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Des patients prosélytes et sans regrets

humeur du 08/01/2019

Le fait de continuer à investir dans un projet sans espoir est un comportement irrationnel et pourtant très fréquent. Les neuropsychologues le nomment de diverses façons « phénomène du regret » ou des « coûts irréductibles » ou encore «  sophisme du Concorde ». En effet, l’histoire de notre avion supersonique franco-britannique en est une parfaite illustration : malgré l’évidence de cet investissement sans retour, on a continué à financer cet avion pour ne pas admettre avoir dépensé tant d’argent pour rien.

Une décision optimale devrait logiquement résulter d’un équilibre entre les bénéfices escomptés et les coûts déjà consentis. C’est hélas rarement le cas. À un extrême, se trouvent les joueurs pathologiques qui ne voient que les bénéfices potentiels, à l’autre, se trouvent les administrations qui ont tendance à surenchérir dans des organisations complexes et dispendieuses dans l’espoir de justifier les coûts passés.

Ces comportements sont bien étudiés en sciences cognitives, et la médecine en offre de belles illustrations. Chaque nouveau plan cancer ou nouveau plan Alzheimer accumule des coûts sans oser affronter l’évidence de l’échec. Les dépistages organisés et bilans de santé prolifèrent malgré des bénéfices de plus en plus faibles. Il faut des décennies pour admettre qu’un médicament, un jour approuvé, puisse être dangereux.
Certes, les administrations et les médecins en portent une grande part de responsabilité, mais ce sont souvent les patients qui  amplifient ces dérives comportementales, pouvant aller jusqu’à la dissonance cognitive.
Les psychanalysés ont dépensé des fortunes en se persuadant que tout le temps perdu ne pouvait pas être définitivement perdu. Même dans les pays où les ministères doutent de l’utilité des dépistages organisés de cancer, des patientes amputées d’un sein manifestent activement pour « octobre rose », le fameux mois de promotion du dépistage. Des patients amputés de la prostate, au lieu d’admettre que leur opération était peut-être inutile, préfèrent rejoindre la manifestation « movember » ou « moustaches de novembre ». Il n’y a pas encore de « mois du cholestérol », mais les patients traités, parfois victimes d’effets secondaires désastreux, hésitent à supprimer leur traitement, refusant l’idée d’avoir surveillé aussi attentivement leurs analyses et tant souffert pour rien.

Les marchands de diagnostics et de médicaments n’ont pas besoin d’utiliser toutes les sophistications du neuro-marketing pour arriver à leurs fins, il leur suffit de financer et d’organiser le prosélytisme de ces patients convaincus de leurs choix. Ces marchands peuvent s’appuyer confortablement sur les administrations, coutumières du sophisme du Concorde.

Bibliographie

Le mois le plus poilu de l'année est enfin arrivé
https://fr.movember.com/

Autier P, Boniol M
Mammography screening: A major issue in medicine
european journal of cancer, February 2018Volume 90, Pages 34–62
DOI : 10.1016/j.ejca.2017.11.002

Wikipedia
Coût irrécupérable
https://fr.wikipedia.org/wiki/Co%C3%BBt_irr%C3%A9cup%C3%A9rable

 

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La phrase biomédicale aléatoire

Le laboratoire Untel, vient de me vanter les mérites de son dernier antidépresseur sérotoninergique. Il est merveilleux, il supprime les angoisses, il régularise le sommeil, il lisse les humeurs, il élimine le risque suicidaire, il évite la dépression, il supprime les idées noires. Le laboratoire Untel doit poursuivre ses recherches pour la suppression définitive du mal-être social. Encore un dernier effort et les nouveaux anti-dépresseurs élimineront l’élan vital, on pourra les prescrire sans interruption de la naissance à la mort, afin de dissimuler à nos gènes, le bref passage turbulent de nos phénotypes, entre leurs deux infinis.
― Luc Perino

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