humeur du 07/09/2015
Tous ceux qui s’intéressent un peu à la philosophie ont entendu parler de la grande Querelle des Universaux initiée par Platon et Aristote. Le débat consistait à déterminer si les espèces ou les catégories sont des entités réelles ou si elles ne sont qu’une façon de nommer provisoirement un regroupement d’animaux ou d’objets semblables.
La médecine médiévale a repris cette querelle ; ceux qui considéraient les maladies comme des espèces naturelles réelles et immuables étaient nommées les « réalistes », et ceux qui n’y voyaient que des noms donnés provisoirement à un ensemble de signes et symptômes repérables chez plusieurs individus étaient les « nominalistes », (deux termes peu explicites consacrés par l’usage).
Les cliniciens réalistes classaient les maladies exactement comme Linné classait les espèces animales. Les cliniciens nominalistes regardaient les maladies comme des objets instables dans le cours de la vie des individus et des espèces. Les premiers pensaient, comme Sydenham, que « les symptômes observés dans un sujet particulier sont applicables à tous les sujets qui ont la même maladie », les seconds pensaient que les symptômes ne pouvaient pas se résumer à cette logique « botanique ».
Les épidémies du moyen-âge donnèrent raison aux réalistes. Leur disparition donna raison aux nominalistes. Les découvertes de Pasteur redonnèrent raison aux réalistes. La grande importance du « milieu intérieur » de Claude Bernard raviva les nominalistes. Puis l’arrivée de la génétique revigora les réalistes (malgré la rareté des maladies dues à un seul gène). Et, ainsi de suite...
Mais à ces époques, les maladies étaient réellement vécues par les patients. Il ne serait venu à personne l’idée de consulter un médecin quand il n’avait aucun symptôme. Qu’elle soit réaliste ou nominaliste, la maladie était toujours vécue.
Aujourd’hui, tout a changé, ce sont les médecins qui attribuent les « objets-maladie » conçus par le marché sanitaire. Les patients prennent à leur compte ces « maladies » qui leur sont attribuées, même s’ils n’ont jamais eu ou n’auront jamais un seul symptôme relatif à ces nouveaux « objets ». Un polype du colon, une hypertension, une décalcification sans fracture, un taux de sucre, de cholestérol ou de PSA augmentés, ne donneront jamais un seul symptôme, dans la majorité des cas, ou finiront par en donner dans un cadre plurifactoriel, donc en dehors de tout réalisme d’espèce.
Mais le marché s’accroche à ce réalisme toujours très profitable, et la médecine le suit benoîtement en restant « Linnéenne » : l’hypercholestérolémie est une espèce au même titre que le rat des champs.
Alain de Libera
La Querelle des universaux
Seuil, 1996
Foucault Michel
Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical
PUF, 1963
Thomas Sydenham
Médecine pratique
Paris, 1784, p XXIV
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