dernière mise à jour le 04/03/2024
Abstract
La méthylation de l'ADN est une modification épigénétique influencée par des variations génétiques et environnementales. Elle joue un rôle clé pour la transcription du génome et la constitution des nombreux phénotypes cellulaires, métaboliques et morphologiques d'un organisme. Nous savons déjà que les modèles de méthylation de l’ADN diffèrent entre les populations humaines, il nous reste à déterminer dans quelle mesure cette diversité épigénétique est liée aux modèles de variation génétique et à leur expression à l’échelle mondiale. La méthode utilisée ici a consisté à mesurer la méthylation de l'ADN sur 485 000 sites CpG (dinucléotides Citosine-phosphate-Guanine) dans cinq populations humaines diverses et comparé ces données à celles sur le génotype et son expression. Nous avons constaté que la méthylation de l’ADN spécifique d'une population exerce un contrôle génétique local plus important que les niveaux d’ARN messager (ARNm), donc plus important que la transcription classique. Nous avons estimé le taux de divergence épigénétique entre les populations, il indique une stabilité évolutive de la méthylation de l'ADN bien plus grande chez l'homme que celle observée chez les plantes. Cette étude fournit une compréhension plus approfondie des modèles mondiaux de diversité épigénétique humaine, ainsi que des premières estimations du taux de divergence épigénétique au cours de l’évolution humaine récente.
Introduction
L'histoire de l'évolution humaine a laissé une forte signature sur les modèles mondiaux de variation génétique. Nous nous demandons ici si cette histoire évolutive a laissé des traces similaires sur les modèles mondiaux de variation épigénétique. L'épigénome est situé à l'interface entre le génome et l'environnement, et leurs interactions peuvent sous-tendre le rôle de l'épigénétique dans l'adaptation à l'environnement et à la création de phénotypes complexes. La diversité épigénétique présente-t-elle des signatures de l’histoire de l’évolution humaine et ces signatures reflètent-elles les modèles de variation génétique ?
Nous avons utilisé l'analyse en composantes principales ( ACP ), méthode qui gagne en popularité en tant qu'outil permettant de faire ressortir des tendances fortes à partir d'ensembles de données biologiques complexes.
Cette méthode a permis de constater que, contrairement aux études génotypiques montrant des regroupements géographiques, les données sur la méthylation de l'ADN diffèrent entre populations et les niveaux d'ARNm ne suffisent pas pour expliquer les différences.
Notre analyse a porté sur les 3 facteurs :
1/ Les variations génétiques étudiées sur les SNP (polymorphisme nucléotidique unique)
2/ Les niveaux de méthylation de CpG (dinucléotides Citosine-phosphate-Guanine)
3/ La variation transcriptionnelle donc les niveaux d'ARN messager (ARNm)
Elle a porté sur des mêmes individus issus de cinq populations différentes qui couvrent toute l'histoire des migrations humaines. À l'aide de cet ensemble de données, nous comparons la spécificité des population pour le méthylome, le transcriptome et le génotype et nous les comparons avec les groupes de population déjà définis par les génotypes et épigénotypes.
Nous constatons que les modèles de variation de la méthylation de l’ADN et de l’expression des gènes ressemblent étroitement aux relations géographiques entre les populations déduites des modèles de variation génomique. De faibles niveaux de différenciation entre les individus sur un grand nombre de sites méthylés suffisent pour les regrouper en différents groupes coïncidant avec leurs origines ancestrales. De plus, nous constatons qu’une plus grande spécificité de population pour le méthylome que pour le transcriptome pourrait être due à un contrôle génétique plus strict de la méthylation du CpG. Cette découverte fournit des indices supplémentaires sur la contribution du génome à l’élaboration des modèles mondiaux de méthylation et de variation de l’expression des gènes. Ces résultats constituent une première ressource pour analyser la spécificité épigénétique d’une population et sa détermination génétique.
Données
Les cinq populations ont été choisies pour capturer les différences de diversité génétique qui découlent des effets fondateurs en série tout au long de l'histoire de l'évolution humaine. Les 34 individus étudiés comprennent six Yakoutes, sept Cambodgiens, sept Pathan, sept Mozabites et sept Mayas.
Les données génotypiques utilisées ont été précédemment rapportées et 644 258 marqueurs ont passé nos filtres de contrôle qualité et ont été conservés pour des analyses ultérieures. Les données utilisées dans les analyses ici comprennent 317 109 sites CpG.
Contexte de variation génétique des populations
Les modèles mondiaux de fréquences alléliques dans les populations reflètent bien leur variation géographique, leur structure démographique et leur adaptation aux différences environnementales. Il a été largement démontré depuis les travaux de Cavalli-Sforza que la variation génétique correspond étroitement à des groupes auto-identifiés ou à des populations géographiquement et linguistiquement similaires.
Spécificité de population pour la méthylation des CpG
Nous avons quantifié les modèles de spécificité de population au niveau de la méthylation et calculé le nombre de sites CpG présentant des différences de méthylation de l'ADN entre les cinq populations différentes étudiées.
