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Inflammation au néolithique

dernière mise à jour le 29/03/2025

Inflammation au néolithique

 

D’où provient la diversité génétique humaine ?

Trois facteurs ont principalement contribué à l’enrichissement du génome humain (qui compte plus de 88 millions de variants) : les forces génomiques (mutations et événements de recombinaison), les mouvements démographiques humains (migrations, mélanges entre Homo Sapiens et des espèces proches génétiquement) et la sélection naturelle. Cette dernière inclut l’adaptation génétique sous l’effet de différents facteurs environnementaux : certaines mutations ayant un effet délétère diminuent progressivement jusqu’à être éliminées de la population (sélection purificatrice, cas extrême de la sélection négative). A contrario, la sélection positive induit une augmentation rapide de la fréquence de certaines mutations qui permettent à l’individu de s’adapter à un nouvel environnement (climatique, nutritionnel ou pathogénique).

Les études de génétique des populations ont permis d’étayer l’idée que les agents pathogènes, qui sont la principale cause de mortalité humaine, font partie des forces sélectives les plus puissantes chez ce dernier. Cependant, de grandes questions subsistent quant à l’impact évolutionniste des maladies infectieuses sur la diversité du génome humain : à quelle époque spécifique de l’histoire l’homme a-t-il été le plus exposé aux pathogènes ? Dans quelle mesure les défenses immunitaires ont-elles été affectées par cette exposition ? Existe-il des preuves génétiques solides pour étayer l’hypothèse que l’augmentation de la prévalence des troubles inflammatoires et auto-immuns est liée à la forte pression de sélection exercée dans le passé par des pathogènes ?

L’évolution récente des outils d’analyse pangénomique et la disponibilité d’ADN ancien a facilité l’étude de la diversité génétique à travers le temps. Des chercheurs ont tenté d’apporter des réponses à ces questions en analysant 2 879 génomes européens anciens (les plus anciens datant de 10 000 ans) et modernes par une méthode de calcul bayésienne (méthode ABC pour Approximate Bayesian Computation). Ceci dans le but de détecter des variants de gènes impliqués dans l’immunité affectés par la sélection naturelle, modulant ainsi le risque de maladies infectieuses et/ou inflammatoire et tenter de reconstruire l’histoire des interactions hôte-pathogène.

 

Plus d’1,2 million de sites de polymorphisme couvrant 10 000 ans d’histoire

Les auteurs de cette publication ont assemblé les données pangénomiques correspondant à 2 376 individus anciens et 503 individus des temps modernes (origine Eurasienne occidentale) à partir desquelles ils ont calculé les trajectoires de fréquences alléliques de plus d’1,2 millions de sites de polymorphisme couvrant les périodes du néolithique, de l'âge du Bronze, de l'âge du Fer, du Moyen-Âge et des temps modernes. En utilisant la simulation ABC et les trajectoires calculées, ils ont estimé un coefficient de sélection (s) et un temps d'apparition de la sélection (T) pour chaque allèle dérivé. Les auteurs ont utilisé un modèle démographique prenant en compte notamment les mouvements migratoires majeurs contribuant à la diversité génétique des Européens modernes. Cette approche a été validée grâce à des données empiriques concernant 12 locus précédemment identifiés comme sujets à une pression de sélection positive en Europe et correspondant à des gènes impliqués dans l’immunité (HLA, TLR), la pigmentation et le métabolisme cellulaire.

 

Des variants de sélection positive impliqués dans la régulation de gènes de l’immunité

Par cette méthode, les auteurs ont identifié 89 locus candidats à la sélection positive dont la localisation est proche de gènes impliqués dans la réponse de l’hôte aux infections, suggérant que les agents pathogènes ont imposé de fortes pressions sélectives au cours des derniers millénaires. Pour plus de 80 % de ces 89 locus, la sélection positive a été estimée à un temps postérieur à l’âge du bronze (< 4 500 ans).

