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Pourquoi sommes-nous si aptes à échapper au cancer ?

dernière mise à jour le 09/05/2015

Résumé

La loi de la sélection naturelle peut être utilisée pour comprendre le développement du cancer au niveau des espèces, ainsi qu’au niveau des cellules et des tissus. Dans cette optique je cherche à expliquer ici :

1/ Pourquoi le manque de pression sélective pour éliminer les cancers dans les temps passés explique la progression exponentielle du cancer avec l’âge.

2/ Pourquoi l'évolution des gros animaux à grande longévité nécessite de puissants mécanismes de suppression de tumeurs.

3/ Comment la nécessité de prévenir l'expansion de cellules somatiques inadéquates et des cancers a contraint les modalités de développement et d'architecture des tissus.

4/ Comment l'évolution de cellules souches bien adaptées, ayant des exigences complexes de niche, a conféré une résistance à des mutations oncogéniques, car les changements génétiques altérant le phénotype sont presque toujours désavantageux au sein d'une population de cellules bien adaptées.

5/ Comment la perte de valeur sélective des cellules, telle qu’elle se produit à un âge avancé, peut favoriser la sélection de mutations adaptatives et initier un cancer.

6/ Pourquoi le maintien différentiel de la valeur sélective des cellules souches peut expliquer comment différentes espèces de vertébrés avec d'énormes différences de longévité et de volume corporel peuvent évier le cancer de la même façon, tout au long des années et de leur reproduction.

 

I/ Pourquoi le manque de pression sélective pour éliminer les cancers dans les temps passés explique la progression exponentielle du cancer avec l’âge.

La sélection naturelle est aveugle aux personnes âgées qui, pendant la majeure partie de notre histoire évolutive étaient relativement rares. Les chances d'un homme de plus de 40 ans de contribuer au pool génique des générations futures étaient faibles, en raison des décès précoces par maladie, famine, prédateurs ou autres causes.

Le déclin somatique de l’âge s’explique par l’absence de sélection au-delà de la période reproductive. Le même raisonnement s’applique au cancer, car les processus de limitation de cancer ne sont plus sélectionnés. Ainsi, la courbe des taux de cancer par âge croise celle de la fraction d’animaux vivants au même âge.

Bien que ces courbes pour les vertébrés sauvages suggèrent que le cancer ne limite pas sensiblement la survie post-reproductive, elles montrent que le cancer n’a pas été négligeable dans l'évolution des vertébrés.

En réalité, l'évolution des animaux à longue vie et de grande taille nécessite l’acquisition de puissants mécanismes de répression tumorale. Bien qu'il ait pu y avoir quelque avantage pour une meilleure répression du cancer chez les individus âgés (vieux mâles encore fertiles, grand-mères soignantes, etc.), elle aurait été limitée si elle avait eu une influence négative sur l’allocation d’énergie dans le jeune âge. Ainsi, l'évolution a évalué les coûts et les avantages de l'entretien des cellules somatiques et de la suppression de la tumeur, en favorisant une stratégie qui maximise le succès de reproductif.

 

II/ Pourquoi l'évolution des gros animaux à grande longévité nécessite de puissants mécanismes de suppression de tumeurs.

L'évolution des animaux multicellulaires à longue durée de vie a nécessité l’acquisition de puissants mécanismes de répression tumorale. Je considère ces mécanismes soit comme intrinsèques (autonomes au niveau cellulaire) soit intégrés à l'architecture tissulaire ou à l’organisation générale des systèmes de l’individu. Enfin, je vais plaider pour un autre mécanisme basé sur la résistance des cellules souches aux modifications phénotypiques héritables.

La suppression tumorale intrinsèque

Les cellules des organismes multicellulaires, même ceux avec des organisations corporelles aussi simples que les éponges, ont développé des mécanismes pour maintenir un nombre approprié de cellules dans les tissus. La division cellulaire et la survie sont toutes deux régulées par différents signaux sociaux, dont la stimulation du facteur de croissance, le lien à des membranes, le contact avec d'autres cellules et un approvisionnement sanguin adéquat. De plus, il y a souvent redondance de ces systèmes de contrôle, ainsi que des mécanismes de rétroaction qui pénalisent les cellules qui contreviennent à ces signaux sociaux. Une cellule qui entame un cycle inapproprié est généralement conduite à la mort ou à la sénescence.

