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Hystérie quand reviendras-tu ?

humeur du 21/05/2017

Depuis les contorsions acrobatiques de la célèbre Augustine, devant les étudiants du docteur Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière, l’hystérie a fini par disparaître de la liste des diagnostics médicaux.

Cette maladie romanesque était supposée provenir des ovaires et de l’utérus. Les hommes étaient épargnés, car l’on devait présupposer que les testicules n’avaient aucun pouvoir psychotrope.

Freud a fini par détruire le mythe ovarien, en affirmant l’origine psychique de l’hystérie ; mais il a surenchéri avec de nouveaux mythes machistes, en créant, entre autres, le pittoresque « complexe de castration ».

Puis avec l’évolution progressive des mœurs, de subtiles négociations diagnostiques ont conduit les femmes à réduire leur niveau d’hystérie au fur et à mesure que les médecins réduisaient leur niveau de machisme. Ce n’est pas encore gagné, mais nous y sommes presque : l’hystérie a été remplacée par les troubles somatoformes. Ce grand panier diagnostique regroupe tous les symptômes et douleurs induits par le stress et les conflits, symptômes qui viennent quotidiennement donner la preuve, tant aux hommes qu’aux femmes, qu’ils sont bien vivants.

Disons-le de façon elliptique : l’hystérie d’aujourd’hui, c’est lorsque la médecine d’aujourd’hui ne trouve rien.

Mais si Freud est révolu, Charcot est toujours en embuscade. La techno-médecine, qui a horreur du vide diagnostique, ne cesse de fouiller l’intime des molécules pour trouver la cause des symptômes de la vie. Pour les troubles somatoformes, l’imagerie médicale a enfin trouvé quelque-chose à se mettre sous la dent : les IRM fonctionnelles et tomographies à émission de positons ont objectivé des images cérébrales liées à ces troubles. « Voilà pourquoi, monsieur, votre fille est muette. »

Evidemment, deux nouveaux camps s’affrontent, ceux qui pensent que ces images cérébrales sont la cause du mal, et ceux qui pensent qu’elles en sont la conséquence.

De toute évidence, les images cérébrales font simplement partie de ces troubles, car si le psychisme est capable de réellement paralyser une jambe ou de provoquer une vraie douleur, il peut certainement perturber le fonctionnement de quelques molécules cérébrales.

Mais ne doutons pas de la puissance de feu des « molécularistes ». Une nouvelle hystérie va naître, avec une parité totale entre ovaires et testicules, car il n’est pas question de se priver de la clientèle des mâles qui représentent tout de même la moitié du marché potentiel de l’imagerie des troubles somatoformes.

Bibliographie

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Le sujet, son symptôme, son histoire
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La phrase biomédicale aléatoire

J’aime les vrais obsessionnels qui se lavent les mains cinquante fois par jour. Je les gave de psychotropes et ils ne se lavent plus les mains. Ils attrapent alors des maladies infectieuses par manque d’hygiène et je les guéris avec mes antibiotiques. Ils font une allergie aux antibiotiques et je les soigne avec mes antiallergiques. Mes antiallergiques les endorment, je leur donne un stimulant. Mes stimulants réveillent leurs obsessions, et vogue la galère en direction de la case départ. Eux, au moins, ce sont de vrais malades. De vrais disciplinés de ma pharmacopée.
― Luc Perino

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