humeur du 13/12/2018
Dans les années 1920, des pédiatres et radiologues américains notèrent que les nourrissons victimes de fortes rhino-pharyngites avaient un gros thymus. Comme ils ne savaient pas à quoi servait cet organe voué à disparaître à l’âge adulte, ils proposèrent de le détruire par irradiation. Cette pratique barbare devint une nouvelle « norme » médicale pendant plus de trente ans. Puis, constatant la surmortalité chez les dizaines de milliers de nourrissons ainsi traités, on comprit que le thymus était un organe majeur du système immunitaire de l’enfant. On avait pris la conséquence du rhume pour sa cause.
Il est inconvenant de juger nos confrères d’hier avec nos yeux d’aujourd’hui, mais il est parfois difficile de s’en abstenir.
L’activisme des soins pour cette pathologie fréquente n’allait pourtant pas s’arrêter là. On a ensuite réalisé des millions d’adénoïdectomies, opération terrible (souvent sans anesthésie), consistant à enlever les fameuses « végétations » autre organe du système immunitaire propre à l’enfant. Au moment où j’écris, ces opérations sont devenues rares, mais elles se pratiquent encore (avec anesthésie) malgré la preuve de leur inefficacité. Les végétations disparaissent vers l’âge de 6 ans.
Ayant enfin compris que le rhume est une pathologie banale et obligatoire de l’enfant, la médecine s’est concentrée sur sa complication unique : l’otite moyenne aigue. Dès que le tympan était rouge, on considérait qu’il y avait otite et l’on prescrivait des antibiotiques, souvent accompagnés d’antiinflammatoires, et parfois de corticoïdes. Ces « remèdes de cheval » se sont révélés soit inutiles, comme les antibiotiques, soit dangereux, comme les antiinflammatoires et les corticoïdes.
On s’est alors concentré sur les otites chroniques dites « séro-muqueuses », car la trompe d’Eustache reliant le pharynx et l’oreille moyenne est plus perméable chez l’enfant. Les enfants ont décidément beaucoup de particularités ! On a alors pratiqué des paracentèses consistant à perforer le tympan, puis on a posé des drains trans-tympaniques (plus connus sous le nom de « diabolos »). Cette pratique est encore fréquente malgré les preuves accumulées de son inutilité.
Les plus sages des médecins ont fini par ne proposer que du sérum physiologique en pulvérisations nasales et du paracétamol. On ne peut que louer cette sagesse, bien que – nous osons à peine le dire – cela se révèle aussi inutile que tout le reste, à court, moyen ou long terme.
Certains épidémiologistes ont voulu savoir quels étaient les facteurs favorisant ces troubles. Trois d'entre eux se dégagent : le manque de sommeil, l’allaitement artificiel, et un statut social défavorisé. Dans ces trois cas, les remèdes sont ne sont pas vraiment du ressort de la médecine. Et les médecins ne les évoquent pas par peur des représailles.
Il nous faut donc encore attendre pour connaître le grand progrès de l’abstention dans les pathologies obligatoires de l’enfant.
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Laboratoire des ambivalences d'une société dans laquelle l'homme de masse est son propre souverain, la dépression est instructive au sens où elle rend visible ce double changement des contraintes structurant l'individualité : du côté intérieur, elles ne se montrent plus dans les termes de la culpabilité ; du côté extérieur, elles ne s'imposent plus dans les termes de la discipline.
― Alain Ehrenberg