que les précédentes. L’individualité s’en éloignant davantage, les cliniciens et les gourous vont avoir encore plus de boulot.  

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La phrase biomédicale aléatoire

La vie est cette activité polarisée de débat avec le milieu qui se sent ou non normale, selon qu'elle se sent ou non en position normative. Le médecin a pris le parti de la vie. La science le sert dans l'accomplissement des devoirs qui naissent de ce choix. L'appel au médecin vient du malade (!). C'est l'écho de cet appel pathétique qui fait qualifier de pathologique toutes les sciences qu'utilise au secours de la vie la technique médicale. C'est ainsi qu'il y a une anatomie pathologique, une physiologie pathologique, une histologie pathologique, une embryologie pathologique. Mais leur qualité de pathologique est un import d'origine technique et par là d'origine subjective. Il n'y a pas de pathologie objective. On peut décrire objectivement des structures ou des comportements, on ne peut les dire "pathologiques" sur la foi d'aucun critère purement objectif. Objectivement, on ne peut définir que des variétés ou des différences, sans valeur vitale positive ou négative.
― Georges Canguilhem

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