dernière mise à jour le 06/02/2019
par Randolph Nesse
L’histoire de la médecine regorge d’exemples de catastrophes qui résultent de pratiques uniquement guidées par des théories sans preuve. Par exemple, au début du XXe siècle, la mort subite du nourrisson était attribuée à l'étouffement causé par un thymus trop grand. Des milliers de nourrissons ont alors reçu une radiothérapie provoquant une recrudescence de cancer de la thyroïde chez ces enfants. De nouveaux cas de cancer surviennent encore plus de 45 ans après l'exposition.
De tels exemples font que la plupart des médecins évolutionnistes sont extrêmement réticents à l'idée de fonder leurs conseils cliniques sur une théorie.
Recommander l'aspirine pour prévenir les accidents vasculaires cérébraux et les infarctus semblait une chose sûre. Dans les environnements ancestraux, un saignement présentait un risque, alors que le risque d’un caillot dans une artère n’était pas une préoccupation. Invesement, dans nos sociétés actuelles, un saignement ne représente pas un grave danger, alors que nous sommes inquiets de tous les risques de thrombose. On a alors pensé que faire prendre de l’aspirine aux enfants tous les jours pourrait diminuer les risques. Des études ont d’ailleurs montré qu’une prise quotidienne d’aspirine chez les jeunes réduisait les risques cardiaques ultérieurs de 25%. Cette méthode préventive fut adoptée par plusieurs médecins.
Des millions de personnes ont pris une aspirine chaque jour pendant des années. Mais il devient évident que même une théorie solide et des données à l'appui ne suffisent pas.
Les premières mises en garde provenant de nouvelles études montraient que même de petites doses d’aspirine provoquaient plus de saignements gastro-intestinaux que prévu. Puis, à la fin de 2017, les résultats d'une étude à long terme à double insu ont été publiés. L'essai ARRIVE a inclus plus de 12 000 sujets âgés de 55 à 60 ans et présentant un risque moyen de crise cardiaque. La moitié des sujets ont reçu de l'aspirine et l’autre moitié,un placebo. À la fin des cinq années, 4,29% du groupe aspirine et 4,48% du groupe placebo étaient décédés d’une cause. Le taux de saignements gastro-intestinaux était deux fois plus élevé pour le groupe aspirine.
Ce petit article ne clôt évidemment pas le sujet. Nous parlons ici de prévention primaire, donc pour des personnes saines considérées à tort comme étant à risque. Il n’en est pas de même pour des personnes ayant déjà eu un accident vasculaire et auxquelles il semble préférable de continuer à prescrire de l’aspirine. Mais c’est alors ce que l’on nomme de la prévention secondaire. Ce qui est certain, c’est que les meilleures preuves sont toujours fournies par des essais randomisés en double aveugle contre placebo. Et surtout que des recommandations fondée sur une théorie apparemment solide peuvent ne pas être justifiées, même si elles sont étayées par de premières données (souvent hélas biaisées ou statistiquement insuffisantes).
Adams MJ, Shore RE, Dozier A, Lipshultz SE, Schwartz RG, Constine LS, Pearson TA, Stovall M, Thevenet-morrison K, Fishera SG
Thyroid Cancer Risk 40+ Years after Irradiation for an Enlarged Thymus: An Update of the Hempelmann Cohort
Radiat Res. 2010 Dec; 174(6): 753–762
DOI : 10.1667/RR2181.1
Gaziano JM, Brotons C, Coppolecchia R, Cricelli C, Darius H, Gorelick PB, Howard G, Pearson TA, Rothwell PM, Ruilope LM, Tendera M, Tognoni G; ARRIVE Executive Committee
Use of aspirin to reduce risk of initial vascular events in patients at moderate risk of cardiovascular disease (ARRIVE): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial
Lancet. 2018 Sep 22;392(10152):1036-1046
DOI : 10.1016/S0140-6736(18)31924-X
Nesse R
How EvMed Misled Me -The ASA saga
Evmed review, Oct 22, 2018
Symmers D
The Cause of Sudden Death in Status Lymphaticus
Am J Dis Child. 1917 Dec 1;14(6):463–9
DOI : 10.1001/archpedi.1917.01910120068004
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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L'homme occidental n'aime pas la clinique des signes. Il aime la thérapeutique, pas le temps de l'indétermination.
― Marc Grassin et Frédéric Pochard