dernière mise à jour le 28/01/2016
Phagothérapie pour faire face à l’antibiorésistance
Pendant de nombreuses années, le développement et la commercialisation de nouveaux antibiotiques ont permis de répondre au problème de la résistance des bactéries aux antibiotiques. Mais entre 1999 et 2009, seuls 10 nouveaux antibiotiques ont été commercialisés, alors que le nombre de bactéries multirésistantes (BMR) a doublé sur la même période. Cette évolution dangereuse pourrait nous ramener à l’ère pré-antibiotique ainsi que le craint l’OMS. C’est pourquoi cette organisation a défini comme prioritaire la bataille contre la résistance aux antibiotiques pour la période 2012-2020. Force est de constater, que l’antibiorésistance ne cesse d’augmenter et que nous ne sommes pas préparés à la survenue d’une catastrophe liée à la diffusion de bactéries résistantes à tous les antibiotiques (superbug). Pour tenter de sortir de cette situation, responsable de 25 000 décès chaque année en Europe, il faut non seulement diminuer la consommation des antibiotiques mais stimuler la recherche de nouvelles solutions. Les pays capables de mettre en œuvre de telles mesures ne sont pas les plus gros consommateurs d’antibiotiques. En novembre 2012 un rapport du Centre d’Analyse Stratégique (CAS), consacrait un chapitre substantiel à la « phagothérapie » comme moyen qui « permettrait dans un certain nombre de cas de traiter les infections à bactéries les plus résistantes », et appelait au plus tôt une évaluation de son potentiel.
Virus tueurs
Mais les autorités sanitaires restent réticentes pour reconnaitre la « phagothérapie », comme une solution thérapeutique. Ce manque d’adhésion n’est pas surprenant quand on connait la position négative par méconnaissance de nombreux médecins. Si ce traitement reste encore largement méconnu, son développement est freiné par de multiples facteurs comme les spécialistes ont pu le constater lors d’un forum sur ce sujet organisé en France le 31 janvier 2013.
Appliquée pour la première fois en 1919, la phagothérapie utilise des « bactériophages », ou « phages », virus tueurs, appelés lytiques qui infectent puis détruisent en quelques minutes la bactérie visée. Mais contrairement aux antibiotiques à spectre large, ces virus attaquent les bactéries avec une grande précision : chaque phage n’infecte qu’un sous-groupe limité de bactéries. Les effets secondaires sont réduits (les "bonnes" bactéries ne sont pas détruites), mais en contrepartie l’utilisation des phages est contraignante car liée à une étude bactériologique préalable soigneuse. Si elle a été abandonnée dans les pays occidentaux, lors de l’apparition des antibiotiques, la phagothérapie n’a en revanche jamais cessé d’être utilisée à l’Est, où les phages thérapeutique sont produits, commercialisés et utilisés depuis plus de 70 ans.
Bactériophages et antibiotiques : une association gagnante
Cependant, depuis quelques années, devant l’augmentation préoccupante des infections à BMR, la phagothérapie apparait comme un recours éventuel. Outre sa réelle efficacité qui a été largement prouvée par le passé, elle présente bien des avantages. Il n’y a aucune résistance croisée : une BMR reste pleinement sensible à la phagothérapie. Plus encore un phage peut s’avérer encore plus efficace associé à certains antibiotiques. Intérêt supplémentaire : des phages ont une activité contre les biofilms, dépôts polysaccharidiques microbiens in vivo, à l’origine de la persistance bactérienne dans les infections chroniques. Des études qui ont été menées chez l’animal et parfois des essais cliniques limités chez l’homme aux Etats-Unis, en Belgique et au Royaume-Uni ont montré tout le potentiel que l’on peut attendre de la phagothérapie.
