lucperino.com

Pharmacologie du suicide

humeur du 29/03/2015

La dépression est une entité médicale qui n’a jamais obtenu de définition satisfaisante. L’imipramine a été le premier médicament considéré comme actif pour améliorer l’humeur,  cette molécule a inauguré la grande famille des antidépresseurs dits « tricycliques ». D’autres familles ont suivi, basées sur de subtils réductionnismes de la chimie synaptique : inhibiteurs de la monoamine-oxydase, inhibiteurs de la capture de l’adrénaline ou de la sérotonine.

Plusieurs de ces médicaments, en conformité avec les prévisions théoriques, ont pu modifier temporairement l’humeur ou son expression, mais hélas, aucun d’eux ne s’est montré vraiment plus efficace qu’un placebo pour changer le cours des dépressions à moyen et long terme.

Cet échec vient du fait que la dépression n’est pas une entité isolée. La dépression médicale la mieux établie et la plus fréquente est la phase dépressive de la maladie bipolaire, et il existe des dépressions unipolaires psychotiques plus rares. Dans le premier cas, les antidépresseurs sont inefficaces et dangereux, ils majorent le risque de suicide. Dans le deuxième cas, les antidépresseurs ne sont qu’un traitement d’appoint difficile à évaluer.

Ces médicaments majorent également le risque de suicide quand ils sont utilisés comme traitement de la multitude des « non-maladies » nommées dépressions, particulièrement chez les adolescents.

Les antidépresseurs sont donc des médicaments inutiles et/ou dangereux dans le traitement de la grande majorité des dépressions majeures et mineures. Mais pour ne pas heurter la normativité des médecins et de leurs patients, il convient d’être beaucoup plus concret pour les convaincre que ces propos ne sont ni péremptoires ni répréhensibles.

La meilleure définition d’une dépression médicale grave de type bipolaire ou unipolaire repose sur le risque élevé de suicide. Tout clinicien, soignant un patient à l’humeur dépressive, a donc comme priorité principale d’empêcher le suicide qui est logiquement considéré comme l’échec médical absolu.

La réflexion clinique dans des pathologies de cette complexité où notre méconnaissance reste forte, doit parfois se résumer à regarder les chiffres les plus simples de la façon la plus triviale.

Les antidépresseurs ont été découverts, il y a un demi-siècle, et dans les pays où ils sont utilisés, le taux de suicide a augmenté de 60%.

Avec des chiffres aussi brutaux, comment peut-on encore fabriquer des preuves moléculaires sophistiquées et des discours psychiatriques alambiqués autour de la dépression ? Lorsque le symptôme qui définit à la fois la gravité de la maladie et signe l’échec médical présente une augmentation aussi faramineuse de son incidence.

Je suis toujours stupéfait de la carence épidémiologique dans laquelle baigne la pharmacologie psychiatrique et particulièrement celle du suicide.

Bibliographie

La prévention du suicide : indications pour les professionnels des médias
http://iasp.info/pdf/task_forces/WHO_Indications_Professionnels.pdf

Agerbo E
Risk of suicide and spouse's psychiatric illness or suicide : nested case-control study
Br Med J 2003; 327: 1025-26

Batty GD et coll
Psychosis alters association between IQ and future risk of attempted suicide: cohort study of 1 109 475 Swedish men
BMJ 2010;340:c2506

Bjerkeset O et coll
Gender differences in the association of mixed anxiety and depression with suicide
Br Journal of Psychiatry (juin 2008) ; 192 : 474-475

Fond G, Zendjidjian X, Boucekine M, Brunel L, Llorca PM, Boyer L
The World Health Organization (WHO) dataset for guiding suicide prevention policies: A 3-decade French national survey
Journal of Affective Disorders, Volume 188, 1 December 2015, Pages 232–238
DOI : 10.1016/j.jad.2015.08.048

Gershon ES
Genes and environment in suicidality
Am J Psychiatry 2007 ; 164 : 1460-1461

Gould MS, Kleinman MH, Lake AM, Forman J, Midle JB
Newspaper coverage of suicide and initiation of suicide clusters in teenagers in the USA, 1988—96: a retrospective, population-based, case-control study
The Lancet Psychiatry, Volume 1, Issue 1, Pages 34 - 43, June 2014
DOI : 10.1016/S2215-0366(14)70225-1

Gunnell D et coll
Low intelligence test scores in 18 year old men and risk of suicide: cohort study
BMJ 2005; 330: 167

Isacsson G et Ahlner J
Antidepressants and the risk of suicide in young persons –prescription trends and toxicological analyses
Acta Psychiatr Scand., 2014: 129: 296–302

Isacsson G et coll
The increased use of antidepressants has contributed to the worldwide reduction in suicide rates
Br J Psychiatry (2010) 196-6 : 429-433

Le-niculescu H, Levey DF, Ayalew M, Palmer L, Gavrin LM, Jain N, Winiger E, Bhosrekar S, Shankar G, Radel M, Bellanger E, Duckworth H, Olesek K, Vergo J, Schweitzer R, Yard M, Ballew A & al
Discovery and validation of blood biomarkers for suicidality
Molecular Psychiatry (2013) 18, 1249–1264
DOI : 10.1038/mp.2013.95

Levi F et coll
Trends in mortality from suicide, 1965-1999
Acta Psychiatrica Scandinavie 2003; 108: 341-349

Libby AM et coll
Persisting decline in depression treatment after FDA warnings
Arch Gen Psychiatry 2009 ; 66 (6) : 633-639

Logan J et coll
Suicide categories by patterns of known risk factors, a latent class analysis
Arch Gen Psychiatry, 2011; 68 (9) : 935-941

Magnusson PK et coll
Association of body mass index with suicide mortality : a prospective cohort study of more than one million men
Am J Epidemiol 2006; 163: 1-8

Nanri A et coll
Dietary patterns and suicide in Japanese adults: the Japan Public Health Center-based Prospective Study
Br J Psychiatry, 2013; 203: 422–427

Pirkis J, Robinson J
Improving our understanding of youth suicide clusters
The Lancet Psychiatry, Volume 1, Issue 1, Pages 5 - 6, June 2014
DOI : 10.1016/S2215-0366(14)70227-5

Prieur Cécile
Chez les mineurs, une hausse du risque suicidaire
Le Monde, 12/11/2004

Sakinofsky I
To Be or Not to Be
Canadian Journal of Psychiatry 03/2014; 59(3):118-119

Uher R & Perroud N
Probing the genome to understand suicide
Am J Psychiatry, 2010 ; 167-12 : 1425-1427

RARE

Site médical sans publicité
et sans conflit d'intérêts.

 

Vous aimerez aussi ces humeurs...

Peste ou choléra - On ne peut reprocher à quiconque de méconnaître l’Histoire de l’épidémiologie des [...]

Prostate : fable du PSA - Le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA est dénoncé comme inefficace, [...]

Même l'eau ! - L’histoire de la science n’a pas été linéaire, cependant l’historien est dans [...]

Sélection naturelle de la mauvaise science - Le système actuel de publication en biomédecine favorise et encourage les résultats faussement [...]

Piétons fragiles et malotrus - Dans la jungle de la circulation urbaine où des doigts se brandissent pour déshonorer les [...]

Haut de page