Ce contrôle strict du nombre de cellules est nécessaire au bon fonctionnement du tissu. Il est également clair que les mécanismes qui éliminent les cellules du pool réplicatif en réponse à des signaux inappropriés sont de puissants mécanismes intrinsèques suppresseurs de tumeur.

En effet, de nombreuses mutations oncogéniques affectent les voies qui favorisent l'apoptose, la sénescence, ou d'autres moyens pour empêcher l'expansion clonale. En outre, les dommages de l'ADN et d’autres stress cellulaires déclenchent des processus similaires pour limiter les risques de propagation des cellules endommagées.

L'évolution des animaux multicellulaires (métazoaires) ont exigé l'acquisition de nouvelles fonctions des gènes suppresseurs de tumeur qui limitent l’expansion inappropriée des cellules, et il est peu surprenant que l'origine des métazoaires coïncide avec l'émergence de certains oncogène et gènes suppresseurs de tumeur.

Bien que la maintenance par les télomères ne soit certainement pas limité à des organismes multicellulaires, le raccourcissement progressif des télomères dans les cellules somatiques est supposé limiter le développement des tumeurs, en particulier si elles démarrent dans des cellules dépourvues de télomérase. Enfin, la réparation effective de l'ADN et la maintenance épigénétique du code contribuent certainement aussi à la suppression tumorale intrinsèque en limitant la diversité somatiquement héritable. Cependant, les preuves d’une amélioration significative du maintien des codes génétiques et épigénétiques au cours de l'évolution de la multicellularité manquent toujours.

 

La suppression tumorale Intégrée

Un concept profond et très sous-estimé proposé par Cairns et d’autres chercheurs, suggère que l’évolution des organismes pluricellulaires a été entravée par l'obligation d'éviter le cancer (ou toute évolution de cellules somatiques qui perturbe la fonction normale des tissus). Ces contraintes sont plus fortes pour les organismes au corps plus grand et à plus longue durée de vie, qui exigent un renouvellement des tissus à l'âge adulte. En particulier, l'organisation hiérarchique des tissus, avec peu de cellules souches et une différenciation progressive de la plupart des cellules, a certainement contribué à perfectionner la suppression tumorale. En outre, les cellules souches se divisent rarement, et délèguent la prolifération rapide à des cellules filles qui deviennent des génitrices à vie courte. Le cloisonnement de cellules souches, telles que celles des cryptes du côlon à la base de chaque villosité (protégées du contenu agressif de la lumière intestinale), serait prévu pour limiter l'évolution ultérieure de cellules somatiques. La relativement petite taille de chaque population de cellules souches devrait servir à entraver l'évolution clonale, car il faut une taille minimale pour avoir suffisamment de mutations avantageuses. D'autre part, les petites populations peuvent plus facilement fixer les mutations de la dérive génétique, même les plus désavantageuses (telles que celles conduisant à une instabilité génétique).

Bien que la plupart des tissus épithéliaux à auto-renouvèlement semblent avoir adopté la stratégie de compartimentation des cellules souches, le système hématopoïétique (pour des raisons inconnues) a inversement évolué vers une seule grande population de mélange des cellules souches.

Donc, tant par l'emplacement stratégique (réduction de l'exposition cancérogène) que par la réduction du nombre de cellules souches (petites tailles efficaces de population), les intestins des vertébrés ont évolué avec un faible taux de cancer, en dépit d'un nombre vertigineux de divisions cellulaires quotidiennes nécessaires au maintien de cet organe. L'organisation hiérarchique des tissus, avec quelques cellules souches pour les maintenir, constitue une belle stratégie évolutionniste, déléguant la dangereuse expansion cellulaire à des cellules génitrices à vie courte, qui finiront par des différentiations létales et seront éliminées (dans le cas des cellules intestinales, par un voyage aller simple vers l'anus). Par conséquent, les mutations oncogéniques potentielles ainsi chassées finiront sous la chasse d’eau !

Il y avait probablement d'autres solutions possibles pour concevoir un bon organe d’absorption de nourriture, mais parmi les choix évolutifs possibles, les vertébrés avaient besoin d’un organe qui concilie un faible taux de tumeur avec une grosse taille et une longue durée de vie.

