lucperino.com

Nous sommes tous cancéreux

humeur du 16/12/2013

Nous sommes tous cancéreux

Nous en avons désormais la certitude, tous les êtres multicellulaires animaux et végétaux sont porteurs de cancers. Lors du passage de l’unicellularité à la multicellularité, il y a grossièrement un milliard d’années, les cellules ont dû progressivement passer d’une nature égoïste et ségrégationniste à un comportement coopératif pour optimiser leurs chances de survie au sein des organismes multicellulaires.

 

Comme toujours, dans l’histoire de la vie, il a fallu « bricoler » un compromis entre individualisme et coopération, et comme tous les compromis, celui-ci est instable. Le coût d’une élimination complète des cellules égoïstes ou d’une éradication du comportement individualiste aurait été trop élevé et se serait fait au détriment d’autres processus vitaux. Les lois de l’évolution sont triviales et se résument à ces compromis pour un meilleur taux de survie et de reproduction, au plus faible coût énergétique.

Ainsi, ces cellules individualistes, donc cancéreuses, sont maîtrisées par les autres, faute d’avoir pu être éradiquées. Cet équilibre précaire se maintient le plus longtemps possible, et lorsqu’il est rompu, la tumeur cancéreuse, au sens clinique du terme, apparaît. Mais comme l’évolution ne cesse jamais, une nouvelle variabilité apparaît au sein de la tumeur, entraînant de nouvelles compétitions et de nouveaux compromis. La tumeur peut ainsi subsister longtemps jusqu’à une prochaine rupture d’équilibre. Chaque nouveau compromis a un coût énergétique conduisant à l’amoindrissement d’autres fonctions vitales de l’organisme qui sera, par exemple, une proie plus facile pour les prédateurs. Chez les êtres humains, sans prédateurs, cet affaiblissement viendra, ni plus, ni moins, s’ajouter aux autres décadences de l’organisme vieillissant.
De la naissance à la mort, chaque être humain est donc porteur de cellules cancéreuses avec lesquelles il négocie incessamment, de la même façon qu’avec des parasites de son environnement.

 

Les progrès fulgurants de l’imagerie, de l’anatomie cellulaire et de la biologie moléculaire nous laissent penser que dans quelques années, la biomédecine sera capable de détecter les cancers d’un ordre de grandeur cellulaire.
La terminologie du cancer va donc devoir affronter un énorme dilemme. Car si nous maintenons la définition actuelle basée exclusivement sur des critères d’anatomie cellulaire au niveau d’un nombre restreint de cellules, tous les êtres humains seront déclarés cancéreux…

Nous devrons impérativement décider ce qu’est un cancer. Il faudra trouver autant de mots différents et adéquats pour nommer un cancer clinique, médical, bénin, dangereux, silencieux, rapide, mortel, chronique, unicellulaire, pauci-cellulaire, mixte, etc.

La médecine ne peut, à la fois, accepter sans discernement toutes les technologies de dépistage, faire l’économie d’une réflexion épistémologique, négliger la biologie évolutionniste et repousser indéfiniment sa réforme sémantique du cancer.

Bibliographie

Bissell M.J. and Hines W.C.
Why don’t we get more cancer? A proposed role of the microenvironment in restraining cancer progression.
Nat. Med. 17, 320–329 (2011)

Crespi B.J. and Summers K.
Positive selection in the evolution of cancer.
Biol. Rev. 81, 407–424 - (2006)

DeGregori J.
Evolved tumor suppression: why are we so good at not getting cancer ?
Cancer Res. 2011. 71, 3739–3744

Edge S.B. and Compton C.C.
The American Joint Committee on Cancer: the 7th edition of the AJCC cancer staging manual and the future of TNM.
Ann. Surg. Oncol. 17, 1471–1474 - (2010)

Folkman J. and Kalluri R.
Cancer without disease
Nature 2004; 427, 787

Greaves M.
Darwinian medicine: a case for cancer.
Nat. Rev. Cancer 7, 213–221 - (2007)

Hochberg M.E. et al.
Preventive evolutionary medicine of cancers.
Evol. Appl. 6, 134–143 - (2013)

Ilie M et coll.
Sentinel » Circulating Tumor Cells allow Early Diagnosis of Lung Cancer in Patients with Chronic Obstructive Pulmonary disease.
PLoS One, 2014; 9:e111597.
DOI: 10.1371/journal.pone.0111597

Leroi A.M. et al.
Cancer selection.
Nat. Rev. 2003; Cancer 3, 226–231

McAloose D. and Newton A.L.
Wildlife cancer: a conservation perspective.
Nat. Rev. Cancer 9, 517–526 - (2009)

Navarro C. et al.
Predation risk, host immune response, and parasitism.
Behav. Ecol. 15, 629–635 - (2004)

Reiche E.M.V. et al.
Stress, depression, the immune system, and cancer.
Lancet Oncol. 5, 617–625 - (2004)

Roche B. et al.
Natural resistance to cancers: a Darwinian hypothesis to explain Peto’s paradox.
BMC Cancer 12, 387 - (2012)

Vittecoq M,, B.Roche, S.P.Daoust, H.Ducasse1,D. Missé, J.Abadie, S.Labrut, F.Renaud, M.Gauthier-Clerc, F.Thomas.
Cancer: a missing link in ecosystem functioning?
Trends in ecology and evolution, Volume 28, Issue 11, 628-635, 21 August 2013

RARE

Site médical sans publicité
et sans conflit d'intérêts.

 

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Pailles de la prévention - Les jours de grande pollution, de nombreux messages officiels recommandent de garder les jeunes [...]

Cholestérol et autres facteurs de risque - Monsieur Lapalisse savait bien qu’un facteur de risque est un facteur de risque et [...]

Psychosocial ferroviaire - Nous nous souvenons plus souvent des trains qui sont arrivés en retard que de ceux qui sont [...]

Dépistage de la normalité - En 2014, résumant les dernières années de recherche, George Johnson osait affirmer « Le [...]

Biais de participation - Une étude sociologique dans les usines électriques Hawthorne a été réalisée dans les [...]

Haut de page