humeur du 19/03/2010
La télévision vient de remettre au goût du jour les fameuses expériences de Milgram réalisées dans les années soixante.
Nous sommes toujours impressionnés de constater le degré de soumission à une autorité administrative ou scientifique.
Les tyrans connaissaient bien cela et lorsque leur but était peu avouable, il suffisait de répartir les tâches et de démultiplier les responsabilités pour que chacun dans son coin accomplisse, avec zèle et sans état d’âme, une part de l’horrible.
Lorsque le but avoué est le bienfait de l’humanité en provenance d’un ministère d’une démocratie, cette mayonnaise de la « contagion normative » prend encore plus vite, sans effort et plus durablement. Chaque acteur de la chaîne n’a effectivement rien à se reprocher et nul ne saurait lui faire le moindre grief.
Il est utopique de seulement tenter d’inverser la vapeur.
Comme certains de mes confrères, je réfléchis depuis plusieurs années au problème du dépistage de masse en cancérologie (à bien distinguer du dépistage individuel).
Les premières publications démontrant l’inutilité globale de ces dépistages ont commencé à apparaître dans les années 2000, sans aucun écho, jusqu’à la très sérieuse méta-analyse Cochrane qui en 2006 a montré l’absence d’effet sur la mortalité dans le cancer du sein. Depuis, de nombreuses publications à méthodologie rigoureuse font état de l’absence totale d’effet sur les âges de morbidité et de mortalité dans les cancers du côlon et de la prostate. Les faits sont là.
Lors de nos différents débats, les réactions du public et des spécialistes les plus compétents à la lecture de ces publications sont surprenantes. Une dissonance cognitive les empêche de les comprendre et même de les entendre. Il n’est pas possible qu’une directive émanant du ministère, validée par les collèges d’experts, relayée par l’ordre des médecins, encouragée par l’assurance maladie et les mutuelles, conforme à l’intuition de tous les patients et diffusée par tous les médias, soit erronée.
Jusqu’à très récemment, aucun de nous n’aurait tenté de faire passer l’information sur un média grand public, tant elle est irrecevable. Mais – on pourrait presque dire fort heureusement – l’avalanche d’articles sur les aberrations du PSA dans le dépistage du cancer de la prostate ont commencé à lever un coin du voile. L’infime minorité des médecins qui mettaient sérieusement en doute les dépistages de masse, devient une minorité de plus en plus visible. Dans le grand public, malgré le lourd fardeau de l’angoisse de mort autour de ce sujet, quelques interrogations commencent à émerger.
Dans vingt ou quarante ans, si le marché autorise les ministères à faire de vraies politiques de prévention ou lorsque la recherche aura affiné le dépistage très individualisé et les vaccins anticancéreux, on pourra alors évoquer, en souriant, cette « contagion normative ».
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