Les vertébrés ont développé des systèmes immunitaires efficaces, et même les invertébrés possèdent des systèmes immunitaires innés. En plus de limiter les infections par des pathogènes, ces systèmes peuvent cibler les cellules malignes et contribuer à la suppression de tumeurs. L’organisation des tissus peut également contribuer à la "pression des pairs" exercée sur les cellules malignes, de sorte qu'un microenvironnement normal élimine les phénotypes malins. En outre, une tumeur croissante modifie son microenvironnement, et donc le paysage adaptatif. Comme décrit par Gatenby et Gillies, les altérations du microenvironnement créent de nouveaux obstacles à l'évolution continue du cancer, et ces obstacles sont généralement efficaces pour limiter l’extension des tumeurs. Ces obstacles incluent la restriction d'oxygène et d’éléments nutritifs, exigeant alors d’acquérir de nouvelles mutations qui favorisent la glycolyse et la néo-angiogenèse. Ces obstacles peuvent expliquer l’omniprésence de nombreuses excroissances et tumeurs bénignes sur la peau et dans les tissus des personnes âgées : la plupart des clones initiés par des oncogènes sont des impasses. Ainsi, la raison pour laquelle la plupart d'entre nous survivent à l’âge d'or sans développer de cancer provient de mécanismes de répression tumorale très évolués et très efficaces.

 

III/ Santé robuste et suppression de tumeurs : Comment l'évolution de cellules souches bien adaptées, ayant des exigences complexes de niche, a conféré une résistance à des mutations oncogéniques

La progression du cancer se produit par un processus d’évolution des cellules somatiques, où une seule cellule peut induire une tumeur très complexe, composée de populations de cellules hébergeant de nombreuses altérations génétiques et épigénétiques. Ce processus évolutionniste est piloté par deux forces principales: la diversification de types héréditaires par acquisition de modifications génétiques et épigénétiques, et la sélection de cellules porteuses de mutations qui augmentent leur valeur sélective.

Pour notre propos, il est important de bien distinguer la valeur sélective de l’organisme (la mesure de sa capacité à transférer son génotype aux générations suivantes) de la valeur sélective des cellules somatiques (la mesure de la capacité des cellules souches et génitrices de passer leur épigénotype / génotype aux générations suivantes de la lignée cellulaire).

Dans une perspective évolutionniste, les mutations oncogéniques initiales doivent procurer un gain de valeur sélective qui sera fixé pour déclencher l’expansion clonale. Ce gain est relatif aux autres cellules du tissu, et, aux premières étapes de la tumorigenèse, ces autres cellules normales sont en concurrence pour les mêmes niches que les cellules mutées. Par conséquent, la compréhension des premières étapes de l'évolution de la tumeur nécessite un examen attentif des avantages sélectifs de la cellule mutée par rapport aux autres cellules de même génération dans la lignée cellulaire.

Le paradigme dominant est que les événements oncogéniques améliorent généralement la valeur sélective de la cellule, conduisant à la sélection clonale.

Au lieu de cela, nous soutenons ici que les organismes multicellulaires à longue durée de vie ont évolué vers une haute valeur sélective de leurs cellules souches, non seulement comme moyen efficace de maintien des tissus, mais aussi parce qu’un haut degré d'aptitude d'une population cellulaire s’opposera à l’évolution des cellules somatiques. Comme des animaux bien adaptés à leur environnement, la sélection stabilisante devrait limiter la fixation des changements qui améliorent la valeur sélective dans une population saine de cellules souches. La concurrence très efficace dans une population jeune et saine de cellules souches devrait servir à maintenir le statu quo, en empêchant l'évolution de cellules somatiques. Cette concurrence facilite également l'élimination des cellules occasionnellement endommagées du pool de cellules souches, aidant à maintenir la santé des tissus.

Alors, pourquoi nous développons des cancers ? Il est bien connu que l'âge est le plus grand facteur de risque de cancer chez les mammifères avec une incidence de la plupart des types de cancer en hausse exponentielle avec l'âge. Dans les pools de cellules souches et génitrices endommagés par le vieillissement ou d’autres causes, la valeur sélective des cellules sera réduite et le paysage adaptatif considérablement modifiée. Nous avons suggéré que la diminution de valeur sélective des pools de cellules souches, induite par des accumulations de dommages de l’ADN liés à l’âge ou à des altérations du microenvironnement, doit favoriser la sélection de mutations adaptatives et d’événements épigénétiques. Cette hypothèse d’oncogenèse adaptive est étayée par des études sur le système hématopoïétique de souris.

