humeur du 10/06/2011
L’éventail des causes et traitements proposés pour les lombalgies est une approche amusante de la diversité médicale et des ressorts de la mercatique sanitaire.
Au temps lointain de la médecine sommaire, le mal de dos était lié à l’effort, il était inclus dans l’interminable liste des douleurs articulaires et musculaires dont le seul traitement efficace était le repos.
L’arrivée de la radiographie avec la découverte des tassements vertébraux, hyperlordoses ou spondylolisthésis lui a donné une signature anatomique jusqu’à l’étonnant constat de l’absence totale de lien entre la douleur et l’image.
Puisque la grossièreté de l’image n’avait rien à voir avec l’énormité de la douleur, il fallait être moins fruste et ce fut la mode de la bonne longueur des deux jambes. Combien de talonnettes ont-elles été glissées sous combien de chaussures droites ou gauches ? Malgré la liesse des orthopédistes et des marchands de liège, cette étiologie fut mise à mal par les vrais scoliotiques qui se portaient beaucoup mieux que les faux. Il fallut attendre Coluche, décrétant que la bonne longueur pour les jambes c’est lorsque les deux pieds touchent bien par terre, pour tourner définitivement la page de la bascule du bassin.
Dans une honorable et très subtile démarche holistique, on décida que le mal de dos était en relation avec l’articulé dentaire. Que n’y avait-on pensé plus tôt ? Les dentistes se perfectionnèrent dans l’art de raboter les facettes des molaires et canines à la manière des diamantaires, et à un coût à peine inférieur. Rien n’y fit, le mal de dos persistait et la mastication des aliments n’y avait même pas gagné en élégance.
Dans un registre similaire, on convoqua aussi les orthoptistes pour corriger les problèmes oculomoteurs, mais l’engouement fut bref.
La lombalgie perdit de son intérêt et, sans la sciatique, l’académie de médecine aurait fini par oublier jusqu’à l’existence des vertèbres lombaires.
Le scanner et la hernie discale ont magistralement remis en lumière cette magnifique cambrure d’homo sapiens et de sa femme. Mais là encore, il fallut se rendre à l’évidence, ni la lombalgie, ni la sciatique n’avaient de rapport avec l’image. Non décidément, les images ne font pas mal et la douleur n’a pas d’image.
Le travail redevint, comme dans l’antiquité, la seule cause des lombalgies, mais sa pénibilité psychique apparut comme supérieure à sa pénibilité physique. Le stress et le harcèlement semblent avoir un poids bien supérieur à celui des pierres des bâtisseurs de cathédrale.
Même après que l’on eût inscrit les radiculalgies chroniques sur la liste des maladies professionnelles et que l’on eût modifié l'ergonomie des sièges et dossiers des travailleurs assis, le mal ne fit qu’augmenter, prouvant qu'il se situait encore bien au-dessus des dents.
Que les marchands d’anti-inflammatoires se réjouissent, la lombalgie n’a toujours pas dit son dernier mot...
Les plus anthropologues de nos physiologistes nous diront que la lombalgie est le tribut que l’espèce humaine paie à la bipédie. C’est sans doute encore trop bête pour être vrai...
Et si nous prenions encore plus de hauteur afin de dépasser définitivement ce réductionnisme scientifique. Et si les vertèbres lombaires étaient le siège de l’âme que l’on cherche depuis si longtemps ?
Hancock M et coll.
Assessment of diclofenac or spinal manipulative therapy, or both, in addition to recommended first-line treatment for acute low back pain : a randomised controlled trial.
Lancet 2007 ; 370 : 1638-43.
Koes B.
Evidence-based management of acute low back pain.
Lancet 2007 ; 370 : 1595-96.
O’Sullivan P
It’s time for change with the management of non-specific chronic low back pain.
Br J Sports Med 2012 ; 46 (3) : 224-7.
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