humeur du 05/07/2013
Les répondeurs automatiques qui vous donnent les choix 1, 2 ou 3, après avoir tapé dièse ou étoile, sont une conséquence du coût élevé du travail, de la consommation de masse et de la financiarisation de l’économie. Le système semble bien fonctionner, puisqu’il s’est répandu en quelques décennies à tous les secteurs publics et privés.
Nous avons été contraints de nous habituer à ces voix humanisées, au timbre suave et commercial. Parfois, la voix vous demande de parler, car son robot sait comprendre des mots simples. Il vous suffit de dire clairement : « abonnement », « panne » ou « oui » pour qu’une nouvelle voix vous propose de nouvelles étoiles ou de nouveaux mots simples. Parfois, la voix vous dit qu’elle n’a pas entendu clairement votre réponse, même si vous n’avez pas prononcé un seul mot. Et si vous précisez que vous n’avez rien dit, elle ne vous répond jamais que vous êtes stupide ; elle vous répète cordialement qu’elle n’a pas compris votre réponse.
Pour éviter les écueils de ces robots humanisés, on a inventé l’humain robotisé. Il travaille dans un centre d’assistance téléphonique, il habite parfois loin de chez vous, dans un pays où l’on ne peut pas toujours s’offrir la technologie pour laquelle vous avez besoin de son assistance. Afin d’éviter les colères et les conflits, il a un registre limité de questions et de réponses programmées, issues de la formation stricte qu’il a reçue. Il a été éduqué à ne jamais avoir d’humeur, et à vous donner son prénom au début et à la fin du dia/mono/logue.
En médecin, il m’arrive de penser que le système éducatif de ces robots humains, leur management par le stress, leur absence de syntonie et leur interdiction d’empathie, sont des facteurs favorisant les névroses et les maladies psychosomatiques. Certains auteurs pensent même que cette « hypersectorisation » de la société favorise les psychoses et les addictions.
Les plus atteints d’entre eux finissent alors à ma consultation. Bien calé dans mon fauteuil doctoral, sachant qu’un conseil ne coûte rien à la Sécurité Sociale, il m’arrive de leur conseiller un changement de travail. Et le patient me répond, désemparé ou stupéfait, que s’il avait trouvé autre chose, il aurait déjà changé... Que n’y avais-je pensé plus tôt ?
J’hésite alors à donner des psychotropes, preuve trop évidente de mon impuissance, source d’une nouvelle addiction, et cadeau ostensible à l’industrie pharmaceutique, actrice, elle aussi, de la financiarisation qui a provoqué les maux de mon patient. Je demande parfois un deuxième avis à un psychiatre. Certains sont très compétents et rompus aux pièges de l’environnement moderne… Quelques-uns d’entre eux se sont même mis à la télé-psychiatrie… C’est vous dire.
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