humeur du 02/03/2014
Au lendemain de la guerre, lorsque furent mises en place la sécurité sociale et les conventions médicales, les médecins hospitaliers ou libéraux s’occupaient de personnes malades. Tous les praticiens assuraient les urgences de jour, de nuit et de week-end, ils pratiquaient des accouchements, faisaient de la « petite chirurgie » et réglaient la majorité des problèmes de traumatologie courante des adultes et des enfants.
Le paiement à l’acte constituait alors un deuxième niveau de mutualisation et de solidarité nationale. Le paiement « généreux », car remboursé, des actes faciles compensait le « manque à gagner » des actes plus difficiles, des réquisitions et des urgences parfois mal ou non rémunérées. Le paiement à l’acte a aussi eu le mérite de favoriser l’engagement des praticiens et la fidélisation des patients.
Bref, la tâche était parfois dure, mais bon an mal an, l’artisanat médical nourrissait bien son homme et les praticiens en avaient suffisamment conscience pour accepter une part gracieuse de service public.
Aujourd’hui, l’essentiel de la médecine libérale s’exerce sur des personnes en bonne santé. Moins de 20% des consultations de spécialistes ou de généralistes font appel à une prise de décision nécessitant une expertise clinique ou technique. La plupart des consultations relèvent de problèmes saisonniers ou sans gravité, de pathologies sociales où le médecin est impuissant, de tâches administratives de prévention ou de dépistage, de surveillance de chiffres, normes et prescriptions dictés par l’industrie, de conseils hygiéno-diététiques et de divers certificats d’aptitudes.
Non que ces tâches n’aient pas quelque utilité, mais elles ont habitué les médecins à multiplier des actes courts et rémunérateurs et les ont progressivement éloignés de la difficulté. La judiciarisation de la société, la propagande pour l’hyperspécialisation et la suprématie hospitalière ont aboli toute prise de risque. Enfin l’horaire hebdomadaire s’est réduit et les patients sont devenus nomades.
L’acte court, toujours plus prescripteur que l’acte long, est un régal pour les industriels qui subordonnent facilement les praticiens par cette médecine facile servie sur un plateau d’argent : lire une analyse, prendre une tension, prescrire une image, renouveler une ordonnance. D’actes en actes, les biens portants se sentent pris en charge sur le long terme. Mais ceci est une illusion, car au moindre problème, le patient sera « dilué » dans le labyrinthe sanitaire, et les années d’empathie commerciale n’auront même pas servi à améliorer la pertinence clinique.
Ne cherchons pas les coupables, ils sont trop nombreux…
Pour ne plus détourner notre belle solidarité nationale vers les bien-portants, et la restituer intégralement aux graves détresses, il faut avoir le courage politique de modifier ce système inflationniste à sa base. Cette base est le paiement à l’acte qu’il convient d’abolir définitivement.
Cofard J.
Consumérisme » médical : tous coupables ?
Medscape, 16 avril 2013, http://www.medscape.fr/voirarticle/3528823
Even P., Debré B.
Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux ,
Le Cherche Midi, 2012
Fédération Hospitalière de France
30% des actes médicaux sont inutiles ,
http://www.hopital.fr/Hopitaux/Espace-medecin-liberal/Actualites/30-des-actes-medicaux-sont-inutiles
S.F.M.G.
Observatoire de la médecine générale
http://omg.sfmg.org/content/com/sfmg_dp.pdf
UNOF
Actes inutiles : l'Académie regrette l'examen clinique
http://www.unof.org/+Actes-inutiles-l-Academie-regrette+.html
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