En poursuivant l’analyse fonctionnelle (in silico) des variants candidats à la sélection positive (n = 1 846), les auteurs ont identifié 11 variants faux sens de gènes de l’immunité avec des signes de sélection positive dont 8 étaient associés à des caractéristiques de cellules hématopoïétiques et à des troubles infectieux ou auto-immuns. Notons que la majorité des variants étudiés (> 96 %) sont non codants mais liés à des éléments de régulation des gènes de l’immunité. Par exemple, le principal variant pour le cluster OAS (protéines impliquées dans l’immunité innée aux virus) est lié à l’isoforme p46 de la protéine OAS1, qui a été associé à la protection contre la Covid-19, suggérant que les anciens virus de type coronavirus ont pu entrainer une sélection sur ce locus.

En utilisant le score de risque polygénique et considérant l’origine de l’ADN ancien analysé, les auteurs concluent que le risque de développer une maladie de Crohn (et de maladie inflammatoire de l’intestin en général) a augmenté après l’âge du bronze. Les mutations associées au risque de développer des maladies infectieuses ont, quant à elles, diminué. Ces données confortent l’hypothèse de la pléiotropie antagoniste selon laquelle les mutations du passé qui ont permis de mieux résister aux maladies infectieuses ont augmenté le risque actuel des Européens de développer des troubles inflammatoires et auto-immuns.

 

Une approche qui permet également d’identifier des variants sujets à la sélection négative

De façon équivalente, les auteurs ont identifié des preuves de sélection négative vis-à-vis de variants de gènes de défense immunitaire (toujours plus fréquents à partir de l’âge du bronze). Ils se sont ensuite focalisés sur trois variants d’intérêt sujets à la plus forte sélection négative et dont des travaux expérimentaux ont confirmé l’effet délétère face aux maladies infectieuses :

  • Le variant LBP D283G dont la fréquence a baissé de 6 % à 1,2 % durant les 5 000 dernières années qui code pour un isoforme de la protéine LBP. Par des analyses de biologie moléculaire, les auteurs ont démontré que ce variant exprime une plus faible quantité de protéine LBP, protéine essentielle pour la reconnaissance de lipopolysaccharide (composant majeur de la membrane des bactéries Gram négatives).
  • Le variant IL23R R381Q : Les cellules T lymphoblastiques homozygotes pour ce variant ont démontré une réponse altérée à l'IL-23 (cytokine clé des réponses inflammatoires).
  • Le variant TLR3 L412F : l’homozygotie pour ce variant semble réduire la réponse à l’acide polyinosinique-polycytidylique (poly(I:C), un ARN double brin synthétique qui interagit avec le récepteur TLR3 et simule une infection virale.

 

Une vision partielle à affiner dans le futur

En conclusion, cette étude montre que la sélection naturelle a ciblé les gènes de l’immunité au cours des 10 derniers millénaires de l'histoire de l'Europe, en particulier depuis le début de l'âge du bronze. L’expansion des communautés urbaines, une plus grande mobilité humaine, l’élevage d’animaux et les changements environnementaux ont pu favoriser la propagation d’épidémies telles que la peste. Cette forte pression de sélection contribue probablement à l’augmentation actuelle de la prévalence des maladies inflammatoires et auto-immunes.

Néanmoins, l’hétérogénéité du matériel génétique ancien ne permet pas de détecter des locus sujets à des adaptations dites « locales » et les méthodologies utilisées ne permettent pas d’identifier des variants rares sujets à une forte pression de sélection négative. Les développements technologiques futurs appliqués à la génétique des populations permettront de préciser cette vision aujourd’hui partielle de l’histoire des interactions de l’homme avec son environnement.

 

Bibliographie

Deschamps M, Quintana-Murci L
Immunité innée et maladies chez l’homme - De l’introgression archaïque à la sélection naturelle
Med Sci Paris 2016 32 12 1079 1086
DOI : 10.1051/medsci/20163212011

Kerner G, Neehus AL, Philippot Q, Patin E, Laval G, Quintana-Murci L et al
Genetic adaptation to pathogens and increased risk of inflammatory disorders in post-Neolithic Europe
Celle genomics January 13 2023
DOI : 10.1016/j.xgen.2022.100248

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Médecine évolutionniste (ou darwinienne)

Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.

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