lucperino.com

Diagnostics au supermarché

humeur du 14/12/2019

Il est facile de critiquer big pharma qui fait des profits parfois indécents sur le dos des malades. Il est moins aisé de comprendre comment cette industrie a manipulé le concept même de maladie pour gagner le marché des bien-portants, plus lucratif que celui des malades dont le défaut commercial est de mourir ou de guérir trop rapidement.
Certaines de leurs manipulations trop grossières étant désormais décelées, les firmes doivent s’adapter et se diversifier. En ce sens, le marché du diagnostic se révèle encore plus prometteur que celui du médicament. Proposer un test diagnostique ou prédictif présente le double avantage de s’adresser à tous et de ne pas avoir à supporter la gestion juridique des effets indésirables des médicaments.
Tous les signaux indiquent que ce marché est attrayant, car beaucoup de nos semblables sont avides de divination pronostique. Plus de 50 millions de personnes ont déjà succombé aux divers profilages génétiques proposés par les géants du net.  
Une firme a proposé un test susceptible de déceler une seule cellule tumorale dans 10 ml de sang. Une autre a proposé un panel de plusieurs analyses, allant du simple cholestérol jusqu’à des tests ADN, sur une simple goutte de sang, comme le font déjà les diabétiques pour surveiller leur glycémie.  
Certains vont jusqu’à proposer la vente de ces tests dans les supermarchés : on chercherait alors un cancer potentiel ou son absence en allant faire ses courses.

Les autorités ont rapidement réagi à ces propositions dont la plupart n’ont aucune validité démontrée. Et, même si les résultats devenaient plus fiables, on ignore les conséquences comportementales sur des personnes n’ayant pas les connaissances appropriées pour les interpréter. Sans compter le stress occasionné par des résultats pathologiques réels ou supposés.
Les autorités ont donc réagi avec la précaution qui s’impose face à ces innovations exaltées, en attente des preuves de leur utilité pour la santé individuelle et publique. Pourtant ce marché continuera à prospérer en l’absence de toute preuve, car dans le domaine de la santé virtuelle, l’avidité de la demande dépasse curieusement l’abondance de l’offre.
On pourrait en effet penser que ceux qui veulent connaître obsessionnellement leurs risques d’être malade et de mourir, le font pour adapter leur mode de vie à la quête d’une longévité chimérique. Il n’en est rien. Les études en ce domaine montrent que la découverte d’un risque n’a aucun impact sur les conduites qui majorent ce risque. Un risque plus élevé de cancer ou de maladie cardio-vasculaire ne modifie ni les dépistages ni l’hygiène de vie.

Ainsi la demande de diagnostics et de pronostics est dépourvue de toute logique, les marchands ont bien compris que pour la faire prospérer, il faut faire des offres qui se dispensent de preuves et ne fournissent aucune logique.

Bibliographie

Hollands GJ, French DP, Griffin SJ, Prevost AT, Sutton S, King S, Marteau TM
The impact of communicating genetic risks of disease on risk reducing health behaviour: systematic review with meta-analysis
BMJ. 2016 Mar 15;352:i1102
DOI : 10.1136/bmj.i1102

Ioannidis JPA
Stealth Research and Theranos : reflections and Update 1 year later
JAMA. 2016 May 18
DOI : 10.1001/jama.2016.6986

Laget S, Broncy L, Hormigos K, Dhingra DM, Benmohamed F, Capiod T, Osteras M, Farinelli L, Jackson S, Paterlini-bréchot P
Technical Insights into Highly Sensitive Isolation and Molecular Characterization of Fixed and Live Circulating Tumor Cells for Early Detection of Tumor Invasion
PLoS One. 2017; 12(1): e0169427
DOI : 10.1371/journal.pone.0169427

Lecomte T, Ceze N, Dorval É, Laurent-puig P
Circulating free tumor DNA and colorectal cancer
Gastroentérologie Clinique et Biologique, Volume 34, n° 12, pages 662-681 (décembre 2010)
DOI : 10.1016/j.gcb.2009.04.015

MGEN
Médecine prédictive : 75% des Français prêts à effectuer des tests génétiques
Communiqué de presse du 25 mars 2015

Michiels S, Koscielny S, Hill C
Prediction of cancer outcome with microarrays : a multiple random validation strategy
Lancet. 2005 Feb 5-11;365(9458):488-92

Weinberg DS, Myers RE, Keenan E, Ruth K, Sifri R, Ziring B, Ross E, Manne SL
Genetic and Environmental Risk Assessment and Colorectal Cancer Screening in an Average- Risk Population
Ann Intern Med. 2014 Oct 21;161(8):537-45
DOI : 10.7326/M14-0765

 

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Cas clinique de la France - Le diagnostic d’un patient résulte souvent du « flair clinique » basé sur l’expérience [...]

L'alcool n'est pas discriminatoire - Boisson fermentée et magique qui permettait de se rapprocher des dieux, l’alcool a été [...]

Qui détient la médecine ? - La médecine a deux buts : prolonger la vie et améliorer sa qualité. Comme pour toute [...]

Grand pas dans l’histoire des médicaments - Lorsque l’on ignorait la cause des maladies, on essayait d’en soigner les symptômes. La [...]

Fermer les facultés de médecine ? - Plusieurs enquêtes l’ont confirmé, 95% des facultés de médecine n’ont aucune politique [...]

La phrase biomédicale aléatoire

Donner au soigné la pleine possibilité de prendre lui-même - et s'il le souhaite - la décision qui le concerne est la seule façon de résoudre l'irrémédiable aporie entre notre volonté de faire son bien d'une part et notre impossibilité de concevoir son bien avec sécurité d'autre part.
― Alain Froment

Dessins humoristiques médicaux

Les courts dialogues des manchots "givrés" du style épuré de Xavier Gorce sont [...]

Haut de page