Mais, tout comme l'évolution des espèces est consécutive à des mutations et sélections (et à la dérive génétique), ce modèle ne nie pas l’importance de la diversité génétique et épigénétique qui augmente avec l'âge et après l'exposition à des cancérigènes, fournissant du carburant pour la sélection. En outre, il est important de souligner que la baisse de valeur des cellules souches avec l'âge ou par d'autres causes ne reflète pas seulement les dommages cellulaires intrinsèques, mais aussi les altérations du microenvironnement (réduisant indirectement les aptitudes des cellules souches) qui peuvent favoriser l'adaptation oncogénique. En Effet, Bagby et ses collègues ont proposé un modèle adaptatif pour expliquer l'association de syndromes de défaillance de la moelle osseuse (tels que l'anémie de Fanconi) avec la leucémie: sélection accrue de mutations oncogéniques adaptatives à l'intérieur d’un pool défectueux de cellules hématopoïétiques génitrices, dont l’origine est à la fois intrinsèque et micro-environnementale. Ceci est confirmé par des études utilisant des modèles d’anémie de Fanconi chez la souris. Ainsi, en plus de réduire l'aptitude intrinsèque des cellules souches, les dommages héritables liés au vieillissement ou d'autres causes vont ultérieurement modifier le paysage adaptatif en altérant les niches, et en créant de nouvelles possibilités d'adaptation (nouveaux pics de sélection qui peuvent faciliter les transitions vers la malignité.

Il y a des parallèles évidents entre ce modèle de «statut quo » dans le maintien des pools de cellules souches et les idées évolutionnistes sur la stase des espèces, une composante essentielle à la théorie des équilibres ponctués d’Eldredge et Gould. Comme Eldredge écrivait dans « Réinventer Darwin » : "les espèces et les écosystèmes que forment leurs staff d’organismes sont tenaces. Ils «travaillent» parfaitement bien et, une fois retranchés, ils sont peu enclins à changer ou à être déplacés par de nouveaux taxons, à moins que ou jusqu'à ce qu’une extinction supprime des écosystèmes sous leurs pieds". Et comme Wright a noté en 1931, la fréquence des gènes "a tendance à rester constante, en l'absence de forces perturbatrices". Je dirais que la même chose est vraie pour les cellules souches, avec des pressions similaires empêchant la fixation des mutations oncogéniques, au moins jusqu'à un changement substantiel, tel qu’une irradiation, ou une extinction comme celle du crétacé.

 

IV/ Des souris et des hommes : Pourquoi des altérations dans les programmes de maintien de la valeur des cellules souches peut mieux expliquer les différences de la suppression tumorale chez les différents vertébrés.

Prenons du recul et considérons la question des taux de cancer chez les souris et les humains. Il est frappant de constater que les êtres humains arrivent en grande partie à éviter le cancer jusqu’après 40 ans, malgré leur nombre de cellules mille fois supérieur et une durée de vie vingt fois plus longue que les souris dont la mortalité par cancer est similaire au cours de leur courte vie de 2 à 4 ans. Quels mécanismes expliquent le mieux ces différences entre espèce dans l’incidence des cancers ?

Les humains et les souris semblent avoir un nombre identique de gènes suppresseurs de tumeurs, lesquels possèdent de semblables fonctions. Il n’est pas évident non plus que les humains aient un système immunitaire plus évolué, ni qu’ils aient des mécanismes suppresseurs de tumeur intrinsèques plus efficaces ou plus de contraintes architecturales ou hiérarchiques limitant l’évolution des cellules somatiques. Plus surprenant encore, le taux de mutations cellulaires ne semble pas être différent. Notons que les cellules primaires semblent plus difficiles à transformer chez l’homme que chez la souris, en ce qu'il faut plus d’oncogènes in vitro. Mais il n’existe pas de preuve de cette résistance à la transformation en condition physiologique. Ainsi, aucun des mécanismes suppresseurs de tumeurs ne semble plus robuste chez l'homme que chez la souris.

