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Collusion de l'anonymat

humeur du 03/03/2021

Depuis un siècle, l’accumulation des connaissances théoriques et des progrès technologiques ont profondément modifié la pratique médicale, non pas tant par la quantité de savoir que par la nécessité de le partager entre plusieurs décisionnaires. Là où un seul médecin ou chirurgien suffisait à la décision clinique, il en faut désormais plusieurs, de multiples spécialités, chacune régie par des strates de techniciens et d’administrateurs, et contrainte par des procédures et des codes de plus en plus formels.

 Le principal effet indésirable de cette complexification est la dilution des responsabilités, voire leur disparition. C’est ce que Balint nommait la « collusion de l’anonymat » dans le monde hospitalier et que Howard nomme « rule of nobody » dans d’autres domaines d’activité. Ces mille-feuilles administratifs et procéduraux peuvent paralyser l’action jusqu’à gommer les progrès qui les avaient générés, ou inversement, s’emballer jusqu’à provoquer  une « avalanche où aucun flocon ne se sent jamais responsable », selon l’aphorisme  de Jerzy.

Mais en médecine, les avalanches ne sont jamais aussi spectaculaires que dans le bâtiment ou l’aéronautique. S’il suffit d’un crash aérien ou d’un écroulement pour discréditer un avion ou bannir un constructeur, il faut mille morts pour suspecter un médicament, des millions d’inefficiences pour abandonner une stratégie. Cette différence tient à la lubrification permanente des rouages sanitaires par des arguments d’ordre éthique.

L’échec relatif des coûteuses chimiothérapies anticancéreuses est masquée par l’impératif démagogique des plans cancer. L’augmentation des douleurs chroniques et des addictions par échecs successifs des antalgiques sont dissimulés derrière l’empathie due aux gémissements. Les dépistages semblent si intuitivement nécessaires aux profanes que leur inutilité ne peut même plus être envisagée par la recherche.

Lorsque l’académisme médical n’arrive plus à évaluer le coût social et financier de chaque minute de vie gagnée, il rejoint l’obscurantisme qu’il prétend combattre.

Et si nous acceptons avec cynisme de considérer que le marché sanitaire a désormais beaucoup plus d’importance que la réalité clinique, il faut tout de même reconsidérer cette position à l’aune de la nouvelle épidémie. Ce marché de la santé représente déjà plus de 11% du PIB des nations qui ne subissaient pas ou très peu la pression parasitaire. La démission clinique et la dilution des responsabilités conduisent à des décisions qui, détruisant des pans entiers de l’économie, vont augmenter mathématiquement la part relative du marché de la santé.

Alors que cette épidémie épargne nos forces vives, les sujets médicaux occupent la majorité du temps des médias et des ministères. On se demande qui sera capable, demain, de trouver le modèle économique qui pourra alimenter cette dispendieuse machine sanitaire…

Nos enfants paieront… Le masque est le premier bâillon pour qu’ils se taisent.

Bibliographie

Balint M
Le médecin, son malade et la maladie
Petite bibliothèque Payot. n°86

Howard PK
The rule of nobody
Norton & company, 2014

Stanislaw Jerzy Lec
Pensées échevelées
Noir sur blanc, 1957

 

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La phrase biomédicale aléatoire

A l'aide des sciences expérimentales actives, l'homme devient un inventeur de phénomènes, un véritable contremaître de la création; et l'on ne saurait, sous ce rapport, assigner de limites à la puissance qu'il peut acquérir sur la nature, par les progrès futurs des sciences expérimentales. Maintenant reste la question de savoir si la médecine doit demeurer une science d'observation ou devenir une science expérimentale. Sans doute la médecine doit commencer par être une simple observation clinique. Ensuite, comme l'organisme forme par lui-même une unité harmonique, un petit monde (microcosme) contenu dans le grand monde (macrocosme), on a pu soutenir que la vie était indivisible et qu'on devait se borner à observer les phénomènes que nous offrent dans leur ensemble les organismes vivants sains et malades, et se contenter de raisonner sur les faits observés. Mais si l'on admet qu'il faille ainsi se limiter, et si l'on pose en principe que la médecine n'est qu'une science passive d'observation, le médecin ne devra pas plus toucher au corps humain que l'astronome ne touche aux planètes. Dès lors l'anatomie normale ou pathologique, les vivisections, appliquées à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique, tout cela est complètement inutile. La médecine ainsi conçue ne peut conduire qu'à l'expectation et à des prescriptions hygiéniques plus ou moins utiles; mais c'est la négation d'une médecine active, c'est-à-dire d'une thérapeutique scientifique et réelle.
― Claude Bernard

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