humeur du 06/03/2020
Les épidémies d’autrefois simplifiaient l’épidémiologie de la mort, ceux qui en avaient réchappé accédaient au privilège de la mort de vieillesse. Puis, au fil des progrès diagnostiques et sociaux, la notion de mort naturelle a progressivement disparu pour être remplacée par les divers vocables de l’usure organique : crise d’urémie, apoplexie, arrêt cardiaque, phtisie, démence sénile, pneumonie, emphysème et autres termes sans équivoque ni rédemption.
Le certificat de décès est ensuite devenu un vecteur de science en imposant aux médecins de mentionner la cause primaire de la mort en plus de sa cause immédiate. Non seulement la mort naturelle avait disparu, mais aussi les diagnostics terminaux qui ne pouvaient désormais s’expliquer que par d’autres maladies plus insidieuses, plus anciennes et plus sophistiquées. La fibrillation auriculaire expliquait l’apoplexie, la bronchite chronique expliquait l’emphysème, les cancers et les bacilles expliquaient la phtisie.
Faute de pouvoir dominer la mort, la médecine en dissimulait l’inexorabilité. La trivialité de la cause ultime faisait place à la science de la cause primaire.
Les certificats de décès ont logiquement suivi les modes diagnostiques. Ainsi avec le succès diagnostique de la maladie d’Alzheimer, le taux de mort ultime par démence est passée de 5 à 25% en un quart de siècle. Le vernis de la maladie recouvrait l’infamie de la sénilité.
Les causes primaires ont à leur tour suivi les engouements métaboliques et moléculaires. Les lipides ont remplacé l’athérosclérose, les plaques amyloïdes ont remplacé la neurodégénérescence, les télomères ont remplacé le cours de la vie. Plus qu’un mode de mort, les maladies dites chroniques sont devenues un mode de vie. Arthrose, apnée du sommeil, LDL cholestérol, diabète ou dépression étant de nouvelles rubriques de l’identité.
Pour un biologiste, la mort a toujours été considérée comme le terme naturel de l’évolution des cellules, organes, individus et espèces. Pour un médecin, elle est devenue un accident induit par une maladie chronique. Une conclusion en forme de syllogisme s’est alors imposée à tous : si la chronicité tue, il faut traiter la chronicité pour éradiquer la mort. Hélas, les médicaments des mille causes primaires ont induit à leur tour de nouvelles affections chroniques. Les maladies iatrogènes sont devenue la troisième cause de mortalité dans les pays occidentaux.
Enfin, nous redécouvrons avec une feinte naïveté que la plus primaire de toutes les causes est la misère. Une enfance défavorisée double le risque de mort prématurée. Et si la misère se prolonge à l’âge adulte, le risque est multiplié par quatre. Épidémiologie basique.
Arrivés au stade actuel de nos connaissances, nous pouvons affirmer que la chronicité, les médicaments et la misère sont les trois options les plus valides pour documenter la case des causes primaires dans les certificats de décès.
Notre espace de progrès est désormais l’éradication de ces trois causes.
Aouba A, Eb M, Rey G, Pavillon G, Jougla E
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The tiranny of diagnosis : specific entities and individual experience
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Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant
― Montaigne