humeur du 08/06/2021
Importé par les explorateurs de l’Amérique, le tabac fut l’un des premiers traitements contre la migraine. Cette énigmatique maladie finissant toujours par échapper aux médicaments, le tabac a suivi les classiques arcanes du recyclage pharmaceutique. En infusions, en emplâtres, prisé et chiqué, il a été utilisé comme plante médicinale jusqu’à l’apparition de la cigarette dont la fumée magique a sauvé le tabac de ses échecs thérapeutiques et permis son expansion mondiale. Ce succès commercial sans précédent s’est révélé incomplet, car cette consommation était associée à la virilité. Avec l’aide de l’industrie cinématographique qui a transformé les acteurs en machines à fumer, et de l’armée qui a offert les cigarettes aux conscrits, la mercatique du tabac s’est elle-même embourbée dans une seule moitié de l’humanité.
Les ficelles de la féminité ont été tirées avec la même grossièreté que celles de la virilité. Le long porte-cigarette est devenu un accessoire de mode et de séduction. Colorées pour leur plaire et filtrées pour les protéger, les cigarettes comme partenaires de minceur ont achevé de berner nos fragiles compagnes. Les actrices ont aussi donné le meilleur d’elles-mêmes pour cette promotion. Puis, le féminisme et l’égalité face aux nuisances ont progressivement remplacé ces stratégies d’un autre âge.
La première étude épidémiologique démontrant les graves dangers du tabac date de 1950. Les études alarmantes se sont accumulées sur les risques de cancers de tous les organes, les dangers cardio-vasculaires, les dégâts pour le fœtus et l’embryon et les risques majeurs du tabagisme passif. Les cigarettiers ont alors inventé la plus subtile des sciences, l’agnotologie, consistant à semer le doute sur chaque nouvelle étude à charge. Procédé repris par les sucriers et l’industrie pharmaceutique qui en a mené l’expertise à des sommets.
Mais aujourd’hui, malgré leur puissance de corruption, les cigarettiers pressentent le déclin irrémédiable de leur marché. Même l’OMS, si prudente avec les sponsors, a osé dire qu’avec plus de cinq millions de morts annuelles, le tabac tuait plus que le sida, la tuberculose et le paludisme réunis. L’heure de la reconversion a sonné pour les cigarettiers, le déni devient plus coûteux que les leaders d’opinion.
Ils ont commencé par vendre le sevrage à leurs consommateurs : patchs et vapotage ont permis de beaux profits, sans compenser la baisse des ventes. Le tabac chauffé et la chique ont déjà trouvé des universitaires bienveillants eux aussi en reconversion. Mais c’est le cannabis thérapeutique qui s’annonce le plus prometteur. Ce nouveau médicament dont seuls les naïfs pensent qu’il le restera. Les cigarettiers n’ont pas oublié les débuts pharmaceutiques du tabac. Ils connaissent l’aventure lucrative des opiacés. Ils ont appris que le bien de l’humanité est le meilleur argumentaire pour un nouveau marché.
Devra-t-on un jour regretter les cigarettes honnêtement vendues pour le seul plaisir de fumer ?
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