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Mes règles d'or

humeur du 23/08/2019

Issue de la culture judéo-chrétienne, la « Règle d'or » enjoint de faire à autrui ce que l’on souhaiterait pour soi et de ne pas lui faire ce que l’on détesterait pour soi. Plusieurs philosophes (Locke, Kant, Ricoeur et autres) ont considéré que cette double réciprocité était la meilleure réponse morale à une situation asymétrique entre deux êtres humains.

La relation entre un patient ignorant et fragile et un médecin investi du savoir et de l’autorité est particulièrement asymétrique. Si dans la majorité des cas, le médecin n’a pas d’hésitation sur la conduite à tenir, nombre de situations recèlent des polémiques scientifiques ou des biais d’interprétations. Dans ces cas, l’application de la règle d’or peut servir d’appoint pour une décision optimale.

Malgré son évidence morale, cette règle est parfois inadaptée. Par exemple, je dispense moi-même et tous mes proches des dépistages organisés ou ‘sauvages’ de cancers, mais il m’est impossible d’en dispenser mes patients au risque de paraître inconscient. Cette certitude, pertinente pour les miens, reste ‘commercialement’ inapplicable et socialement incongrue. Il en est de même pour la vaccination antigrippale, anti-varicelle ou anti-méningo C. (Je fais évidemment tous les autres vaccins à mes proches et à mes enfants).

Inversement, voici une liste provisoire et non exhaustive des cas où les règles d’or que j’applique à mes proches pourraient aussi profiter à mes patients, en les choquant moins que dans les exemples précédents.   

Je ne fais pas d’IRM cérébrale pour une migraine cliniquement évidente, car la découverte d’un anévrysme conduirait à des impasses décisionnelles. Je ne dose jamais le sucre ou le cholestérol à une personne qui marche plus d’une heure par jour, et je préviens ceux qui marchent moins qu’il n’y a aucun bénéfice supérieur à faire de telles analyses. J’encourage les miens à ne jamais se rendre à un « check-up » ou bilan de santé proposé par une mutuelle. Plus généralement, je les encourage à ne consulter qu’en présence d’un symptôme !

J’attends au moins trois jours pour pratiquer des examens complémentaires chez un enfant de plus de 6 mois qui n’a aucun autre symptôme que la fièvre et qui continue à jouer.

J’encourage évidemment tous les miens à bannir le tabac et les sodas. Chacun étant libre, j’avertis cordialement celui qui refuse pour lui-même ce précepte universel qu’il se place hors de ma juridiction ou me rend cruellement incompétent à le soigner autrement que par des leurres.

Les benzodiazépines et antidépresseurs sont exclus de toutes les prescriptions à mes proches. Et j’informe ceux qui sont devenus malencontreusement dépendants que le sevrage sera douloureux et difficile, nécessitant une amitié dont ne peuvent hélas pas bénéficier tous mes autres patients.

Chaque médecin possède sa liste de règles d’or, plus ou moins consciente, et il doit s’efforcer de l’inclure systématiquement dans ses arbres décisionnels.  

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La phrase biomédicale aléatoire

Les plus grands bénéficiaires de la vogue du freudisme sont les enseignants universitaires de psychiatrie et de psychologie. Faire de la recherche empirique de qualité dans le domaine des sciences humaines est une entreprise complexe et exigeante. Il est beaucoup plus facile d'accéder au titre de docteur ou d'agrégé en écrivant à partir de textes psychanalytiques. La lecture de Freud, Mélanie Klein ou Lacan remplace la patiente récolte de faits d'observation. La citation de ces auteurs remplace les recherches méthodiques et l'argumentation rationnelle. Si le thésard prévoit un jury composé de lacaniens, il peut jargonner sans se préoccuper du sens des mots. Une fois nommé, l'enseignant peut continuer à discourir et à publier sans le moins du monde se soucier du lien avec la réalité empirique et l'efficacité pratique - cette dernière préoccupation étant qualifiée de "technocratique", "néo-libérale" ou "néo-hygiéniste".
― Jacques Van Rillaer

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