Surtout, la santé cellulaire, qui décroît de la même façon chez l’homme et la souris au cours de la deuxième moitié de vie est inversement corrélée à l'incidence du cancer dans les deux espèces. Bien qu’un animal de plus grande taille avec plus de cellules souches par tissu représente une meilleure cible pour les mutations oncogènes, la capacité d'un pool de cellules souches aptes à entraver l'évolution de cellules somatiques par sélection stabilisante devrait être relativement indépendante de sa taille (Fig. 3B). En outre, une plus grande population de cellules souches devrait mieux limiter la fixation des mutations par dérive et ralentir la réduction de valeur sélective (par meilleur remplacement des cellules souches endommagées). Fondamentalement, la sélection naturelle a assuré la maintenance de la valeur sélective somatique aussi longtemps qu’elle a bénéficié à la dispersion de l’espèce. En outre, assurer de bonnes fonctions tissulaires, prévenir les maladies liées à l’âge et maintenir des cellules souches adaptées devrait grandement limiter le développement du cancer au cours des années de reproduction.

Nous pouvons imaginer grossièrement des courbes d’incidence du cancer de forme similaire chez les humains et les souris, mais avec une échelle d’âge différente. La sélection naturelle devrait harmoniser le maintien de la valeur sélective cellulaire pour une optimisation de la valeur sélective de l’organisme. Il y a un coût énergétique pour accroître la maintenance somatique, et cet investissement, qui devrait retarder l'apparition du vieillissement et diminuer les maladies (dont le cancer), ne constitue un avantage sélectif à un organisme que s’il augmente la probabilité de transmettre des gènes aux générations futures. En aparté, il est intéressant d'examiner si le maintien des cellules souches somatiques chez l'hydre "immortelle" contribue à l'absence apparente de vieillissement ou de tumeurs malignes chez ce simple métazoaire.

Alors, quelles sont les implications de ce modèle de suppression de tumeur par maintenance de la valeur des cellules souches ? D’un côté, une augmentation de la taille du corps ou de la durée de vie peut ne pas exiger de nouveaux mécanismes suppresseurs de tumeurs, mais simplement un changement dans les allocations d'énergie pour maintenir plus longtemps les tissus. À cet égard, il est intéressant de constater que des espèces étroitement apparentées ou même des membres de la même espèce peuvent présenter de très différents taux de vieillissement et de durée de vie, souvent dépendant des taux de prédation, ce qui suggère que des altérations des programmes d'entretien somatique peuvent maximiser l'allocation d’énergie pour une durée de vie appropriée à une reproduction optimale. Et le retard au développement de cancers devrait résulter d’une amélioration et d’une prolongation de la maintenance somatique : les mêmes mécanismes conférant à la fois le retard au vieillissement le retard des cancers.

Ce modèle peut aussi expliquer aussi le «paradoxe de la baleine bleue » ou « paradoxe de Peto » : comment un animal d’une telle taille peut-il éviter efficacement le cancer ? De même, les éléphants et les tortues ont une très longue durée de vie avec de faibles taux de cancer. Mais si l'on considère la suppression des tumeurs comme dépendante de l'entretien du tissu somatique, alors les mêmes mécanismes ont facilité, d’une part, une plus longue durée de vie pour ces espèces à gros individus, pour un plus grand succès reproducteur, d’autre part une limitation des cancers. Ainsi, une question clé subsiste, qui est la nature des mécanismes qui ont modifié les programmes de maintien des cellules somatiques.

 

Conclusion

Il est devenu de plus en plus clair que la compréhension du cancer, tant au niveau des tissus que des organismes, exige une perspective évolutionniste. L'évolution des gros individus à longue durée de vie et l’entretien des tissus adultes a nécessité l'acquisition de puissants mécanismes de répression tumorale qui opèrent à tous les niveaux : cellules, tissus et organisme. J’ai suggéré que ce processus est le maintien de cellules souches hautement adaptées. J’ai ajouté que les modifications des programmes d’entretien des cellules somatiques pourraient expliquer les taux très différents (âge d’apparition, en tenant compte de la taille du corps) de cancer des différentes espèces. Les vertébrés semblent avoir évolué vers une stratégie commune : éviter le cancer et d'autres conséquences du vieillissement par le maintien de la valeur des cellules souches dans un sens qui maximise aussi la valeur sélective de l’organisme.

(Traduction de L. Perino)

Bibliographie

DeGregori J
Evolved tumor suppression: why are we so good at not getting cancer ?
Cancer Res. 2011. 71, 3739–3744

Médecine évolutionniste (ou darwinienne)

Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon. Voir ICI

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