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Cancer des prix du cancer

humeur du 04/06/2016

Depuis le début de l’année 2016, les médias relatent régulièrement des pétitions et réquisitoires de médecins et d’associations de patients contre le prix des médicaments en cancérologie. Cette démarche et justifiée par des prix véritablement scandaleux de 30 000 à 50 000 €, voire jusqu’à 100 000 € par an et par patient !

Comme arguments, ces outragés avancent l’équité d’accès aux soins et le risque de ne plus pouvoir soigner les patients de demain. Qui oserait contester un tel bon sens ?

Evidemment les industriels du médicament, offusqués d’autant d’outrage, rétorquent que la recherche coûte très cher, qu’ils sauvent des vies et font progresser la connaissance. Qui pourrait s’opposer à une telle éthique ?

En bon avocat du diable – métier difficile – je dirai que d’un côté comme de l’autre, les arguments sont tellement convenus et normatifs qu’ils ne font que rajouter de l’huile dans une machine qui avance déjà très bien toute seule. Il est même possible que les arguments des outragés favorisent la surenchère des prix.

Voici le scenario : le méchant ‘big pharma’ exploite le malheur, l’administration cherche à réduire les dépenses de santé, et les malades s’organisent pour mieux défendre leurs intérêts avec le soutien de leurs cancérologues dévoués. Mais comme nous ne sommes pas à Hollywood, le héros n’arrive jamais.

Ce héros manquant est la science clinique, la seule capable de dire quel est l’impact réel d’un médicament sur la quantité/qualité de vie. Or la cancérologie est un bastion d’obscurantisme thérapeutique où aucun acteur n’a la volonté ou les moyens de pénétrer.

Les services de cancérologie fonctionnent avec les essais cliniques financés par l’industrie. Les cancérologues valident des essais contre placebo, malgré l’existence de médicaments de référence actifs et peu coûteux. Les ministères accordent des mises sur le marché avec une étonnante désinvolture (sans préjuger des parts respectives de la démagogie, du soutien à l’économie de la corruption, de la naïveté ou de la foi). Les patients croient la télévision qui parle de « traitement miracle » pour un médicament, ayant démontré une survie de deux semaines chez 20 patients. Les associations de patients ploient sous le sponsoring direct ou indirect de l’industrie qui leur « sauve des vies ». Peut-on reprocher à ces patients de s’unir pour stimuler leur lutte contre la maladie et cultiver leur optimisme ?

Dans les cancers de l’adulte, la chirurgie retarde effectivement la mort. Mais le bilan global de la pharmacologie, y compris les thérapies ciblées, reste d’une médiocrité clinique qu’il faut oser affronter pour vraiment faire progresser la science.

Le prix est l’arbre qui cache la forêt. Les industriels doivent être ravis de n’être tancés que sur le prix de leurs médicaments ; leurs conseillers en communication doivent même leur suggérer de les augmenter encore, car plus c'est cher, plus c'est efficace !

Bibliographie

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