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Pourquoi les humains ont perdu leur fourrure ?

dernière mise à jour le 14/02/2021

Les théoriciens de l'évolution ont avancé de nombreuses hypothèses sur les raisons pour lesquelles les humains sont les seuls primates à avoir perdu leur fourrure. Sommes-nous adaptés aux environnements semi-aquatiques ? La peau nue nous aide-t-elle à transpirer pour rester au frais pendant la chasse pendant la chaleur de la journée ? La perte de notre fourrure nous a-t-elle permis de lire les réactions émotionnelles de chacun, telles que la colère ou le rougissement ? Les avis scientifiques sont divers, mais les biologistes commencent à comprendre le mécanisme physique qui a transformé les humains en singes nus. En particulier, une étude récente a commencé à lever le mystère au niveau moléculaire et génétique.

Ni dermatologues, ni paléoanthropologues ne peuvent vraiment expliquer pourquoi différents types de poils et cheveux et différentes zones pileuses apparaissent sur le corps humain. Nous avons des cheveux très longs sur notre cuir chevelu et des poils très  courts dans d'autres régions, nous n’avons pas de poils sur nos paumes, le dessous de nos poignets et la plante de nos pieds. Personne ne comprend vraiment comment de telles différences surviennent.

Chez de nombreux mammifères, au niveau des coussinets, une zone glabre, connue sous le nom de « peau plantaire », ressemble à la face inférieure du poignet chez l'humain. Mais chez quelques espèces, y compris les ours polaires et les lapins, cette zone plantaire est couverte de fourrure. Dans les cellules de cette zone une protéine nommée appelée Dickkopf 2 ou Dkk2, est beaucoup moins présente que dans d’autres zones. Or cette protéine joue un rôle d’inhibition sur la croissance des poils en bloquant les glycoprotéines WNT dont l’une des actions connues est une signal positif de croissance des follicules pileux.

L’expérimentation sur des souris mutées privées de Dkk2 a confirmé le rôle de cette protéine sur la présence de poils. Cependant, les poils ayant poussé chez ces souris étaient plus courts, plus fins et moins uniformément espacés que le reste des poils chez ces animaux. Dkk2 est donc suffisant pour empêcher les cheveux de pousser, mais pas pour se débarrasser de tous les mécanismes de contrôle. Il faut donc aller plus loin dans les recherches. Cela est d’autant plus intéressant, car la voie de signalisation des WNT est toujours présente chez les chauves, mais elle est simplement bloquée par des protéines Dkk2 ou des inhibiteurs similaires chez l'homme. Comprendre le fonctionnement de ce type d’inhibiteur pourrait également aider à comprendre d'autres affections cutanées telles que le psoriasis ou le vitiligo.

Il reste malgré tout à savoir pourquoi les humains sont devenus des singes presque nus. Certains pensent que les poils des paumes et des poignets ont pu présenter un avantage sélectif pendant les millénaires de taille et d’usage des outils en pierre. Mais cette hypothèse originale n’explique pas la présence de nombreuses autres zones sans poils. La théorie des singes aquatiques est une autre hypothèse devenue populaire, quoique très contestée. Cette hypothèse suggère que les ancêtres humains vivaient dans les savanes d'Afrique, cueillant et chassant des proies. Mais pendant la saison sèche, ils se déplaçaient vers les oasis et les rives des lacs et pataugeaient dans les eaux peu profondes pour ramasser des tubercules aquatiques, des crustacés ou d'autres sources de nourriture. Les poils n'étant pas un très bon isolant dans l'eau, notre espèce aurait perdu sa fourrure et développé une couche de graisse. Elle va même jusqu’à suggérer que la bipédie pourrait résulter de ces pataugements dans les eaux peu profondes. Cependant, aucune archive fossile ne vient confirmer cette hypothèse qui est abandonnée par la plupart des chercheurs.

La théorie largement dominante est que, lorsque les ancêtres humains sont passés des forêts fraîches et ombragées à la savane, ils ont développé une nouvelle méthode de thermorégulation. La perte de la fourrure a permis aux hominidés une évaporation limitant la surchauffe et leur permettant de chasser pendant la journée dans les prairies chaudes. La forte augmentation du nombre de glandes sudoripares, par rapport aux autres primates, conforte cette théorie. Les acquisitions culturelles du  feu et des vêtement auraient alors compensé ce handicap, leur permettant de se réchauffer la nuit et les jours froids tout en pouvant chasser les jours chauds.

Mais comme souvent dans l’évolution, la perte de poils est certainement due à la combinaison de plusieurs facteurs. L’hypothèse la plus élégante est que l’absence de fourrure limite la présence et l’impact des poux et autres parasites. Les humains ont cependant conservé les cheveux qui nous protègent du soleil et les poils pubiens qui retiennent les phéromones sécrétées. L’évolutionniste Mark Pagel suggère en outre que l’absence de poils était un puissant moyen d’attraction pour les partenaires sexuels ainsi rassurés sur l’absence de parasites et la bonne santé de ce géniteur potentiel.

L'une des hypothèses les plus audacieuses est que la perte des poils sur le visage et d’une partie autour des organes génitaux peuvent avoir contribué à la communication émotionnelle. L’évolutionniste Mark Changizi est un neurobiologiste qui travaille sur la vision et les couleurs, il déclare que la cause de l’absence de poils se trouve peut-être dans nos yeux. Alors que l’œil de nombreux animaux n’a que deux types de cônes, l'œil des humains en a trois. Les animaux qui ont trois types de cônes ou plus, comme les oiseaux et les reptiles, peuvent voir dans une large gamme de couleurs. Ce troisième cône donne aussi une puissance supplémentaire pour détecter des teintes de milieu du spectre et des nuances qui n’ont aucun intérêt pour la chasse ou le suivi. Changizi suggère que ce troisième cône nous permet de communiquer de manière non verbale en observant les changements de couleur du visage. Cela permettrait de lire une pâleur signe de maladie chez un enfant, une colère, un rougissement émotionnel, etc.

En effet, les primates à visage et parfois à croupe glabres ont plus souvent trois cônes, alors que les primates à face poilue n’en ont que deux. Les visages glabres et la vision des couleurs semblent aller de pair.

Bref la découverte de Dkk2 ne nous dira pas si les humains sont des singes nageurs, des singes en sueur ou des primates rougissants, mais c’est un excellent début de recherche sur ce trait particulier de l’hominisation.

Bibliographie

Changizi MA, Zhang Q, Shimojo S
Bare skin, blood and the evolution of primate colour vision
Biol Lett. 2006;2(2):217-221
DOI : 10.1098/rsbl.2006.0440

Choi YS, Zhang Y, Xu M, et al
Distinct functions for Wnt/β-catenin in hair follicle stem cell proliferation and survival and interfollicular epidermal homeostasis
Cell Stem Cell. 2013;13(6):720-733
DOI : 10.1016/j.stem.2013.10.003

Daley J
Why Did Humans Lose Their Fur?
Smithsonian magazine December 11, 2018

Song Y, Boncompagni AC, Kim SS, Gochnauer HR, Zhang Y, Loots GG, Wu D, Li Y, Xu M, Millar SE
Regional Control of Hairless versus Hair-Bearing Skin by Dkk2
Cell Rep. 2018 Dec 11;25(11):2981-2991.e3
DOI : 10.1016/j.celrep.2018.11.017

Médecine évolutionniste (ou darwinienne)

Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique

Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.

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