lucperino.com

Violences et cultures héritables

humeur du 13/12/2021

La différence entre « hérédité » et « héritabilité » permet d’évaluer l’importance de l’environnement. Ces deux mots sont trompeurs et souvent mal compris. L’héritabilité est une mesure populationnelle qui estime la part génétique de la variance d’un trait. Avoir dix orteils est héréditaire mais ce n’est pas héritable car la variance de ce trait est nulle dans toutes les populations. L’héritabilité de la schizophrénie est de 75%, mais le risque individuel n’est que de 6% si l’un de ses parents est atteint. L’héritabilité se rapporte à la variance du trait, pas au trait lui-même. Ce concept développé bien avant la découverte de l’ADN, n’a pas été modifié depuis. La découverte des gènes a paradoxalement permis de confirmer que l’environnement reste prioritaire pour transformer un génotype en phénotype, même lorsque l’héritabilité est très élevée.

Tout est devenu encore plus complexe lorsque l’on a compris que l’environnement agissait en déposant des marques épigénétiques sur les gènes pour permettre ou non leur expression, et que ces marques étaient elles-mêmes héritables. Les premières preuves en été fournies avec l’obésité ou les cancers génitaux féminins dus au Distilbène dont les marquages épigénétiques traversent plusieurs générations.

Il est désormais bien admis que la maltraitance infantile pose ses marques sur tout le génome et que la violence franchit les générations. L’élevage « à la dure » est héritable. Les mères soumises à des violences marquent de maintes façons les gènes de leur fœtus et nouveau-né. Les enfants ayant vécu sur des zones de guerre ont plus de troubles psychiatriques qu’ils transmettent à leur tour.

Ces marquages épigénétiques ne sont pas encore aussi bien identifiés que d’autres, mais leur preuve indirecte en est donnée par le nombre supérieur de symptômes psychiques chez des enfants ayant vécu dans un pays en paix, mais dont l’un des parents souffre d’un syndrome de stress post-traumatique. Certains chercheurs vont jusqu’à dire que la guerre est héréditaire. Le terme est inexact, mais son héritabilité est certaine. Les abus sexuels dans l’enfance marquent les gènes des récepteurs aux glucocorticoïdes. Même si la résilience est toujours possible, on a du mal à penser qu’un enfant de djihadiste ou de père violent effacera miraculeusement tous les épigènes de son éducation avant d’avoir lui-même des descendants.

Plus récemment encore, nous avons découvert que ce sont des marquages épigénétiques qui façonnent la mémoire, donc l’identité culturelle et sociale. Ainsi, la culture ne se transmet pas seulement par l’éducation, comme on le croyait, mais aussi par l’épigénome.

Ces réflexions éparses ont commencé à se rassembler dans mon esprit après l’élection de Trump. Comme l’isolement géographique a favorisé des dérives génétiques, l’isolement culturel peut-il conduire à des dérives épigénétiques irréversibles ? La menace du réchauffement climatique sur l’humanité m’a soudain paru bien dérisoire.   

Bibliographie

Betancourt TS
The Intergenerational Effect of War
JAMA Psychiatry. 2015;72(3):199-200
DOI : 10.1001/jamapsychiatry.2014.2669

Guan JS, Xie H, Ding X
The role of epigenetic regulation in learning and memory
Exp Neurol. 2015 Jun;268:30-6
DOI : 10.1016/j.expneurol.2014.05.006

Hoover R et coll
Adverse health outcomes in women exposed in utero to diethylstilbestrol
N Engl J Med 2011; 365: 1304-14

Lopomo A, Burgio E, Migliore L
Epigenetics of Obesity
Prog Mol Biol Transl Sci. 2016;140:151-84
DOI : 10.1016/bs.pmbts.2016.02.002

McGowan PO, Sasaki A, D'Alessio AC, Dymov S, Labonté B, Szyf M, Turecki G, Meaney MJ
Epigenetic regulation of the glucocorticoid receptor in human brain associates with childhood abuse
Nat Neurosci. 2009 Mar;12(3):342-8
DOI : 10.1038/nn.2270

McGowan PO, Szyf M
The epigenetics of social adversity in early life: implications for mental health outcomes
Neurobiol Dis. 2010 Jul;39(1):66-72
DOI : 10.1016/j.nbd.2009.12.026

Teicher MH, Samson JA
Childhood maltreatment and psychopathology: A case for ecophenotypic variants as clinically and neurobiologically distinct subtypes
Am J Psychiatry. 2013 Oct;170(10):1114-33
DOI : 10.1176/appi.ajp.2013.12070957.

Zovkic IB, Guzman-Karlsson MC, Sweatt JD
Epigenetic regulation of memory formation and maintenance
Learn Mem. 2013;20(2):61-74 Published 2013 Jan 15
DOI : 10.1101/lm.026575.112

Médecine évolutionniste (ou darwinienne)

Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon. Voir ICI

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Pollution et fécondité - La bibliographie concernant les preuves de l’influence néfaste des pesticides sur la [...]

Santé, économie et démesure infectieuse - Les relations entre santé publique et économie sont certainement le plus gros casse-tête [...]

stress et cancer - On dit qu’un évènement est traumatisant, stressant ou stresseur quand il déclenche un [...]

Bel avenir des dépistages de cancer - Dans les incessantes polémiques sur l’utilité des dépistages en cancérologie, les [...]

Plusieurs fois cinq ans - Les lois de la sélection naturelle sont si simples qu’un enfant de 5 ans peut les [...]

Sexe / Genre / Appariement

• Barbe : sélection intersexuelle ou intrasexuelle. • Genre : différences sexuelles du [...]

La phrase biomédicale aléatoire

Beaucoup de médecins utilisent la menace de la maladie pour parvenir à ce qu'ils appellent leurs fins, ces menaces sont faites dans des termes qu'une épistémologie tant soit peu rigoureuse serait bien incapable de justifier.
― Alain Froment

Haut de page