lucperino.com

Curages internes

humeur du 09/01/2018

Tous les animaux pratiquent, à leur façon, une hygiène corporelle dans le but de limiter les agressions des microorganismes. Ayant tôt reconnu ses bénéfices sur la santé infantile et la durée de vie, toutes les sociétés humaines ont ritualisé l’hygiène (ablutions, fumigations, exclusions alimentaires, bénédiction de l’eau, etc.).

Ces rituels ont parfois dérivé vers des comportements pathologiques : le lavage compulsif des mains ou les excoriations par extraction d’illusoires parasites sont les plus connus des troubles obsessionnels.

La phobie des microorganismes a également été l’objet de récupérations commerciales. Les détergents introduits dans les savons et shampooings sont à l’origine de multiples pathologies cutanées et capillaires, souvent aggravées par de nouveaux traitements antiseptiques.

Ces utopies stérilisatrices ne se sont pas limitées à l’hygiène corporelle externe, elles ont investi les orifices et les muqueuses internes. Et, comme souvent, c’est la femme, déjà désignée comme impure par plusieurs rituels religieux, qui a été la première victime des incantations commerciales. L’hygiène dite « intime » a généré des foisons d’ovules, poires et instillations destinées à purifier la muqueuse vaginale. Une certaine façon de purifier l’origine du monde ! Ce toilettage intime a provoqué d’interminables vaginites, mycoses et leucorrhées dont la fréquence a, depuis longtemps, dépassé celle des maladies vénériennes.

Le conduit auditif externe (CAE) a été le deuxième orifice ciblé par l’hygiène interne. Le coton-tige, inventé en 1923, a fait tant de victimes, pour une absence totale de bénéfice, qu’aucun législateur ne pourrait, aujourd’hui, en accepter la mise sur le marché. Au-delà du compactage du cérumen avec ses bouchons douloureux et difficilement extractibles, le coton-tige est la première cause de perforations tympaniques, d’otites externes et de blessures du CAE. Les victimes sont majoritairement les nourrissons et jeunes enfants. Les adultes ne sont pas épargnés, car le CAE est un succédané de zone érogène.

Les lavements rectaux sont hors de notre propos, car ils ne sont pas (encore) à visée hygiéniste. Ils sont un traitement exceptionnel (hélas addictogène) de la constipation.

La bouche est la plus ancienne des cavités accessibles à l’hygiène. Reconnaissons l’utilité de la brosse à dents pour limiter les caries consécutives à nos profonds bouleversements alimentaires. Aucun doute n’est permis : il faut bien se brosser les dents.

Mais, la brosse à langue est la dernière-née des fantaisies commerciales de l’hygiène interne. Proposée contre la mauvaise haleine, elle n’a aucun résultat sur ce problème d’origine plus profonde, mais elle entraîne de nouvelles pathologies en altérant les papilles gustatives et  le microbiote buccal. Cette brosse à langue a le mérite d’une égalité entre l’homme et la femme. Nous voici donc prêts pour la promotion des écouvillons urétraux et rectaux. 

Bibliographie

Ameen ZS, Chounthirath T, Smith GA, Jatana KR
Pediatric cotton-tip applicator-related ear injury treated in United States emergency departments, 1990-2010
J Pediatr. 2017 Jul;186:124-130
DOI : 10.1016/j.jpeds.2017.03.049

Deux textes sur la médecine clinique

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Le sport nuit à la médecine - On ne cesse de répéter que la France souffre d’un manque de médecins. Plusieurs solutions [...]

Nouvelle boucle du tabac - Importé par les explorateurs de l’Amérique, le tabac fut l’un des premiers traitements [...]

Réflexions hygiénistes du haut de mon vélo - Pour mes visites en ville, le vélo, que j’utilise beaucoup plus que l’automobile semble plus [...]

Sélection naturelle de la mauvaise science - Le système actuel de publication en biomédecine favorise et encourage les résultats faussement [...]

Auto-immunité - Les anti TNF font partie des avancées thérapeutiques notables de ces dernières années. [...]

La phrase biomédicale aléatoire

L'objet de la chirurgie qui, théoriquement est situé en dehors de l'observateur, aurait dû facilement devenir un objet de science. Or il n'exclut ni le monde mental du chirurgien, ni le contexte social, ni la guerre des récits. Alors comment voulez-vous que la folie, objet flou de la psychiatrie, soit une chose palpable, mesurable et manipulable comme si le contexte technique et le prêt-à-penser des stéréotypes culturels n'existaient pas ?
― Boris Cyrulnik

Haut de page