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Bel avenir des dépistages de cancer

humeur du 06/10/2016

Dans les incessantes polémiques sur l’utilité des dépistages en cancérologie, les données de la science tiennent bien peu de place, loin derrière l’idéologie et les émotions.
Plus les études avancent, plus il apparaît que ces dépistages ont un intérêt nul ou négligeable en termes de santé publique, et plus les études incluent les paramètres de qualité de vie, plus ces dépistages se révèlent nuisibles en terme de santé individuelle.

Mais les opinions des patients, ainsi que de nombreux médecins et décideurs, ne sont pas modifiées par toutes ces analyses, car leurs principaux déterminants sont d’ordre psycho-social.

Du côté des décideurs et des médecins, le drame du cancer se traduit par des « il faut bien faire quelque-chose », « on ne peut pas rester sans rien faire ». Et cet activisme émotionnel conduit à considérer que toute action, par le seul fait d’être engagée, est dispensée de la preuve de son efficacité. À tel point que le succès d’un dépistage ne se mesure pas en gain de vie, mais en nombre de participants.

Du côté des patients, tout se résume aux « intimes convictions ». Ceux à qui l’on a dépisté un petit cancer ont l’intime conviction que leur vie a été sauvée grâce à ce dépistage précoce, et leurs médecins en sont flattés. Ceux à qui l’on a diagnostiqué un cancer avancé ont l’intime conviction que ce cancer aurait pu être évité s’il avait été dépisté avant, et leurs médecins en sont culpabilisés.
Ceux qui tentent d’ébranler ces deux convictions passent au mieux pour des ignorants, au pire pour des inconscients.

Ces convictions sont si intimes qu’elles confinent à une confusion entre dépistage et prévention, alors qu’il n’y a aucun rapport entre les deux. Le dépistage a pour but de trouver un cancer déjà présent, la prévention a pour but d’empêcher sa survenue. Aucun dépistage ne peut empêcher la survenue d’un cancer.

Enfin, du côté des citoyens, l’irrationalité des choix est encore plus surprenante puisque deux-tiers de nos contemporains sont prêts à se soumettre à un dépistage, même pour des maladies où n’existe aucun soin !

Ce ne sont donc pas les résultats des études qui peuvent ébranler ces intimes convictions et ces choix irrationnels. Plusieurs pays abandonnent déjà certains de ces dépistages de masse, devant les preuves de leur inutilité ; mais ne doutons pas que les dépistages dits ‘sauvages’ continueront. Car devant une clientèle aussi captive, les marchands de dépistages n’auront même pas besoin de convoquer la science pour développer leur argumentaire. Une boule de cristal suffit largement.

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Do doctors understand test results?
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La phrase biomédicale aléatoire

Si aujourd'hui la connaissance de la maladie par le médecin peut prévenir l'expérience de la maladie par le malade, c'est parce que autrefois la seconde a suscité, a appelé la première. C'est donc bien toujours en droit, sinon actuellement en fait, parce qu'il y a des hommes qui se sentent malades qu'il y a une médecine, et non parce qu'il y a des médecins que les hommes apprennent d'eux leurs maladies. L'évolution historique des rapports entre le médecin et le malade, dans la consultation clinique, ne change rien au rapport normal permanent du malade et de la maladie.
― Georges Canguilhem

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