Des contraintes administratives indépassables
Mais en pratique, alors que de plus en plus de patients sont en situation d’impasse thérapeutique, elle n’est que très exceptionnellement utilisée, toujours sous la seule responsabilité du médecin (traitement compassionnel). En France ces dernières années, dans le service de Pathologie Infectieuse du CH de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), une dizaine de patients ont ainsi évité une amputation programmée grâce à des produits importés de pays de l’Est (Russie et Géorgie). En France et en Europe, comme tous médicaments, les suspensions thérapeutiques de phages doivent répondre à des normes très strictes de Bonnes Pratiques de Fabrication** à fin d’obtenir le label GMP (Good Manufacturing Practice) préalable obligatoire pour que puissent être engagées les procédures (longues et couteuses) d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Ces étapes doivent être validées par les autorités administratives (EMA pour l’Europe et ANSM pour la France). Or ces procédures ne sont pas adaptées à la fabrication de tels biomédicaments que seraient ces virus (entités biologiques). Même une ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation) nominative ne peut être délivrée, ne serait-ce qu’exceptionnellement, tant que le biomédicament n’est pas labélisé GMP. Aujourd’hui en France, comme dans tous les pays occidentaux, contraints par cette réglementation, les médecins sont invités à ne plus pratiquer de phagothérapie, même à titre compassionnel sous couvert de la déclaration d’Helsinki, jusqu’à ce que les règlements soient (éventuellement) adaptés à une telle thérapeutique « innovante ». Encore faudrait-il obtenir une autorisation d’importation d’un médicament contenant des virus ! Ce que nous n’avons jamais demandé…
Des indications très nombreuses
Véritable paradoxe ! D’un côté une thérapeutique utilisée des millions de fois sans problème pendant plusieurs décennies et dans le monde entier, puis abandonnée par désuétude toujours accessible dans les pays de l’Est. De l’autre de nombreux patients en situation d’échec thérapeutique, en attente d’un traitement qui les délivrerait peut-être de leur souffrance : infection chronique, antibiothérapie prolongée des mois, des années, voire amputation. Une économie de santé, non seulement pour les malades, mais aussi pour les dépenses publiques…L’ostéo-articulaire n’est pas le seul domaine concerné et un traitement efficace est envisageable dans de nombreuses autres infections dont le traitement est souvent long ou problématique. Citons celles qui atteignent les poumons (mucoviscidose), la peau (grand brûlé) ou encore celles du pied diabétique.
Des traitements qui échappent à la logique économique en vigueur
Cependant la dynamique tarde à s’enclencher, à cause de paramètres comptables inattendus. Non modifiés (c'est-à-dire naturels), les phages thérapeutiques ne seront pas la propriété d’un fabriquant de médicament. Modifiés génétiquement, ils seront alors brevetables mais « estampillés » OGM et soumis à une réglementation contenue dans le code de l’Environnement. Ainsi, de tels médicaments n’intéressent pas les laboratoires pharmaceutiques orientés depuis toujours sur des molécules chimiques dont les études cliniques sont largement financées par l’industrie du médicament et qui spécule sur un retour sur investissement. Plus que jamais en ces temps de crise, le financement par les pouvoirs publics est restreint. Aussi, les équipes de recherches universitaires n’obtiennent pas les crédits nécessaires aux études expérimentales et dans le monde, moins d’une dizaine de start-up de biotech dont une en France, (Pherecydes Pharma), se sont engagées dans cette voie. Mais encore faudrait-il que de tels produits « industriellement préparés » utilisables dans des situations cliniques standards puissent être adaptés à une approche « sur-mesure » dans le cas de bactéries inhabituelles (opportunistes et/ou épidémiques).
Pourquoi pas une Haute autorité des phages ?
C’est un véritable problème de santé publique dont les responsables devraient se préoccuper en changeant de paradigme. En effet, il faudrait alors envisager une approche différente qui tiendrait compte des spécificités particulières de cette thérapeutique et prévoir un « centre spécialisé ».
Interlocuteur privilégié des autorités, cet organisme aurait pour mission de définir les besoins, dialoguer avec les industriels, coordonner les essais, établir les indications et les procédures, etc... Avec pour avantage de ne pas laisser se généraliser l’utilisation de la phagothérapie comme l’a été celle de l’antibiothérapie avec le résultat que l’on connait.
Dublanchet A
Phagothérapie, pour faire face à l'antibiorésistance
JIM, 13 avril 2013
Dublanchet A
Des virus pour combattre les infections : la phagothérapie, renouveau d'un traitement au secours des antibiotiques
Favre, 2009
Depuis quelques années, le problème de l'antibiorésistance, les progrès de la génomique, la redécouverte du microbiote et la prise en charge de maladies au long cours, nécessitent l'introduction d'une pensée évolutionniste dans la réflexion clinique.
Le premier diplôme universitaire intitulé "Biologie de l'évolution et médecine" a été mis en place à la faculté de Lyon en 2016.
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