humeur du 01/02/2010
Quand nous étions étudiants ou jeunes médecins, les signes pathognomoniques étaient un régal. Ces signes, caractéristiques d’une maladie et suffisants pour confirmer un diagnostic, étaient malheureusement bien trop rares pour nous soulager dans le fatras des symptômes biaisés par des patients pusillanimes ou simulateurs.
Du rarissime Koplik aux savantes tumeurs péri-unguéales de Koenen, en passant par le Babinski, le Lhermitte, l’épaulette, le Lasègue, le tiroir du genou ou le ressaut de hanche, nous les connaissions par cœur. Mais pourquoi donc toutes les maladies n’avaient-elles pas leur signe pathognomonique ?
Et puis, avec le temps, l’expérience venant remplacer la théorie, ces signes se perdaient dans la complexité de l’art clinique et prenaient leur place dérisoire dans la variabilité des individus…
Non, décidément, rien n’est jamais simple en médecine…
Mais voilà que ces signes reviennent en force. Les marchands de diagnostic biologiques en kit ont su profiter de notre léthargie de cliniciens qu’ils ont largement contribué à créer. Bientôt l’insuffisance cardiaque se résumera au BNP, le cancer de la prostate au PSA, le cancer du sein à une micro-calcification, l’embolie pulmonaire à des D-dimères, l’infarctus à une troponine. Pourquoi se fatiguer à immiscer notre index dans un rectum, à palper des ganglions, à ausculter un cœur, à interroger une douleur ou à vérifier le godet d’un œdème puisque les chiffres ont définitivement inhibé l’élan du verbe et du toucher ?
En plus de leur apparente rigueur, ces chiffres plaisent à tout le monde : les marchands qui voient ainsi les diagnostics se multiplier, les patients qui sont obnubilés par leur force mathématique et enfin, les médecins qui, pour le même tarif, peuvent remplacer une démarche clinique longue, fastidieuse et aléatoire par une signature au bas d’une prescription dont personne n’osera contester le résultat chiffré.
Mais à quoi peut servir ma diatribe nostalgique et larmoyante si ces nouveaux chiffres pathognomoniques peuvent encore faire le bonheur des jeunes médecins ? Hélas, rien n’est moins certain.
Les chiffres sont crachés par des machines, les scanners sont lus en Inde, les anatomopathologistes vivent en Tunisie. Non seulement le clinicien ne regarde plus son patient, mais il ne connaît plus son para-clinicien et ne parle plus sa langue. Ces nouveaux signes pathognomoniques sont les meilleurs médiateurs d’une télémédecine qui peut désormais se passer du clinicien. Une plateforme basée au Maroc suffira à guider le patient vers son diagnostic en tapant sur les bonnes touches du téléphone. Le patient a l’habitude, il a déjà perdu, un à un, tous ses interlocuteurs privilégiés.
Le signe pathognomonique ne sert plus au bonheur du médecin, mais à son éradication.
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