Nous avons constaté que les différences entre populations sont plus marquées dans les régions promotrices du génome riches en ilots de CpG.
Nous avons comparé et mesuré la divergence épigénétique, la différenciation phénotypique, les sites de méthylation et d'expression du génome.
En en se basant sur les structures de population mondiale qui ont été précédemment observées au niveau génétique, nous constatons que la similarité épigénétique varie avec la distance géographique et elle est étonnamment cohérente avec les modèles de migration humaine hors d'Afrique.
Facteurs de la variation épigénétique observée de la population
Les différences épigénétiques observées entre les populations pourraient être causées par des variations génétiques ou environnementales, ou une combinaison des deux. Puisque nos données proviennent de lignées cellulaires lymphoblastiques (LCL) cultivées dans un environnement de laboratoire contrôlé, le facteur le plus probable des différences observées est certainement génétique. Pour chaque population, les niveaux de méthylation de CpG et d’ARNm pourraient être influencés par les fréquences alléliques des variantes génétiques qui contrôlent l’épigénome. Les SNP semblent être les premiers responsables de la variance épigénétique.
Conclusion
Caractériser la variabilité de l'épigénome humain est essentiel pour étudier la cartographie du génotype, du phénotype ainsi que le rôle de l'épigénome dans les maladies. L'établissement et le maintien de la méthylation du CpG sont contrôlés par de nombreux facteurs et l'importance relative d'un contrôle génétique stable par rapport à l'influence de l'environnement était encore floue. De même, la diversité transcriptionnelle révèle à la fois des niveaux d'expression génique stables régulés par la variation génétique, ainsi que des associations avec de nombreuses expositions environnementales.
À l'aide de cartes haute résolution de la méthylation du CpG et du séquençage de l'ARN à l'échelle du génome, nous avons analysé les modèles mondiaux de variation du niveau de méthylation et d'expression dans cinq populations sélectionnées pour leur diversité géographique. Nos données permettent une caractérisation de la variation épigénétique humaine et sa comparaison à la variation génétique humaine. Bien que la culture cellulaire puisse induire des changements épigénétiques dans les LCL (lignées cellulaires lymphoblastiques), les variations existantes entre différents individus sont généralement préservées.
Nous avons utilisé l'analyse en composantes principales (ACP) pour explorer les modèles relatifs de diversité de méthylation et de transcription et les comparer avec les modèles de variation génétiques. Malgré ses limites pour déduire les processus causals, nous avons constaté que les modèles de variation entre les cinq populations sont préservés.
La divergence épigénétique entre les populations révèle une spécificité de population plus élevée pour la méthylation du CpG que pour l'expression de l'ARNm. Nos résultats démontrent un contrôle génétique plus fort des niveaux de méthylation de CpG inter-populations que des niveaux d'expression d'ARNm correspondants, avec des conséquences probables en aval.
Grâce à l'accumulation de petites différences de fréquence allélique dans de nombreux loci, des études antérieures ont identifié des modèles géographiques de variation de fréquence allélique parmi les populations humaines
Comprendre les modèles de diversité épigénétique humaine à l’échelle mondiale est également essentiel pour comprendre comment des sous-structures de population peuvent façonner l’architecture des traits phénotypiques. Cette épistructure des populations humaines pourrait être particulièrement pertinente dans divers contextes médicaux. La variation des phénotypes de maladies génétiques et épigénétiques, les facteurs de risque liés à différentes expositions environnementales ou les différences dans la réponse aux médicaments peuvent dépendre de l'ascendance et être spécifiques à la population. Des caractérisations plus approfondies de la variation épigénétique humaine à l’échelle mondiale s’avéreront probablement informatives pour comprendre les origines de la variation phénotypique humaine.
Carja O, MacIsaac JL, Mah SM, Henn BM, Kobor MS, Feldman MW, Fraser HB
Worldwide patterns of human epigenetic variation
Nat Ecol Evol 2017 Oct 1 10 1577 1583
DOI : 10.1038/s41559-017-0299-z
Traduction de Luc Perino
Remarque : cette étude est intéressante pour certaines maladies environnementales telles que l'obésité dont l'hérédité épigénétique est connue. Si les méthylations sont stabilisées par de nouveaux SNIP, on peut craindre une prolongation de l'épidémie, malgré les efforts environnementaux pour la contrôler. En bref, les sucres et la sédentarité risquent de laisser des traces durables dans notre espèce.
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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L'ardeur que l'on met à rechercher des médicaments nouveaux, à les faire connaître au monde savant avant même qu'ils aient commencé à faire leurs preuves, à multiplier hâtivement les observations qui permettent d'appuyer sur des données cliniques les vues qu'on s'efforce de faire prévaloir ; toute cette fièvre pharmacologique a inspiré aux praticiens des habitudes d'intervention turbulente qui ne sont pas toujours dans les intérêts des malades.
― Léon Lereboullet en 1886