lucperino.com

Pauvre Juliette

humeur du 14/04/2018

Un confrère gabonais imitait à merveille ses concitoyens qui ne prononçaient pas les ‘r’. Il répondait inlassablement « pauvre Juliette » à ceux qui lui parlait d’homéopathie (‘R’oméo pa’r’ti). Confronté aux parasites et aux turpitudes de l’Afrique, sa pratique ne lui laissait pas le temps d’aborder l’épistémologie du placebo.

Sa boutade m’est revenue en mémoire lors de la récente et énième controverse des médecines alternatives qui vient d’agiter notre microcosme médical. Après l’académie, ce sont des cardiologues et autres experts qui ont brandi à nouveau le spectre de l’homéopathie et des médecines alternatives, parallèles ou complémentaires. Ils réclament carrément l’exclusion ordinale des confères qui versent dans ces obscurantismes.

Je n’ai jamais été adepte des pratiques alternatives, car j’ai très tôt compris qu’elles ne m’aideraient en rien à comprendre les grandes parts d’ombre de mes pratiques académiques. Comme beaucoup de confrères, je suis  ébahi par la domination de l’effet placebo sur toutes les pharmacologies et même sur quelques chirurgies. L’efficacité physico-chimique du soin a fait des progrès faramineux depuis un siècle, mais elle demeure encore minoritaire dans l’efficacité globale. Pour que mes maîtres universitaires me pardonnent cet excès de langage, je vais m’empresser d’exclure les césariennes, les septicémies, les leucémies de l’enfant, les vaccins, l’insuline, l’héparine et quelques autres miracles médicaux du siècle dernier.

Mais dès que l’on aborde les pathologies dites chroniques : tumorales, auto-immunes, neurodégénératives, psychiatriques, psycho-sociales et cardio-vasculaires, il faut être un idéologue repu, un progressiste borné, un normatif sous influence, pour oser prétendre que la pharmacologie académique a des résultats supérieurs à ceux de la plus banale des hygiènes de vie ou à ceux des plus ésotériques pratiques.

Les médecins n’ont pas besoin de se battre pour imposer la science, elle s’imposera naturellement là où elle doit s’imposer. Faire un génome chez Google, absorber une granule homéopathique, prendre une statine pour ne pas mourir, faire une prière, surfer sur doctissimo, faire un check-up de mutuelle ou un dépistage de ministère, comporte autant de magie que de rigueur scientifique.

Alors se battre arrogamment contre d’autres confrères confrontés comme nous à la complexité du vivant ne fera gagner ni les Montaigu ni les Capulet.

Mais n’en déplaise à mon ami gabonais, Juliette est hors-sujet, car elle est morte prématurément sans avoir eu le temps d’une maladie chronique.  

Lire les chroniques hebdomadaires de LP

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Réflexions hygiénistes du haut de mon vélo - Pour mes visites en ville, le vélo, que j’utilise beaucoup plus que l’automobile semble plus [...]

Contorsions neurologiques et psychiatriques - En 1968, la neurologie et la psychiatrie ont été séparées, car l'une répondait au modèle [...]

Risque réel du syndrome d'hyperactivité infantile - La mode éditoriale du syndrome d'hyperactivité infantile ( TDAH ) n'est pas un hasard, car [...]

Rencontre insolite - Au cours d’une promenade d’été, j’ai fait la rencontre la plus singulière de ma carrière. [...]

Violence médicamenteuse - Dans son dernier numéro, la revue « Prescrire » publie une synthèse internationale des [...]

La phrase biomédicale aléatoire

Le "nerveux" est un merveilleux marchepied conceptuel. C'est un mot tampon d'une très grande utilité sanitaire, créé par des médecins précurseurs, et adopté à l'unanimité par les patients. Le "nerveux" est un sas de communication dans la relation médecin malade, une escale sur l'itinéraire qui passe du soma au psyché. Le "nerveux" est ce qui reste lorsque la main du médecin revient bredouille, l'image du radiologue quelconque ou l'analyse du biologiste insignifiante. Le "nerveux" signe la bénignité et réduit l'angoisse. Le symptôme nerveux, clown ridicule ou pantin fanfaron qui annule des siècles de conquêtes médicales, peut aussi être le point de départ, vers une nouvelle aventure de la communication, car il peut s'ennoblir en psychique ou se sublimer en existentiel. S'il est dérisoire en tant qu'impasse diagnostique, il devient prodigieux en tant que passerelle métaphysique. En se débarrassant de sa pelure organique, le symptôme nerveux quitte le monde charnel, pour conquérir le monde mystique ou règne un inconscient supposé, maître des vices et des vertus.
― Luc Perino

Haut de page